Donnie Brasco, le vrai

Donnie Brasco, Histoire Vraie : Un Agent du FBI infiltre la Mafia

Sommaire

Mon nom est Joseph D. Pistone, aussi connu sous l’alias Donnie Brasco.
Ceci est ma histoire vraie.
Agent du FBI, j’ai été le premier à pénétrer aussi profondément la mafia américaine.
Pendant près de six ans (de 1976 à 1981), mon job a été de récolter autant d’informations que possible pour faire tomber la pègre.
Lors de cette mission, j’ai risqué ma vie tous les jours. Il y avait des matins où je me levais, j’allais dans la salle de bain et je me regardais dans le miroir en me disant : « Est-ce qu’on va me descendre aujourd’hui ? »

Causer du tort à la Cosa Nostra n’était pas une mince affaire à l’époque, beaucoup pensaient que c’était une organisation contre laquelle les forces de l’ordre ne pouvaient rien.
Les cinq familles de New York était en effet encore bien établies dans les années 70, les démanteler a donc été un véritable défi pour le FBI.
C’est là alors que je suis intervenu, en infiltrant dans un premier temps les Colombo, puis les Bonanno dans une plus grande mesure.

Pendant tout le temps de la mission, j’avais ainsi sacrifié ma vie de famille pour en intégrer une autre ; une famille qui n’aurait pas hésité à me faire buter si elle le souhaitait.

Je vais vous raconter dans cette vidéo mon histoire, l’histoire d’un agent du FBI qui a eu la mission secrète d’infiltrer la mafia. Une mission si secrète d’ailleurs, que la majorité des membres du FBI ne connaissaient pas ma véritable identité. Si secrète qu’ils pensaient que j’étais un des leurs, car seule une poignée d’hommes a été au courant de l’opération Donnie Brasco.

L’homme de la situation

J’ai du sang sicilien et calabrais dans les veines, car mes grands-parents sont originaires d’Italie.
Je suis né cependant en Pennsylvanie, le 17 septembre 1939. J’ai passé une partie de ma jeunesse là-bas puis, avec mes parents, mon petit frère et ma petite sœur, nous sommes partis vivre dans le New Jersey.

Je me souviens qu’au lycée, je jouais beaucoup au basket. Je ne faisais qu’un mètre quatre-vingts, mais j’avais une bonne détente, assez bonne en tout cas pour intégrer l’équipe B de la sélection de l’État du New Jersey.
N’étant pas assez doué pour devenir professionnel, je voyais plus le basket comme un moyen d’entrer à l’université.

À la fac, j’ai étudié les sciences sociales puis, après deux ans d’études, je me suis marié.
À l’époque, j’avais 20 ans et ma femme elle était infirmière.

Dans ma famille, personne n’avait jamais été flic. Pourtant, enfant, j’ai toujours voulu devenir policier ou agent du FBI.
Lors de ma dernière année de fac, je me souviens d’un ami qui avait décidé de passer l’examen d’entrée dans la police. Il voulait que je le passe avec lui, mais je ne voulais pas car j’avais encore une année d’études à faire. Mais il a tellement insisté que finalement, j’ai accepté.
Résultat : j’ai réussi les épreuves écrites et physiques haut la main.
J’ai alors demandé au chef de la police locale s’il était possible de travailler à temps partiel. Il m’a d’abord répondu « oui » puis, au moment de prêter serment, il s’est ravisé. Par conséquent, j’ai refusé d’entrer dans la police à ce moment-là.

Plus tard, j’ai obtenu mon diplôme universitaire et j’ai commencé à enseigner les sciences sociales dans un collège. À cette période, j’avais déjà deux petites filles.

C’est alors qu’un de mes amis, qui travaille pour la Naval Intelligence (le 1er service de renseignement maritime des États-Unis), me demande si je serais intéressé par un poste dans cette unité. Il me précise qu’ils ont l’habitude d’employer des civils pour enquêter sur des crimes qui ont lieu sur la base du personnel de la Navy et des Marines.
Les personnes occupant ce poste étant généralement en étroite collaboration avec les gars du FBI, j’ai été tout de suite intéressé ; moi qui, depuis tout jeune, voulais devenir agent fédéral.
Je passe donc les examens et je les réussis avec brio, devenant ainsi agent de la Naval Intelligence.
Entre-temps, ma femme avait donné naissance à une troisième fille.

Au total, je suis resté trois ans là-bas, où je bossais essentiellement sur des affaires de drogue, de vols et d’espionnage. Puis, mon travail ayant satisfait aux exigences du FBI, j’ai pu passer l’examen d’entrée pour devenir agent fédéral.
Encore une fois, je passe les épreuves avec succès et, le 7 juillet 1969, je prête serment pour devenir agent spécial du FBI.
Mon rêve de gosse venait de se réaliser.

En entrant au FBI, je savais que je voulais faire du travail de rue, de toute façon, tout le monde commençait par là.
J’ai été affecté dans un premier temps au bureau de Jacksonville, en Floride.
Là-bas, je m’occupais des affaires de fugitifs, de jeux clandestins et de braquages de banques.
J’avais d’ailleurs une certaine facilité à instaurer des relations fiables avec le monde de la rue, ce qui n’était pas très étonnant, puisque j’avais grandi dans ce milieu.

Ainsi, après 18 mois passés à Jacksonville, je suis transféré à Alexandria, en Virginie, un endroit plutôt agréable.
Je suis resté là-bas quatre ans puis, en 1974, on m’a envoyé à New York pour être affecté à la brigade des vols et recels.
Je me souviens que chaque jour, on interceptait six ou sept chargements de marchandise volée.
Et c’est à cette période qu’on m’a proposé pour la première fois une mission d’infiltration.

Donnie Brasco en tant qu'agent du FBI

Joseph Pistone alias Donnie Brasco avec des collègues du FBI.

 

Lorsque j’étais à New York, le FBI avait commencé à enquêter sur une bande organisée spécialisée dans le vol de matériel lourd et de voitures de luxe.
Pour démanteler ce réseau, ils avaient alors besoin d’un agent pour jouer le rôle de la taupe.
Le prérequis de ce poste était simple : être capable de conduire de gros engins, tels que les semi-remorques ou les bulldozers. Étant l’un des rares agents à avoir cette qualification, j’étais naturellement l’homme qu’il leur fallait.
C’était ma toute première mission d’infiltration.
Pour la réaliser, je devais évidemment trouver un nom de couverture, et j’ai choisi Donald Brasco, un nom tiré d’un vieux film ou d’un livre, je ne sais plus trop.

Au final, l’opération s’est déroulée sans accroc, en fait c’était un véritable succès : 30 personnes au total avaient été arrêtées, et on avait récupéré pour plus d’un million de dollars de véhicules volés.
Une réussite qui m’a valu une prime de 250 $, ainsi qu’une élogieuse lettre de recommandation, signée par Clarence Kelley lui-même, le directeur du FBI de l’époque.
C’est là que ma carrière a pris une autre direction : on avait loué mes qualités d’agent infiltré et il semblait bien que j’étais fait pour le poste.
Mon infiltration dans la mafia n’allait plus tarder…

 

À l’époque, J. Edgar Hoover ne voulait pas que ses agents soient impliqués dans des missions d’infiltration. Il disait que c’était un sale boulot qui pouvait souiller l’image de ses hommes.
Mais les temps avaient changé et, désormais, le travail d’infiltration était devenu indispensable, notamment quand il s’agissait de démanteler les réseaux criminels.

Le succès qu’on avait rencontré dans l’affaire du vol de matériel lourd avait alors convaincu pas mal de personnes sur notre mode opératoire. Ils avaient compris qu’un agent sous couverture était bien plus efficace qu’un simple indic’.

Évidemment, devenir agent sous couverture n’est pas donné à tout le monde. Cela demande une liste de prérequis.
Par là, je veux dire qu’il faut :

  • Avoir une forte personnalité ;
  • Être discipliné et maître de soi ;
  • Réagir avec efficacité aux situations difficiles ;
  • Être le plus débrouillard et indépendant possible (la solitude fera en effet partie de votre quotidien) ;
  • Et avoir un ego particulièrement solide.

Jouer les « taupes » signifie aussi ne jamais oublier qui l’on est. Il faut toujours garder en tête le fait qu’il s’agit d’une opération spéciale et que l’on reste un agent du FBI infiltré. Côtoyer des criminels à longueur de journée peut vite vous faire oublier la raison pour laquelle vous êtes sur le terrain.

Au printemps 1976, notre brigade des vols et recels a eu ensuite l’idée d’infiltrer les gros receleurs, ceux qui étaient associés à la mafia.
Certains d’entre eux géraient des restaurants ou des bars qui appartenaient à la mafia elle-même.
On pouvait donc faire un gros coup.

(Pour information, un « associé » est un truand en relation avec les membres de la mafia ; il travaille pour eux, mais ne bénéficie pas de tous les avantages d’un vrai membre de la Cosa Nostra.
Le vrai membre, lui, est intronisé, et c’est ce qu’on appelle un affranchi).

Pour infiltrer ces réseaux, on m’a alors désigné comme candidat idéal.
Premièrement, parce que j’avais déjà mené une mission similaire avec succès.
Et puis parce que je connaissais bien le domaine du vol et le monde de la rue.
Ah oui… et aussi parce que j’étais Italien.

Pour la toute première fois, le FBI allait donc infiltrer la mafia par le biais d’un de ses agents.

Pour cela, nous nous sommes préparé du mieux possible.
De mon côté, j’ai choisi de garder mon nom de couverture, Donald Brasco :

  • D’abord parce que c’était plus facile pour moi de continuer avec cet alias ;
  • Ensuite parce que je m’étais aussi taillé une petite réputation avec ce nom grâce à la précédente mission
  • Et enfin parce que je m’étais fait quelques contacts en tant que Donald Brasco.

Donald Brasco devait évidemment avoir son propre passé et, pour cela, j’avais prévu le coup :

  • Je dirais que j’avais vécu quelque temps dans la région de Miami et en Californie ;
  • Que j’étais célibataire et orphelin (ouais, quand vous n’avez pas de famille, il est en général plus difficile de se renseigner sur vous) ;
  • Et enfin je dirais que j’étais spécialisé dans le vol de bijoux et le cambriolage (il me fallait en effet une spécialité qui me permette de travailler seul et sans violence, de sorte à ce que je puisse aller et venir à ma guise et inventer des coups dont personne n’avait jamais entendu parler).

J’avais déjà quelques connaissances en systèmes d’alarmes et matériels de surveillance. Par contre, il fallait que j’en apprenne plus sur les bijoux. Je suis donc allé voir une joaillerie de New York pour me former. Ça a duré deux semaines, de quoi savoir au moins de quoi je parlais.

Les paperasses remplies, on les a alors envoyées au quartier général à Washington et la mission a été approuvée.
Il ne me restait plus qu’à m’évanouir dans la nature.

Seule une poignée de personnes était au courant de l’opération. À l’exception des agents de liaison et de certaines personnes au quartier général à Washington, aucune autre personne sinon n’a eu vent de la mission.

Dites-vous bien que ma propre famille n’était pas au courant de l’opération. Tout ce qu’elle a su était que j’allais entrer dans la clandestinité pendant un moment.

Comme c’était la première fois que le FBI menait une opération d’infiltration long terme de ce type, on n’a pas hésité à prendre les meilleures précautions :

  • Toutes traces de mon existence d’agent au sein du FBI avaient été effacées;
  • Mon bureau lui avait été entièrement vidé ;
  • Mon nom, effacé de la liste des effectifs ;
  • Et mon dossier personnel secrètement caché dans un coffre-fort.

De cette façon, si quelqu’un venait à demander à me voir ou à me parler, on lui répondrait qu’aucune personne du nom de Joseph Pistone n’avait jamais travaillé pour le FBI.

On avait commencé à réfléchir à cette mission en avril 1976 et ce n’est qu’en septembre de la même année que je me suis dit que j’étais enfin prêt.
J’allais quitter mon bureau du FBI, tout en sachant que je n’y remettrai plus les pieds pendant un long moment. Bientôt, mes amis comme mes collègues n’allaient plus avoir de mes nouvelles.
C’était le début d’une nouvelle vie, une vie que je mènerais à l’ombre.

Entrée dans la mafia, les Colombo

Pour cette mission d’infiltration, j’avais décidé de ne pas utiliser d’indic.
Je voulais me débrouiller seul pour que personne ne fasse le rapprochement entre moi et le FBI.

J’ai aussi voulu faire certaines choses seul, comme le fait de trouver un appartement par exemple, trouver une voiture ou me créer un compte bancaire avec mon nouveau nom.
Le but était que je ne prenne aucun risque ; je comptais me frotter à des types de la mafia par le biais de receleurs, il était donc important que je fasse tout, tout seul.

Une fois cela fait, il ne me restait plus qu’à plonger dans le monde de la rue.

Photo de Donnie Brasco sous couverture

Photographie de Donnie Brasco sous couverture.

 

J’avais une liste des endroits que fréquentaient les receleurs associés à la mafia. Il s’agissait de restaurants, bars et boîtes de nuit, principalement situés dans le centre et le bas de Manhattan.
Dans un premier temps, l’objectif était de me montrer ; je voulais d’abord que les gens s’habituent à me voir.
J’allais d’un établissement à un autre pour boire un verre ou dîner, et je me contentais d’observer.
Je voulais y aller petit à petit, histoire de n’éveiller aucun soupçon.
J’essayais au final de me bâtir la réputation d’un type discret, qui ne posait pas trop de questions.

J’ai passé ainsi les deux premiers mois à regarder, écouter et enregistrer tout ce que je pouvais dans les bars et restaurants que je fréquentais.
L’un d’eux était le restaurant « Chez Carmello », un établissement qui appartenait à deux membres de la famille Genovese. Je savais que quelques affranchis passaient là-bas de temps à autre.

« Chez Carmello », les gars que je voyais jouaient la plupart du temps à un jeu de dés appelé le backgammon. Il y avait des affranchis dans le lot et ça misait parfois gros, du genre 1 000 dollars la partie. Je me suis donc dit que c’était peut-être le bon moyen d’engager la conversation et nouer des contacts avec les habitués.
Le problème, c’est que je n’y connaissais fichtrement rien à ce jeu.
Heureusement, j’ai pu compter sur l’aide de Chuck, un ami du FBI qui, à ce moment-là, infiltrait le monde de la musique à New York.
Chuck, c’était son nom de code durant l’enquête et, grâce à lui, j’ai pu m’initier au backgammon.
On a fait plusieurs parties ensemble avant que je m’estime prêt à tenter ma chance.

Je retourne alors « Chez Carmello » et je brise la glace avec les habitués en faisant quelques parties.
Je fais ça pendant deux ou trois semaines, et je réussis à faire quelques connaissances comme ça.
Les gars ont dès lors commencé à me faire de plus en plus confiance ; ils me saluaient à chaque fois que j’entrais dans le bar et m’appelaient dorénavant « Don ».
Et puis, j’ai sympathisé avec Marty, le barman. Il ne faisait pas partie de la mafia, mais c’était un type malin, débrouillard, qui était au courant de tout ce qui se passait dans le bar.
Parfois, je sortais avec lui faire la fête et, de fil en aiguille, j’ai commencé à devenir un ami de la maison.

Par la suite, Marty m’a présenté à quelques affranchis de seconde zone. Avec eux, je n’échangeais jamais, mais bon, ils me saluaient, c’était déjà ça.

Puis est venu un moment où j’ai commencé à montrer à Marty quelques-uns de mes bijoux, supposés volés.
Je lui ai dit que je voulais les vendre ; de la sorte, je dévoilais mes intentions petit à petit.
On n’a pas pu faire affaire tout de suite, mais il m’a quand même dit :

« Ok, Don. Dès que tu as quelque chose, tiens-moi au courant. Si je peux le fourguer, je le ferai. J’ai pas mal de contacts, j’arrive à revendre un tas de trucs. »

Comme je l’ai dit, mon pote Chuck enquêtait dans le monde musique à cette période. Il arrivait alors qu’on s’aide mutuellement dans nos enquêtes.
Un jour, il me dit qu’il doit organiser un concert avec James Brown en tête d’affiche. Chuck avait déjà entraîné deux types liés aux Colombo dans l’opération qu’il menait, et il voulait me présenter à eux.
Je vais donc avec lui à cette soirée, et comme ça je fais la connaissance d’Albert.

Albert était un associé de la famille Colombo. Son truc, c’était l’arnaque.
Il nous arrivait alors quelquefois, Chuck, Albert et moi, de sortir ensemble et de passer du bon temps dans des endroits branchés.
Ainsi, j’ai pu sympathisé avec Albert, on commençait de plus en plus à se connaître, et c’est là que je décide de l’emmener avec moi « chez Carmello ».
Au bar, Albert voit que je suis accepté, ce qui me permet d’avoir davantage sa confiance.
Je gagne d’ailleurs aussi en crédibilité auprès des habitués de l’établissement, puisque eux me voient à présent avec un associé de la famille Colombo.

Mon travail consistait dès lors à ce moment-là à me faire accepter, augmenter ma crédibilité dans les lieux que je fréquentais et traîner avec Albert et les autres.
Mais… on était à l’approche de Noël et ça m’embêtait car j’avais peu de temps de voir ma famille. J’étais tellement occupé par le boulot que je n’ai finalement pu passer que le matin de Noël avec ma femme et mes filles…

 

Au début de l’année 1977, Albert et moi sommes partis faire la fête une fois dans une discothèque très fréquentée par les truands.
Là-bas, il m’a présenté un type qu’il connaissait, Jilly Greca.
Jilly Greca était aussi un associé des Colombo. Il gérait d’importantes quantités de marchandises volées pour le compte de la famille, et avait une équipe avec laquelle il traînait la plupart du temps à Brooklyn.
J’ai donc fait sa connaissance, et il m’a ensuite proposé de passer le voir plus tard à sa boutique.

Je vais alors à Brooklyn pour lui rendre visite, et j’entre dans sa boutique.
Elle était située dans un quartier plutôt calme ; à l’intérieur, étaient présentés un peu partout des vêtements chics à prix cassés. En fait, c’était de la marchandise volée et l’établissement leur servait à écouler leur butin.

De là, j’ai commencé à fréquenter la bande de Jilly Greca, une bande essentiellement composée de voleurs, cambrioleurs et autres voyous en tout genre.
Ils me faisaient confiance, car j’étais connu d’autres personnes qu’ils connaissaient.

Jilly et ses acolytes n’étaient pas affranchis, ils étaient au plus bas de la hiérarchie de la mafia ; ce qui ne les empêchaient pas pour autant de bien gagner leur vie. Ils étaient tout le temps en train de préparer des coups pour voler tout type de choses. Tout ce que vous vouliez, ils pouvaient le voler. Rien ne décourageait ces types, ils ne pensaient qu’à ça, du matin au soir.
Ils n’avaient jamais assez d’argent et en voulaient toujours plus.

Un des membres de la bande de Jilly s’appelait Vinnie.
Vinnie était un type obèse souffrant de problèmes cardiaques.
Un après-midi, alors qu’on jouait aux cartes dans l’arrière-boutique, j’écoute les gars parler d’un cambriolage qu’ils voulaient réaliser. La partie se termine quand, tout à coup, Vinnie tombe de sa chaise ! Il met ses mains sur sa poitrine et semble avoir du mal à respirer :

Hé, les gars ! Vinnie a un problème ! leur dis-je.

On avait l’impression qu’il s’étouffait, mais personne ne bougeait le petit doigt.

Il fait une crise cardiaque ! Il faut le conduire à l’hôpital. Vite, aidez-moi, bon Dieu !

Bah, ça lui arrive tout le temps, répond un des gars.
C’est juste une attaque, comme d’habitude. File-lui quelques cachets, ça ira mieux.

Il était hors de question que je laisse crever ce type comme ça. Je l’ai alors soulevé, emmené dans ma voiture et conduit aux urgences.
Quelques heures plus tard, il en est ressorti, et là il m’a dit :

J’avais plus de médicaments.

On est donc retourné chez Jilly, où les autres étaient toujours en train de jouer aux cartes.
Et c’est là que l’un des gars me lance :

Tu vois ? On t’avait dit que ça se passerait.

Par moments, les gars me proposaient de participer à des coups avec eux, mais je trouvais toujours un moyen de me défiler :

Non merci les gars, porter un flingue, ça fait trop cow-boy pour moi. Mais je vous aiderai à décharger la marchandise si vous voulez.

Ils étaient assez nombreux de toute façon, et puis, moins ils étaient à réaliser les cambriolages, et plus ils gagnaient, donc bon ça les arrangeait au final.
Mais il fallait quand même que je m’impose un peu et que je leur montre que je connaissais bien mon métier de cambrioleur. Dans les cas où j’acceptais, je m’asseyais avec eux autour d’une table et je leur disais ce qui n’allait pas. Je mettais le plus souvent l’accent sur les risques pour qu’ils abandonnent leurs combines. J’étais un agent du FBI après tout.

Sinon, la plupart du temps, je déchargeais la marchandise volée. Je restais dans mon coin et je ne posais pas de questions.

Un jour, j’étais avec le bras droit de Jilly, nommé Guido – un vrai dur comme gars, le plus coriace de la bande, Guido avait déjà tué des gens pour vous dire –, on était donc ensemble dans ma voiture, quand il m’a demandé :

Hé, Don, c’est quoi ce grincement qu’on entend ?

– J’en sais rien. Ça ne me gêne pas, je lui réponds.

Il se penche pour y voir d’un peu plus près :

– Ouais, c’est bien un grincement. Ça vient du tableau de bord.

À ce moment-là, on venait d’arriver devant la boutique.

– Je vais démonter le tableau de bord pour voir où ça grince, me dit-il.

– Laisse tomber Guido, ne perds pas ton temps. Ça ne me gêne pas, je t’assure.

– Moi ça ne gêne, j’en ai pas pour longtemps.

Guido a alors sorti un outil et a entrepris de démonter le tableau de bord. En cinq minutes, c’était réglé.

– Tout est OK, déclare-t-il.

– Bon Dieu, pourquoi tu as tout enlevé ?

– Je vais être franc avec toi mec. T’es nouveau par ici. Je voulais juste vérifier qu’il y avait pas un micro ou un truc comme ça planqué dans ta bagnole. Tout est réglo.

– Bordel ! Tu crois que je suis un putain de flic, hein ? Avec un putain de magnéto dans ma voiture, hein ? Pourquoi tu m’as pas posé la question directement d’homme à homme ?

– Calme-toi Don. Faut qu’on soit vachement prudent. Voilà tout. Y’a toujours un tas de coups qui se préparent par ici. Et toi, on te connaît pas encore très bien, c’est tout. Laisse tomber.

En réalité, ce qui me venait de se passer ne m’avait pas surpris. Je savais qu’un jour ou l’autre, ça arriverait, c’est pourquoi je ne cachais jamais de micro dans ma voiture.

J’ai donc continué de traîner avec la bande de Jilly. Je jouais profil bas, mais je me suis ensuite dit que je ne pouvais pas rester indéfiniment les bras croisés. Il fallait que je leur prouve que je pouvais aussi faire des coups.
Pour cela, j’achetais certaines de leurs marchandises volées, notamment à Vinnie, l’un des receleurs de la bande. De cette façon, j’établissais ma crédibilité auprès d’eux.
Sinon, il m’arrivait aussi de leur revendre certaines choses, comme des montres ou des bijoux. Les gars croyaient que ça venait des coups que je faisais, alors qu’il s’agissait en réalité d’objets provenant de butins confisqués par le FBI.

Je gardais bien sûr toujours mon but en tête, à savoir, approcher les gros receleurs avec qui les gars de Jilly faisaient affaire.
J’avais d’ailleurs essayé de leur demander ces contacts une fois, mais ils m’avaient dit : « File-nous la camelote, on la remettra au type. T’en fais pas pour ça ».

Jilly Greca

Jilly Greca.

 

Le rêve de Jilly était d’être intronisé dans la mafia et un jour du mois de mai 77, son rêve est devenu réalité.
Il était devenu affranchi et ainsi, membre à part entière de la famille Colombo.
À l’époque, être affranchi pour un malfrat italien, c’était la consécration. Vous changiez de statut au sein de la pègre, et vous étiez davantage respecté et protégé.
Pour devenir affranchi, il fallait bien sûr être Italien, mais il fallait également que votre entrée dans la mafia soit votée à l’unanimité par les chefs et les capitaines.
Une fois intronisé, aucun autre membre de la Cosa Nostra ne pouvait alors empiéter sur votre territoire.
La mafia vous protégeait, vous et votre business et, en retour, elle vous demandait une loyauté absolue.

Le jour de son intronisation, je me souviens que Jilly nous avait dit :

– C’est la plus belle chose qui pouvait m’arriver. J’attends ce moment depuis que je suis gamin. Peut-être qu’un jour, vous saurez, vous aussi, ce qu’on ressent. C’est le summum du bonheur !

Jilly était à présent un soldat des Colombo, et faisait partie de l’armée de « Charlie Moose » Panarella, capitaine de la même famille.

Quelque temps après, Frankie et Patsy, deux membres appartenant à la bande de Jilly, sont sortis de prison.
C’étaient des durs à cuire spécialisés dans le cambriolage en plein jour.
Ils s’étaient fait incarcérer avant que j’arrive dans la bande et… lorsqu’ils sont revenus, disons qu’ils n’ont pas trop aimé ma présence.

Un beau jour, j’entre dans la boutique, mais contrairement à d’habitude, personne ne me salue.
Jilly me prend alors par le bras et me dit :

– Allons faire un tour Don.

On sort marcher, puis il déclare :

– Écoute Don, le prends pas mal, mais Patsy et Frankie, ils se posent des questions à ton sujet. En fait, ils ont un problème avec toi.

– Quel problème ?

– Ils pensent qu’ils te connaissent pas assez bien et ils ne veulent plus que tu te mêles de nos affaires avant d’en savoir plus à ton sujet. Ils veulent le nom d’un gars qui pourrait se porter garant pour toi, là-bas à Miami où tu as monté un tas de coups à ce qu’il paraît, et comme ça, ils se sentiront plus à l’aise.

– Je les emmerde Jilly ! Pas question que je donne un nom à qui que ce soit !

– Calme-toi, Don. Retournons à l’intérieur, on va en parler et essayer de trouver une solution.

En plus d’être le chef, Jilly était l’affranchi de la bande. Il lui incombait donc de régler ce problème. Jilly connaissait ces types depuis plus longtemps que moi, mais je savais qu’il me faisait confiance.
On s’est alors assis autour d’une table pour en parler. Pasty et Frankie étaient là.
Le but de la réunion était que tout le monde vide son sac.

– Il paraît que vous avez un problème les gars ? leur dis-je.

Puis, Patsy a répondu :

– Tu racontes que tu as fait un tas de coups là-bas à Miami avant de débarquer ici. Mais c’est tout ce qu’on sait, on n’a aucune preuve. Et en plus, faut toujours que tu la ramènes quand on parle de nos affaires. Alors Frankie et moi on voudrait bien connaître quelqu’un avec qui t’as fait tous ces coups, histoire de se renseigner sur toi.

– Vous n’avez pas besoin de vous renseigner […] Je ne suis pas obligé de satisfaire vos caprices uniquement parce que vous sortez de tôle.

– Tu pourrais être n’importe qui […] peut-être même un indic’. Voilà pourquoi on veut se rencarder sur toi.

– Pas question de vous filer un nom.

Là, Patsy a sorti un pistolet automatique calibre 32 et l’a posé sur la table :

– Tu sortiras pas d’ici avant de nous avoir donné un nom. Si tu refuses de me filer un nom, tu vas quitter la pièce enroulé dans un tapis.

La situation devenait vraiment tendue.
Jilly a choisi ce moment pour intervenir :

– Allons, n’en fais pas tout un drame Don. Laisse-le contacter une personne au moins. Ensuite, tout le monde se sentira mieux et on pourra tirer un trait sur cette affaire.

Finalement, j’ai accepté.
En réalité, je savais quel nom leur donner pour me tirer de ce pétrin.
Avant de commencer cette mission d’infiltration, avec les gars du FBI, on s’était en effet préparé à ce genre de situations, et on s’était dit que si un jour, ça m’arrivait, je leur donnerais le nom d’un indic’ d’un agent fédéral à Miami.
L’indic’ en question était un cambrioleur et, si quelqu’un l’interrogeait un jour à propos de moi, il était convenu qu’il réponde que Brasco et lui avaient fait plusieurs coups ensemble, et que, en somme, j’étais un type réglo.
J’avais donc une couverture, mais j’étais quand même inquiet, parce que d’une part, je ne savais pas si l’informateur avait reçu le message et, d’autre part, parce que cela remontait à sept mois.

Patsy est ainsi parti dans la pièce d’à côté pour contacter ce fameux indic’. Moi, j’étais là, assis, à l’attendre, et je voyais les autres jouer aux cartes comme si de rien n’était.
Si l’indic’ ne jouait pas son rôle, il était clair que j’étais un homme mort.
Pendant plusieurs heures, j’ai attendu que Patsy revienne. Ce n’est finalement qu’à 16 h 30 qu’il nous a rejoint.

– C’est bon, t’es réglo.

Ouais, il s’en était fallu de peu…

Il est temps maintenant que je vous parle de mon infiltration chez les Bonanno.

Infiltration chez les Bonanno

Mon infiltration dans la famille Bonanno a commencé alors que je traînais avec la bande de Jilly.
Lors d’une de nos virées en discothèque, on m’avait présenté un gars qui appartenait à cette famille ; un dénommé Anthony Mirra.
Nous étions en 1977 et à l’époque, Mirra était fraîchement sorti de prison où il avait passé près de 18 ans pour trafic de stupéfiants.
C’était un soldat des Bonanno connu pour ses talents de tueur à gages.
Il avait à son actif près de 25 assassinats, et beaucoup le redoutaient, y compris au sein de la mafia.
Mirra avait en effet un tempérament instable, un gars à la fois coléreux et imprévisible.
Mais il connaissait aussi une multitude de personnes, et c’est pourquoi je me suis dit que je devais sympathiser avec lui.

Je passais ainsi de plus en plus de temps avec Mirra, même si je continuais toujours à traîner avec la bande de Jilly.
Je me souviens d’ailleurs qu’un jour, il m’avait invité le voir dans le quartier de Little Italy, à Manhattan.
Mirra avait là-bas un petit snack-bar dans lequel on se retrouvait régulièrement.
C’est alors qu’il m’a présenté un autre soldat de la famille, un type qui avait la réputation de tueur à gages comme lui : Benjamin « Lefty Guns » Ruggiero.

Lefty Ruggiero avait la cinquantaine et possédait un club situé près du snack-bar de Mirra.
J’avais donc fait sa connaissance, et on a de la sorte commencé à se voir régulièrement.
Ainsi, mon temps était partagé entre la bande de Jilly des Colombo à Brooklyn, et les gars de la famille Bonanno à Little Italy.

Anthony Mirra

 Anthony Mirra.

Benjamin Lefty Ruggiero

Benjamin « Lefty » Ruggiero.

 

Au milieu de l’été 1977, on avait accumulé suffisamment de preuves sur les cambriolages et les vols perpétrés par la bande de Jilly pour les inculper à tout moment.
Cependant, la mission n’avançait pas comme je voulais. J’avais renforcé mes liens avec Mirra, Lefty et les autres affranchis des Bonanno, mais je n’étais pas encore entré en contact avec les gros receleurs de Brooklyn.
Du coup, avec mes contacts du FBI, on s’est demandé si ce n’était pas mieux de laisser tomber cette piste pour se focaliser sur les mafiosi des Bonanno.
Et après avoir réfléchi, on s’est dit que ça valait le coup.

J’ai donc fréquenté le quartier de Little Italy plus souvent, si bien qu’au mois d’août 1977, je passais tout mon temps là-bas.

Cinq familles mafieuses se partageaient le gâteau à New York à l’époque.
Il y avait :

  • La famille Bonanno, dans laquelle j’étais maintenant infiltré. Officiellement, c’était Rusty Rastelli qui la dirigeait au moment de ma mission, mais il était en prison et le rôle de boss était donc donné à Carmine Galante.
  • La famille Gambino, dirigée par Big Paul Castellano.
  • Les Genovese, commandés par Philip Lombardo.
  • Les Lucchese d’Anthony Corallo.
  • Et enfin les Colombo, officiellement dirigés par Tommy DiBella, et officieusement par Carmine Persico, surnommé « le serpent ».

Dans la mafia, chaque échelon de la chaîne de commandement exigeait de ses subordonnés une obéissance totale.
La hiérarchie se composait ainsi de cette manière :

  • Le chef, au sommet.
  • Suivi du sous-chef, le second dans la hiérarchie, c’est généralement lui qui prend la place du chef s’il est emprisonné
  • Puis, il y a le « consigliere », celui qui conseille le big boss.
  • Les capitaines.
  • Et puis, tout en bas, les soldats.
  • Sans parler évidemment de tous les associés en lien avec ces affranchis.

Les règles qui régissaient cette hiérarchie étaient connues pour être très strictes.
Si, par malheur, vous ne vous conformiez pas à ces dernières, on vous liquidait, purement et simplement.

Je devais donc faire très attention en me fondant un maximum dans leur moule.

Dans la famille Bonanno, on commençait d’ailleurs à me faire de plus en plus confiance.
Notamment Mirra, avec qui je traînais de plus en plus.
Avec lui, ce n’était pas facile tous les jours ; il avait un caractère détestable, mais je n’ai pas lâché jusqu’à ce qu’il me présente quelques-unes de ses relations.

Quand il n’était pas là, je traînais avec Lefty dans son club à Little Italy.
La plupart du temps, avec Lefty, on parlait de sport et de paris, ce qui a fini par instaurer une relation entre nous. Lefty m’appelait désormais Donnie, un surnom repris ensuite par tous les autres.

Lefty s’occupait des opérations de paris pour le compte de Nicky Marangello, le numéro 2 des Bonanno à l’époque. Il voulait que je l’aide à prendre les paris ; et c’est à ce moment-là que j’ai également commencé à bosser pour Lefty.

Tout comme Mirra, Lefty avait une solide réputation de tueur et se trouvait au rang de soldat dans la hiérarchie.
L’un était alors sous les ordres de Mickey Zaffarano et l’autre sous la tutelle de Mike Sabella.
Mais, mis à part ça, les deux étaient extrêmement différents l’un de l’autre.
Lefty était plutôt du genre nerveux et parlait beaucoup. C’était un accro du jeu qui pariait énormément au quotidien, il n’était cependant pas aussi détestable que Mirra.

Au fait, une fois quand je traînais avec Mirra, j’ai fait la découverte d’une chose à propos de la mafia…
Je devais l’emmener au bureau de Nicky Marangello, et il m’a parlé là-bas d’un groupe d’individus secrets dont j’ignorais l’existence : les « zips ».
Les « zips », d’après ce qu’il m’a expliqué, étaient des Siciliens que l’on faisait venir aux États-Unis pour distribuer l’héroïne et exécuter des contrats pour le compte de Carmine Galante, le boss des Bonanno.
Ils n’avaient pas de papiers et étaient complètement inconnus des services de police.
Ils se réunissaient généralement dans des pizzerias pour trafiquer l’héroïne, blanchir l’argent ou tout simplement attendre les ordres de Galante.
Les « zips » étaient apparemment connus pour être les tueurs les plus cruels du milieu. Contrairement aux affranchis, eux n’hésitaient pas à descendre les juges ou les policiers.
J’ai ainsi recueilli toutes les informations utiles à leur sujet pour les transmettre au FBI.

Des zips avec Tony Mirra

Des zips au côté d’Anthony Mirra (3ème en partant de la gauche).

 

Est arrivé ensuite le moment où j’ai dû faire un choix entre Mirra et Lefty.
Je ne l’ai pas dit jusque-là, mais les deux se détestaient.
La raison était qu’ils voyaient en moi une source d’argent, ce qui a créé un sentiment de jalousie chez les deux.
Ça me mettait dans une situation délicate et je savais que tôt ou tard, j’aurais à faire un choix.
Mais finalement, je n’ai pas eu besoin.

Un après-midi, j’arrive au club de Lefty et je le vois au téléphone.
Lefty discutait avec Jilly, quand il a raccroché :

– Jilly m’a dit que t’étais pas du genre sangsue. Il a dit aussi que t’avais pas les deux pieds dans le même sabot, que tu savais ramasser du fric et que tu savais te démerder tout seul.

– Et alors ? dis-je.

– Alors, ça me fait plaisir de l’entendre.

Et quelques jours plus tard, alors que j’étais avec lui, il m’annonce :

– Donnie, j’ai fait une demande pour te garder avec moi. Je me suis arrangé avec Mike et Nicky. Dorénavant, t’es mon associé.

– Hé ! génial Lefty !

– Ça veut dire que désormais tu dois m’écouter pour de bon Donnie, et obéir aux règles. Je suis responsable de toi. Et toi, t’as des comptes à me rendre. J’espère que tout ce qu’on raconte à ton sujet est vrai. Car si jamais tu merdes, c’est fini toi et moi.

J’étais dès lors devenu associé de la famille Bonanno.

Lefty n’avait alors pas perdu de temps pour débuter ce qu’il appelait : mon « éducation ».
Il était très exigeant, et a commencé par me dire de me raser la moustache :

– Un véritable affranchi ne porte pas de moustache, sauf quelques vieux de la vieille. Faut toujours que tu sois impeccable et tiré à quatre épingles.

Il m’a ensuite expliqué quelques règles au sujet de la mafia :

– Le truc le plus important, c’est le respect. Le pire que tu puisses faire, c’est de foutre la honte à un affranchi. Si tu fous la honte à un capitaine ou un chef, c’est fini pour toi. Autre chose : quand t’es pas un affranchi, l’affranchi a toujours raison. Dans tous les cas. N’oublie jamais ça surtout, Donnie. Car jamais aucun affranchi ne prendra parti pour toi contre un autre affranchi.

– Si un affranchi te présente à un autre affranchi, il dira “Voici Donnie, un pote à moi”. Ça veut dire : Donnie est réglo, et tu peux parler devant lui si tu le souhaites, mais c’est pas un affranchi, et peut-être que tu veux pas parler devant lui de certaines combines ou des affaires de famille. C’est aussi comme ça que je te présenterai, tu piges ? Mais quand un affranchi présente un autre affranchi, il dit : “C’est notre ami”. Ça veut dire que tu peux parler business devant lui, car il appartient à Cosa Nostra.

– Si tu te tiens à carreau, et si tu fais pas le con. Si tu obéis aux règles et que tu rapportes du fric, alors peut-être qu’un jour tu pourras entrer dans la famille toi aussi.

Lefty répondait donc à présent de moi.
Ce qui voulait dire que je devais à chaque fois le prévenir avant de faire quoi que ce soit.
Si je voulais par exemple quitter la ville, je devais le tenir informé et rester en contact avec lui en permanence.
Et bien sûr, il fallait que je partage tous mes bénéfices avec lui.
Bref, dorénavant, je devais me plier aux règles du milieu.

 

– T’as déjà buté quelqu’un Donnie ?

– Je n’ai jamais reçu de contrat, si c’est ce que tu veux savoir. Mais j’ai déjà tué deux types. Le premier dans une bagarre, le deuxième parce qu’il m’avait piqué un coup et on a eu une dispute.

– C’est pas un meurtre ça.

– Quand on tue quelqu’un, on tue quelqu’un, quelle différence ?

– Tu comprends pas, Donnie. C’est pas aussi simple. C’est pour ça que je dois faire ton éducation.
Flinguer un type qu’on te désigne, c’est pas du tout la même chose que de buter un type à cause d’une dispute. Quand il y a un problème, t’es furieux après le type. Mais si c’est un contrat, peut-être que tu n’as aucune opinion sur le type […] Pourtant, il faut que tu sois capable de faire ça comme n’importe quel boulot, sans aucun sentiment. Tu crois que t’en es capable ?

– Pourquoi pas ?

– Eh bien, on verra ça.

Si une telle situation devait arriver, il fallait que je sois préparé.
En tant qu’agent du FBI, je ne pouvais évidemment pas laisser commettre de meurtres en ma présence. Mais que faire du coup ? M’interposer au risque de me faire buter moi aussi ?
Après avoir réfléchi, je me suis dit que je ferais la chose suivante : si la victime était un mafioso et si je devais choisir entre sa peau ou la mienne, je le laisserais se faire buter.
Si c’était un citoyen ordinaire en revanche, je prendrais le risque d’intervenir.

Illustration de Donnie Brasco avec Lefty

Illustration de Donnie Brasco avec Lefty durant la mission d’infiltration.

 

Au cours de l’été 1977, je commençais à être franchement accepté dans la famille. On me faisait confiance et je rencontrais de plus en plus d’affranchis et ce, toutes familles confondues.
J’avais entre autres fait la rencontre d’Al Walker (l’oncle de Tony Mirra), Joey d’Amico (le neveu de Mirra), Willie Rivielo (un affranchi qui gérait les loteries clandestines de Harlem pour le compte de Marangello), Joey Massino (un affranchi des Bonanno qui gravissait rapidement les échelons de la hiérarchie) ou encore Nicky Santora (aussi membre des Bonanno).

À la fin de l’année 1977, cela faisait donc un an que j’étais infiltré dans la pègre et je me sentais bien.
J’avais établi de bonnes relations avec Lefty et la famille Bonanno, et j’étais bien intégré.
Ma réputation au sein de la mafia pouvait alors permettre au FBI – et surtout à ses autres agents infiltrés dans le reste du pays –, de bénéficier d’une crédibilité supplémentaire (j’étais l’ami de Lefty à New York, après tout).

C’est ainsi que j’ai dû aider un agent infiltré à Milwaukee.
Le FBI travaillait en effet sur une affaire sur place, dont le but était de coincer le parrain de la mafia locale.

Opération Milwaukee – Miami

À Milwaukee, le FBI travaillait sur une opération d’infiltration pour mettre à mal la pègre locale.
Comme les résultats se faisaient attendre, ils m’ont contacté pour les aider.
Je devais épauler un collègue, également ami, qui travaillait déjà sur le terrain, un agent infiltré qui se faisait appeler Tony Conte.
La cible était Frank Balistrieri, le parrain de la mafia locale.

Balistrieri gérait la famille de Milwaukee, qui dépendait elle-même de Chicago.
Il contrôlait l’exploitation des distributeurs automatiques de la ville et, avec le FBI, on voulait prouver l’illégalité de son activité. Pour cela, Tony Conte devait créer sa propre affaire de distributeurs automatiques et ensuite, les installer dans les boutiques, bars ou clubs de la région.
Si Balistrieri et ses hommes tentaient de le chasser de la ville en employant la manière forte, alors nous pourrions l’inculper d’extorsion.

Avant que le FBI sollicite mon aide, Conte avait démarché pendant plusieurs mois les gérants d’établissements de Milwaukee pour installer ses distributeurs, mais sans succès.
Le pouvoir qu’exerçait Balistrieri dans cette ville était beaucoup trop important pour pouvoir se faire une place.
C’est donc à ce moment-là qu’ils m’ont contacté.
Ils voulaient en effet que je fasse jouer mes contacts de New York pour convaincre une de mes connaissances à s’intéresser aux distributeurs de Conte. En fait, on voulait que les gars de New York s’associent avec Balistrieri par le biais de Conte pour faire avancer la mission.

Évidemment, j’ai tout de suite pensé à Lefty pour cela.
Je l’ai mis au parfum en disant que j’avais un ami qui souhaitait se lancer dans le business des distributeurs automatiques à Milwaukee, et qu’on pouvait se faire pas mal de blé.
L’argent était tout ce qui intéressait Lefty, c’est donc sans difficulté qu’il a mordu à l’hameçon.

Après l’avoir mis dans le coup, il nous fallait maintenant convaincre les supérieurs de la famille Bonanno, dont Mike Sabella, le capo de Lefty, et Carmine Galante, le boss.
Lefty s’en est alors chargé et, quelque temps plus tard, on a eu tous les feux verts.
Une réunion a été organisée entre la pègre de Milwaukee et les Bonanno et tout s’est déroulé sans accroc. Une alliance entre les deux familles avait été conclue.
Résultat : on avait réussi à infiltrer deux familles mafieuses, et nous étions associés à un parrain.
On ne pouvait pas rêver mieux.

Avec Conte, on avait du coup suffisamment de preuves pour faire inculper Balistrieri et l’accuser d’extorsion.
Le parrain de Milwaukee avait de fait conclu un contrat secret avec nous, qui mentionnait le fait qu’il chasserait tous les éventuels concurrents indésirables sur son territoire.
Notre mission consistait à présent à accumuler un maximum de renseignements sur les activités annexes de Balistrieri (jeu d’argent et activités syndicales illégales, entre autres).
Sauf que bizarrement, Balistrieri a subitement arrêté répondre à nos appels. Il a commencé à éviter Conte, et est devenu soudainement froid avec nous.
Apparemment il était pris dans une sale histoire d’inculpation.
Disons que ça a été le moment pour nous de plier bagages et mettre fin à l’opération à Milwaukee.

Frank Balistrieri

Frank Balistrieri.

Tony Conte avec Lefty

Tony Conte avec Lefty.

 

Un jour de juillet 1979.
Lefty m’appelle pour me dire d’acheter les journaux :

– Attends-toi à une énorme surprise, qu’il me dit.

Je regarde la presse et qu’est-ce que je vois ? Carmine Galante, le chef de la famille Bonanno, s’était fait descendre ! On le retrouvait en première page de tous les journaux de New York, couché dans une mare de sang, avec un cigare dans sa bouche.
On l’avait descendu pendant qu’il déjeunait dans un restaurant italo-américain de Brooklyn.

En apprenant cette nouvelle, j’ai tout de suite rappelé Lefty :

– La vache ! dis-je.

– Va y avoir de gros changements.

– Et nous ? On devient quoi là-dedans ?

– Je peux pas en parler au téléphone. Rapplique immédiatement.

Je vais le voir et là, il m’apprend que Rusty Rastelli est devenu le nouveau boss de la famille, et qu’on ne répondrait plus de Mike Sabella, mais de Sonny Black, le nouveau capitaine (Mike Sabella et Nicky Marrangello s’étant faits rétrograder au rang de simples soldats).

Dominick Napolitano, surnommé “Sonny Black”, appartenait à la branche de Brooklyn de la famille Bonanno. Je ne le connaissais pas encore, car lorsque j’ai débuté ma mission, il était déjà en prison pour attaque à main armée.

La hiérarchie des Bonanno avait donc changé, mais je continuais tout de même la mission.

Une journal de l'assassinat de Carmine Galante

La Une d’un journal suite au meurtre de Carmine Galante.

Sonny Black

Photo d’identité judiciaire de Dominick Napolitano alias Sonny Black.

 

Avec Lefty, on passait beaucoup de temps à Miami et les environs pour prendre des vacances.
On pariait notre argent dans les hippodromes, les courses de lévriers, ou on cherchait tout simplement des coups à faire.
À l’instar de Las Vegas, Miami était un territoire ouvert pour tous les mafiosi.
N’importe quelle famille était libre d’opérer là-bas, à condition qu’elle n’empiète pas sur le territoire d’une autre.

On passait donc de bons moments là-bas avec Lefty, puis un jour le FBI m’indique qu’il souhaite monter une opération en Floride. Une mission qui consisterait à aider un agent infiltré dont le nom de code était Tony Rossi.

Rossi infiltrait en effet le milieu du jeu floridien pour entrer en contact avec la famille de Santo Trafficante Junior.
Trafficante était un gros bonnet, c’était le plus gros parrain de la mafia en Floride.
Il avait géré des casinos à La Havane avant que Castro n’arrive au pouvoir, et était notamment connu pour avoir participé à un complot de la CIA visant à assassiner l’homme d’État cubain.
Rossi avait alors réussi à mettre un pied dans la famille Trafficante, où il occupait un poste qui consistait à protéger les parties de cartes clandestines. Mais la situation n’évoluait pas assez vite. Les semaines passaient et l’objectif n’était toujours pas atteint.
Le FBI a donc eu l’idée d’ouvrir un night-club en Floride pour parvenir jusqu’à Trafficante.
Ils trouvent le lieu idéal et en louent un au nord-est de Tampa, qu’ils nomment le « King’s Court ».
Rossi est nommé propriétaire de l’établissement et la boîte est entièrement rénovée.
Ils commencent ainsi à organiser des parties de jeu d’argent pour attirer les truands locaux, mais rien de concluant.
Et c’est là qu’ils font appel à moi, et me demandent si je peux mettre la famille Bonanno dans le coup, de sorte à ce qu’elle puisse s’associer avec Trafficante en Floride. Une affaire qui serait aussi intéressante pour les Bonanno que pour nous.
Évidemment, j’ai accepté. Il nous restait plus qu’à préparer le terrain.

Mais coup de théâtre, le FBI m’indique soudainement que je dois mettre fin à ma mission d’infiltration.
Ils venaient en fait de découvrir ce qui avait effrayé Frank Balistrieri lors de notre opération à Milwaukee : Balistrieri avait en effet appris que Tony Conte était un agent infiltré du FBI : voilà donc la raison pour laquelle il nous avait plus donné de nouvelles…
Ca, c’était une chose, mais il y avait plus grave : si on suivait les lois de la Mafia, Balistrieri devait maintenant en informer la famille Bonanno, et si c’était le cas, bah j’étais un homme mort.
La situation était tendue, mais j’ai tout de même essayé de convaincre le Bureau de me laisser continuer la mission.
Finalement, après de longues négociations, j’ai été autorisé à poursuivre l’opération.
Une bonne nouvelle en soi, mais… je n’étais pas très serein. À tout moment, Balistrieri pouvait mettre les Bonanno au courant au sujet de Conte, ce qui mettrait fin à la mission – et… à ma vie.

 

Entre l’automne 1979 et février 1980, j’ai parlé par petites touches du « King’s Court » à Lefty.
Mon but était que les Bonanno fassent affaire avec les Trafficante, et qu’ils le fassent précisément dans le night-club de Rossi pour obtenir un maximum de preuves.
Au mois de mars, Lefty venait visiter alors pour la première fois le « King’s Court ».
Rossi et moi étions allé le chercher à l’aéroport, puis nous sommes allés manger tous les trois dans un restaurant grec.
Rossi lui parlait de son affaire en Floride et feignait de chercher des associés pour investir dans son club.
Ce qu’on voulait, Rossi et moi, c’était de montrer à Lefty qu’il s’agissait d’une affaire juteuse, et que le club pouvait rapporter beaucoup d’argent, parce qu’on savait que si Lefty mordait à l’hameçon, on pourrait aussi brancher Sonny Black dans la combine et finalement, avoir une plus grande chance d’impliquer Santo Trafficante.

Une semaine plus tard, le deal était bouclé. Lefty avait mis Sonny Black au parfum, et la famille Bonanno avait investi dans le club de Rossi, comme prévu.

Pour récolter les preuves dont nous avions besoin, on avait dès lors truffé le « King’s Court » de matériel de surveillance : caméras vidéo cachées, micros, magnétophones.

Sonny Black, de son côté, était content de la façon dont les choses se passaient au « King’s Court ». Il descendait de temps à autre dans le sud du pays pour faire avancer l’affaire, et puis, un jour, il a commencé à insister pour entrer en contact avec Trafficante.
Pile ce que nous voulions.

C’est Lefty qui devait se charger d’organiser la rencontre. Il passa par des intermédiaires et la réunion fut planifiée.
Sonny Black devait maintenant attendre l’appel de Trafficante pour savoir où et quand elle devait avoir lieu.
L’appel reçu, le lieu et l’heure était fixé : Trafficante et les Bonanno devraient se rencontrer dans un restaurant grec, à 20 heures.
De notre côté, nous étions prêts, le FBI avait expressément envoyé une équipe de surveillance sur place.

La réunion entre les deux familles mafieuses se passe donc, et lorsqu’elle se termine, Sonny me dit que tout s’est parfaitement passé. Ils avaient eu une sorte de conversation d’introduction dans laquelle ils avaient parlé de la mise en place d’une opération de bingo, qui commencerait d’ailleurs le lendemain de la rencontre.
C’est Benny Husick, le bras droit de Trafficante, qui était allé voir Sonny Black ce jour-là pour trouver un emplacement, et ainsi pouvoir lancer l’affaire.

Notre plan s’était donc déroulé comme prévu. Le mariage entre les Bonanno et les Trafficante avaient enfin eu lieu.

Mais après, il y a eu cette escalade de tensions dans la famille Bonanno…

Intérieur du King's Court

Intérieur du King’s Court.

Tony Rossi et Donnie Brasco

Tony Rossi et Donnie Brasco échangent.

Sonny Black et Santo Trafficante Jr.

Sonny Black et Santo Trafficante Jr.

Benny Husick et Sonny Black

Benny Husick et Sonny Black.

Fin de mission agent Pistone

Un soir, je dînais dans un restaurant à Brooklyn avec Sonny Black et l’un de ses bras droits, nommé John « Boobie » Cerasani.
Sonny voulait me féliciter du boulot que je faisais en Floride avec mon ami Rossi :

– Je suis ravi de la façon dont tu te comportes là-bas, me dit-il. Les affaires tournent bien. Tu es indépendant, pas besoin de te dire ce qu’il faut faire. Et t’es pas toujours en train de venir réclamer du fric comme plein d’autres.

– Merci Sonny.

– À la fin de l’année, ils vont nommer les nouveaux affranchis. J’ai le droit de proposer cinq noms, et je les ai déjà. Boobie est numéro un. Ensuite, j’ai des obligations envers quatre autres types […] Mais la prochaine fois, l’année prochaine peut-être, je te promets que tu seras le premier sur la liste.

– Tu peux pas savoir comme ça me fait plaisir, Sonny. J’attends que ça.

Et c’était vrai, parce qu’aucun agent du FBI n’avait jamais réussi à devenir affranchi. Si j’y arrivais, ma mission d’infiltration prendrait une autre dimension.
Sauf qu’après, tout s’est très vite enchaîné…

Au cours de plusieurs conversations, j’entendais en effet que les choses s’envenimaient au sein de la famille Bonanno. Il y avait apparemment des tensions entre deux factions de la famille :

  • L’une dans laquelle je faisais partie, qui comprenait le big boss Rusty Rastelli, Steve Cannone (le consigliere), et les capitaines Sonny Black et Joe Massino.
  • Et l’autre, dans laquelle comptaient les capitaines Cesare Bonventre, Philip Giaccone dit « Philly Lucky », Dominick « Big Trin » Trinchera, Alphonse Indelicato, surnommé « Sonny Red » et son fils, Anthony Bruno Indelicato.

Le différend remontait à l’époque du meurtre de Galante, lorsque les deux factions s’étaient disputé la place de chef dans la famille.
Un différend qui était sur le point de déclencher une guerre, mais fort heureusement, ils n’en sont pas arrivés là. La diplomatie avait été privilégiée au bain de sang et un entretien allait être fixé pour trouver un compromis.
Une première réunion avait été alors planifiée mais elle n’a jamais eu lieu. Ils en ont du coup organisé une deuxième, et c’est là que les choses ont pris une tout autre tournure…

C’était le 5 mai 1981.
Alphonse « Sonny Red » Indelicato, « Philly Lucky » Giaccone et Dominick « Big Trin » Trinchera se sont rendus dans un restaurant de Brooklyn pour apaiser les tensions qu’il y avait entre leur faction et celle de Rusty Rastelli et Sonny Black.
Arrivés là-bas, ils sont emmenés dans la réserve de l’établissement quand soudain des hommes dissimulés dans des placards sont sortis de leur cachette et les ont abattu à coups de fusil et de pistolet.
Sonny Black, John « Boobie » Cerasani, Joe Massino et six autres hommes des Bonanno auraient été impliqués dans le meurtre.
Suite à cela, les corps avaient été enterrés dans un terrain vague et le noyau dur qui constituait l’opposition à Rusty Rastelli et Sonny Black ne fut plus que de l’histoire ancienne.
Cependant, il en manquait un sur la liste, et ce n’était pas Cesare Bonventre, parce que lui purgeait une peine pour port d’arme prohibé à ce moment-là.
Non, il s’agissait du fils de Sonny Red, Bruno Indelicato.

Un jour, je reçois une convocation de la part de Sonny Black.
Il voulait apparemment s’entretenir avec moi au sujet d’une affaire importante.
On était seulement quelques jours après cette histoire d’assassinat, il aurait donc très bien pu s’agir d’un guet-apens pour m’éliminer.
Les gars du FBI étaient inquiets et pensaient que j’allais me faire buter.
Inquiet, je l’étais aussi, mais j’avais la quasi-certitude qu’il ne s’agissait pas d’un traquenard.

Je me suis dès lors rendu dans le bar où l’entretien devait avoir lieu et j’ai vu Sonny, posé, en train de m’attendre. L’ambiance paraissait plutôt détendue :

– Comment ça va ? Comment ça se passe en Floride ? me dit-il.

On part dans l’arrière-salle et on s’assied à une table de jeu.

– Tu sais qu’on s’est occupés de ces trois types.
Ils sont hors course. Tu connais des gens de confiance à Miami ?

– Oui, pourquoi ? rétorquai-je.

– Un gars a réussi à s’échapper […] Tu connais Anthony Bruno ?

Sonny Black parlait du fils de Sonny Red, Bruno Indelicato, celui justement qui n’était pas présent lors de l’assassinat.

– Peut-être que je l’ai déjà rencontré. Je ne sais pas.

– Je pense qu’il a foutu le camp à Miami, vu qu’il s’enfile pour 3 000 $ de coke par jour et qu’il a des liens avec les Colombiens là-bas. Je veux que tu le retrouves. Et quand tu l’auras retrouvé, descends-le. Mais fais gaffe, quand il est défoncé, il est dangereux. Il est pas très costaud, mais s’il a un flingue…

L’heure de faire mes preuves était arrivée.
Sonny Black m’avait donné ce contrat afin que j’étoffe mon CV lorsqu’il proposerait ma candidature pour devenir affranchi.
Mais, en tant qu’agent du FBI, j’étais confronté à un problème : je ne pouvais pas participer à un assassinat ; mon devoir était au contraire de l’empêcher dans la mesure du possible.
Or, d’un autre côté, en tant qu’associé de la mafia, je ne pouvais évidemment pas décliner cette offre au risque de nuire à ma crédibilité.
Techniquement, n’étant pas encore affranchi, je pouvais refuser le contrat et personne ne m’en tiendrait rigueur. Mais je ne voulais pas saper tout le travail de crédibilité que j’avais entrepris depuis 1976.
Et puis, de toute façon, avec ou sans moi, ce type se ferait buter. Donc bon…

Anthony Bruno Indelicato

Photo d’Anthony Bruno Indelicato.

 

Le temps passe et je me prépare donc à honorer ce contrat. Sauf que, renversement de situation.
Le FBI décide qu’il est temps de plier bagage !
Le corps de Sonny Red avait en effet été découvert par la police, ce qui avait créé un regain de tensions au sein de la mafia. La guerre était ouvertement déclarée et le FBI s’attendait à de nouveaux meurtres.
Étant proche de Sonny Black, et ayant un type à faire descendre, je constituais du coup une cible de choix. C’est pour ça que le FBI voulait arrêter la mission.
Mais la stopper d’un coup me frustrait énormément, parce que j’étais sur le point de devenir affranchi, ce qui me permettrait d’humilier la mafia et mettre fin à son mythe d’invincibilité.
Je deviendrais le bras droit de Sonny, qui m’aurait utilisé comme intermédiaire pour lier connaissance avec d’autres familles.
Mais bon, au bureau, tout le monde s’accordait à dire que je mettais gravement ma vie en danger.
Il m’était vraiment difficile d’envisager la fin de cette opération après cinq ans, mais je devais me conformer à la décision de mes supérieurs.
La date de fin de l’opération était fixée pour le 26 juillet 1981.

Il ne restait plus que quelques semaines avant que mon rôle en tant que Donnie Brasco se termine, et j’ai eu alors cette discussion avec Sonny Black :

– Donnie, je vais présenter ta candidature dès que le vieux sortira, me dit-il.

Par « vieux », Sonny faisait allusion à Rusty Rastelli, qui était en taule à ce moment-là.

– Je t’aime comme un frère. T’es le seul de toute la bande à qui je peux faire confiance. […] Et si jamais je me faisais buter, je veux que tu veilles à ce que mes enfants et ma femme touchent ce qui leur revient, de la part de mes associés. T’as compris ? Je te fais confiance pour veiller sur mes gosses.

– Tu peux compter sur moi vieux.

Puis arriva le jour “J”.
Trois agents fédéraux devaient rendre visite à Sonny Black pour lui annoncer la nouvelle.
Ils se sont déplacés dans un de ses établissements et lui ont montré une photo dans laquelle on me voyait en compagnie de ces trois même agents.

– Vous connaissez ce type ? C’est un agent du FBI. On voulait juste vous prévenir, dit l’un des agents à Sonny.

Sans aucune émotion apparente, Sonny leur a répondu :

– Non, je connais pas ce gars, mais si jamais je le rencontre, je saurai que c’est un agent du FBI. Merci du tuyau.

La nouvelle apprise, la première réaction de Sonny a été de réunir ses hommes.
Lefty, Boobie et Nicky Santora ont ainsi rappliqué.
Sonny leur a expliqué qu’il était impossible que je sois un agent du FBI et que si je l’étais, c’est qu’ils m’avaient kidnappé ou peut-être même lavé le cerveau.

Au début, Sonny et ses gars ont refusé d’ébruiter l’affaire, et pendant plus d’une semaine, ils m’ont cherché partout dans le pays, mais sans aucun résultat.
Ce qui était normal, puisque j’avais déménagé avec ma famille sur la côte Ouest, en Californie.
Nous vivions tous sous un nom d’emprunt, et notre maison avait été équipée par le FBI d’un système d’alarme spécial.

Mon vrai nom était à présent étalé en grosses lettres dans la presse, et la mission Donnie Brasco était révélée au grand jour.
Je me souviens que mes filles ont fondu en larmes quand elles ont appris la nouvelle.
Mon grand-père, lui, avait peur de sortir et démarrer sa voiture.

Après dix jours de vaines recherches, Sonny Black, de son côté, avait décidé qu’il était temps d’informer ses pairs. Il a appelé Santo Trafficante dans un premier temps, puis a fait parvenir la nouvelle à Rusty Rastelli, et a ensuite prévenu le chef de la famille Gambino et grand parrain, Paul Castellano.

Suite à cela, les parrains de la Cosa Nostra se sont réunis plusieurs fois à New York pour estimer l’ampleur des dégâts ; des photos de moi avaient été distribuées à travers tout le pays pour me retrouver.
J’avais un contrat de 500 000 $ sur ma tête.
Heureusement, pour les en dissuader, des agents du FBI étaient allés voir tous les grands chefs de la mafia pour leur dire à chacun : « Pas touche à cet agent. Il vous a eus, c’est terminé ».
Et si jamais ils s’en prenaient à moi, tous les moyens dont disposait la justice américaine s’abattraient sur eux.

Le 14 août 1981, soit 17 jours après la révélation de mon identité par le FBI, les parrains ont organisé une nouvelle réunion à laquelle Sonny Black a été convié.
Cette dernière s’est déroulé au New Jersey. Sonny lui s’y est rendu tout en sachant qu’il n’en ressortirait probablement pas vivant.
Après la réunion, effectivement, plus personne ne l’a revu.
Il avait sans doute payé le prix fort pour m’avoir fait confiance et introduit dans la famille…

Un mois plus tard, j’ai rencontré la petite amie de Sonny dans le restaurant d’un hôtel.
Le périmètre avait été soigneusement quadrillé et étroitement surveillé par plusieurs agents fédéraux.
La copine de Sonny ne savait pas où il était, et forcément, elle était très inquiète pour lui.
Durant la conversation, elle m’a dit alors :

– Vous savez ce qu’il m’a dit ? Il m’a dit “Je l’aimais vraiment bien ce gars-là”. Il a été totalement effondré en apprenant que vous étiez un agent, mais il disait que ça ne changerait rien à ses sentiments pour vous. Vous aviez fait votre boulot, tout simplement, et vous l’aviez bien fait.

Lefty, lui, a été le seul dont nous avons appris qu’il avait un contrat sur sa tête. Il a donc été le seul que nous avons protégé des menaces de mort de la mafia.

Les agents du FBI qui annonceront la fin de la mission Donnie Brasco

Les 3 agents du FBI qui révéleront à Sonny Black l’opération Donnie Brasco.

Lefty et Sonny Black suite à la révélation du FBI

De gauche à droite : John « Boobie » Cerasani, Nicky Santora, Lefty et Sonny Black suite à la révélation du FBI.

 

Le 2 août 1982, j’ai commencé à témoigner.

Ce fut un procès historique, le premier dans lequel un groupe d’affranchis était inculpé.
Ce jour-là, la salle du tribunal était pleine à craquer. Je voyais les rangées de journalistes ainsi que les cinq accusés, dont Lefty Ruggiero, Boobie Cerasani, Nicky Santora et deux autres mafiosi, Anthony « Mr Fish » Rabito et Antonio Tomasulo.
Perché à la barre des témoins, je les voyais incrédules. Apparemment Lefty refusait de croire que j’étais un agent fédéral. Il avait dit à son avocat : « Jamais il ne témoignera contre nous ».
Il finira cependant par changer d’avis lorsqu’il séjournera dans sa cellule entre deux apparitions au tribunal.

De mon côté, j’avais travaillé d’arrache-pied avec les procureurs pour inculper un maximum de membres de la mafia. On avait préparé des procès pour racket, jeux illégaux, extorsions et meurtres dans l’État de New York et à Milwaukee, mais aussi à Tampa et à Kansas City.
Les informations que j’avais accumulées durant toutes ces années d’infiltration avaient été capitales pour la justice américaine.
J’ai ainsi témoigné pendant des mois, ce qui au bout du compte, nous a permis d’obtenir plus d’une centaine de condamnations.

Finalement, ces six années passées au sein de la mafia ne m’ont pas changé. Je suis toujours resté le même et je n’ai d’ailleurs eu aucune difficulté à abandonner mon rôle de Donnie Brasco.
Pendant toutes ces années, je n’ai en réalité jamais perdu mes repères.
Est-ce que je le referais si c’était à refaire ?
Sur le plan professionnel, je dirai oui, sans aucun doute.
Sur le plan personnel en revanche, c’est différent. Dix ans de ma vie de famille sont partis en fumée.
J’ignorais au final si le jeu en valait la chandelle.

Un jour, après un procès se déroulant dans l’État de New York, un avocat de la défense était venu me voir pour me féliciter. Je me souviens qu’il m’avait dit :

– Vous avez fait un sacré boulot mon vieux. Vous avez une sacrée paire de couilles, agent Pistone.

Illustration du procès de Donnie Brasco

Illustration du procès suite à l’opération Donnie Brasco.

Épilogue

  • Après 17 ans de bons et loyaux services, Joseph Pistone a démissionné du FBI en 1986.
    Contrairement à Benjamin « Lefty » Ruggierio, il n’a pas bénéficié du programme de protection fédéral de protection des témoins.
    À la fin de cette opération d’infiltration de grande envergure, l’agent Pistone recevra alors une prime de 500 $.
    Suite à son passage, la Cosa Nostra exclura la famille Bonanno de la « Commission », et changera quelques-unes de ses règles d’admission. Elle rétablira notamment une ancienne règle selon laquelle chaque postulant doit « faire ses preuves », autrement dit tuer quelqu’un avant de devenir affranchi. Elle en imposera également une nouvelle stipulant que chaque affranchi doit être en mesure d’affirmer qu’il connait le postulant depuis l’enfance.
    Malgré sa démission du FBI en 86, l’agent Pistone continuera de témoigner. Certains procès issus de ses enquêtes deviendront célèbres, comme l’affaire de la Pizza Connection (un des
    plus importants réseaux internationaux de trafic d’héroïne jamais démantelé et ce, en grande partie grâce aux informations recueillies par Pistone au sujet des « zips »), ou encore celui de la Commission (le procès qui exposera au grand jour les 5 familles de New York).
    Aujourd’hui, Joseph Pistone a 83 ans et vit toujours dans l’anonymat avec sa femme et ses 3 filles. Le contrat sur sa tête à 500 000$ est apparemment encore actif.
  • Benjamin « Lefty » Ruggiero : condamné à Milwaukee, Tampa, et New York, 20 ans de prison.
    Il est libéré de prison en avril 1993 en raison d’un cancer du poumon et des testicules. Il mourra 1 an après.
  • Dominick « Sonny Black » Napolitano : assassiné à New York en août 1981. Son corps n’est retrouvé que l’année suivante au fond d’un ruisseau. Victime abattue de 23 balles, avec les
    deux mains coupées, signe qu’il s’agissait d’un règlement de compte de la mafia, la victime avait violé les règles de présentation au sein de la pègre.
  • Frank Balistrieri : condamné à 13 ans de prison dans le Milwaukee ; et 10 ans à Kansas City
  • John et Joseph Balistrieri (fils de Frank Balistrieri) : condamné à 8 ans de prison à Milwaukee
  • Steve Cannone : mort en 1985
  • Cesare Bonventre : assassiné en 1984
  • Paul Castellano, dit “Big Paul” : mis en examen dans l’affaire de la « Commission » ; assassiné à New York en 1985
  • John « Boobie » Cerasani : acquitté à New York ; a plaidé coupable à Tampa, condamné à 5 ans de prison
  • Anthony Corallo : condamné dans l’affaire de la « Commission » à New York, cent ans de prison
  • Al Walker : pas d’inculpation dans les affaires résultats du travail de l’agent Pistone
  • Jilly Greca : assassiné à Brooklyn en 1980
  • Benny Husick : a plaidé coupable à Tampa, 3 ans de prison
  • Anthony Bruno Indelicato : inculpé dans l’affaire de la « Commission » à New York, 40 ans de prison
  • Joseph Massino : condamné à New York, 10 ans de prison
  • Nicky Marangello : condamné à New York, 10 ans de prison
  • Anthony Mirra : s’est caché suite au meurtre de Sonny Black et la révélation du FBI de l’opération Donnie Brasco, craignant d’être le prochain sur la liste. Assassiné à New York en 1982.
    Mirra était si détesté dans la mafia que certains pensaient qu’il était un informateur travaillant pour Brasco.
  • Carmine Persico, dit « le Serpent » : condamné dans l’affaire de la « Commission » à New York, 100 ans de prison
  • Philipp “Rusty” Rastelli : condamné à New York, 12 ans de prison
  • Mike Sabella : acquitté à Milwaukee
  • Nicky Santora : condamné à New York, 20 ans de prison
  • Santo Trafficante : mis en examen en Floride, mort en 1987

Sources

https://www.goodreads.com/book/show/579232.Donnie_Brasco
https://www.babelio.com/livres/Pistone-Donnie-Brasco/307202
https://en.wikipedia.org/wiki/Joseph_D._Pistone
https://fr.wikipedia.org/wiki/Joseph_D._Pistone
https://lcnbios.blogspot.com/2018/02/bonanno-family-ceremonies-1970s.html
https://www.upi.com/Top_News/US/2021/07/27/joe-pistone-donnie-brasco-fbi/9661621900329
https://en.wikipedia.org/wiki/Lefty_Ruggiero
https://en.wikipedia.org/wiki/Bonanno_crime_family
https://commerce.veritone.com/search/asset/32400537

Vidéo sur l’histoire vraie de Donnie Brasco

 

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