Strasbourg, 30 juin 1971.
L’Hôtel des postes de la ville est la cible d’un incroyable braquage, un vol que la presse qualifiera bientôt de « casse du siècle ».
Ce jour-là, un groupe d’individus déguisés en serruriers grâce à de simples blouses de travail s’introduit dans l’enceinte des bâtiments pour commettre un braquage qu’ils préparent depuis plus d’un an.
Leur plan semble être infaillible : ils ont tout noté, tout chronométré pour ne rien laisser au hasard.
Le vol se déroule alors avec une orchestration parfaite, sans heurt ni violence.
En moins de 5 minutes, ils sont déjà repartis, et pas les mains vides. Avec eux, un butin faramineux : plus d’un milliard d’anciens francs, record absolu en France (les gangsters avaient en fait battu leur propre record, l’ancien ayant été établi lors d’un casse à Chambéry, 6 mois auparavant).
La cavale, elle, est tout aussi bien préparée.
Les gangsters, sûrs de leur plan, traversent tranquillement Strasbourg en se payant le luxe de s’arrêter aux feux rouges. Ils empruntent des routes de campagne pour éviter les barrages et les carrefours trop voyants, puis disparaissent dans la nature.
Pour la police, le constat est déconcertant ; difficile pour elle d’expliquer ce qui vient de se passer.
Hormis un emballage de friandise dans la serrure de la porte par laquelle ils sont entrés et sortis, ils ne trouvent rien.
Les malfaiteurs ne laissent aucune trace, pas même une empreinte digitale, c’est à se demander si ce ne sont pas des fantômes qui ont réalisé le coup…
En tout cas, c’est sûr, il s’agit d’une équipe de professionnels dont la maîtrise du braquage n’est plus à démontrer.
Les autorités sont cependant loin de se douter que ce sont des Lyonnais qui sont à l’origine du hold-up, et qu’ils sont en activité depuis plus d’un an et demi à un rythme effréné. Un gang qui a l’habitude, pour chacun de ses coups, de se préparer avec la plus grande minutie, en choisissant des cibles éloignées de sa base, avec des chemins planifiés, toujours testés à l’avance.
Un groupe d’individus qui portera le braquage à un niveau jamais atteint jusque-là en France.
Oui, on parle bien du…gang des Lyonnais.
Genèse du gang
Pour comprendre l’origine du gang des Lyonnais, il faut se pencher sur les destins croisés de 5 individus :
- Jean Augé, dit « P’tit Jeannot »
- Joanny Chavel, dit « Gros Jeannot » ou « le Gros »
- Pierre Pourrat, alias « le Docteur »
- Nicolas Caclamanos, dit « Nick le Grec »
- Et Edmond Vidal, surnommé « Momon le ferrailleur ».
Les pierres angulaires de ce groupe de braqueurs pas comme les autres, ce sont eux.
D’autres membres rejoindront ensuite les rangs, mais ces cinq-là vont participer à la création du gang. Et c’est en se plongeant dans le passé d’Edmond Vidal que nous allons mieux comprendre comment tous ces hommes se sont rencontrés.
Tout débute dans les années 50, dans la banlieue lyonnaise.
Là-bas, le jeune Edmond Vidal, très rapidement surnommé « Momon », mène une vie précaire.
Heureusement, pour oublier cette triste réalité, il peut compter sur l’amour de sa famille et celle de la communauté gitane à laquelle il appartient.
Il dira :
« Ma mère tentait de nous présenter les choses de manière ludique, même si nous savions, au fond, que nous étions parmi les plus pauvres de la société ».
À l’école, Momon Vidal ne se sent pas à sa place. Il ne s’y plaît pas et se fait même insulter par certains de ses camarades en raison de ses origines.
Momon se souvient :
« Les insultes ont fusé : ‘’Sale gitan’’, ‘’plein de poux’’, ‘’tu pues’’… Je n’avais pas encore 10 ans et cette agressivité soudaine m’a surpris, je n’en comprenais pas la raison.
Je n’avais plus envie de retourner à l’école. Je me sentais seul, au milieu d’élèves désireux de ‘’se payer le gitan’’ ».
Pour Momon, fini donc l’école. L’hostilité de ses camarades ainsi qu’une certaine envie de liberté le convainquent de ne plus retourner en classe.
Sa famille est ensuite expulsée de son logement quand il a 11 ans.
Elle emménage à Gerland dans des habitations toujours aussi miséreuses.
Il se rappelle :
« À 12 ans, j’ai commencé à aller récupérer de la ferraille, car ma mère n’arrivait plus à nous habiller, faute d’argent ».
Photo d’Edmond Vidal jeune (centre).
Plus tard, en 1960, les Vidal sont à nouveau rejetés par la ville. Cette fois-ci, on les évacue dans une cité d’urgence de l’abbé Pierre, à Décines, une petite ville de la banlieue lyonnaise où se côtoient Gitans, Arméniens, Grecs, Italiens et Arabes.
C’est là-bas qu’Edmond Vidal rencontrera ses meilleurs amis.
Dans ses mémoires, il se souvient :
« Très vite, nous avons formé une bande. Parmi eux se trouvaient ceux qui allaient devenir, plus tard, mes complices dans le gang des Lyonnais : Pierre Zakarian, dit « Pipo », Jean-Pierre Mardirossian, Georges Manoukian, dit ‘’Chaïne’’… ».
Zakarian, Mardirossian et Manoukian, eux, se sont rencontrés sur les bancs de l’école.
D’origine arménienne, ils vivent également avec leur famille à Décines. Naturellement, les enfants d’origine arménienne rencontrent ceux de la communauté gitane, et c’est ainsi que Momon Vidal sympathise avec eux.
Ensemble, ils forment une bande dans les années 60, et commencent à participer à des bagarres, quartier contre quartier ; des combats de rue extrêmement violents.
Il leur arrive aussi de passer du temps dans les cafés de Décines.
L’un d’entre eux est tenu par Michel Silmetzoglou, surnommé « le Grec » en raison de ses origines (à ne pas confondre avec « Nick le Grec, cité précédemment, et qui sera présenté plus tard).
Avec « le Grec », qui est légèrement plus âgé qu’eux, les 4 jeunes copains se lient vite d’amitié.
Michel les avance parfois quand ils n’ont pas d’argent, et dès qu’une personne de la bande a la possibilité de travailler, ils le remboursent.
Momon Vidal et ses amis de Décines.
Avec le temps, Momon, Pipo, Chaïne et Mardirossian vont en effet calmer leur ardeur pour essayer de trouver un boulot et gagner leur pain.
La plupart d’entre eux trouvent du travail en usine ou dans des métiers manuels ; cependant, aucun n’arrive à une certaine forme de stabilité professionnelle. Ils passent sans arrêt d’un emploi à un autre, sans jamais se fixer.
À cette époque, Momon Vidal a 17 ans.
Il gagne sa croûte en s’associant avec un ferrailleur, et peut alors s’acheter sa première voiture.
La vie posée du jeune gitan suit son cours, quand soudain, un événement marquant fait tout basculer…
Il est 6 heures du matin quand Momon, Pipo Zakarian et d’autres amis reviennent d’une virée nocturne. Ils sont dans la voiture de Momon lorsqu’ils s’arrêtent devant une épicerie fraîchement livrée. Le magasin étant encore fermé à ce moment-là, Momon décide alors avec ses amis de voler un cageot de cerises et quelques fruits.
Le jeune homme pense s’en tirer facilement, sauf que les choses vont prendre une tout autre tournure.
Lors du vol, un homme a en effet réussi à relever le numéro d’immatriculation de la voiture depuis sa fenêtre. Résultat : des policiers débarquent chez les Vidal le lendemain.
Momon se souvient de la scène ce jour-là :
« – Après la perquisition, tu vas nous suivre ! m’engueule un flic.
Lui et son collègue foncent alors vers les placards, jettent à terre le linge soigneusement plié par ma mère. Ils vident tout ! Ils dérangent tout ! Quand ils ont entièrement dévasté notre taudis, ils me passent les menottes. Ma mère s’accroche à mon bras en me criant :
– Laissez-le ! Laissez-le ! Il est si jeune !
– Il a volé, il doit payer ! rétorque le flic en me poussant dans la voiture.
– Je vais payer ! propose-t-elle en tirant quelques billets de la poche de son tablier.
Irrités, les flics poussent alors violemment ma mère qui tombe à terre.
La voiture démarre et, par la vitre arrière, je ne peux détacher mes yeux du spectacle de désolation qui s’offre à moi : ma mère pleure au beau milieu de son linge épars. En silence, je pleure aussi, de peine et de peur ».
Momon Vidal jeune.
Edmond Vidal est ensuite jugé pour ce vol de cerises.
Son casier judiciaire n’est pas vierge, les bagarres de rue entre bandes lui ont valu plusieurs condamnations pour coups et blessures et, pour le juge, c’est un élément à prendre en compte.
Le verdict tombe : Edmond Vidal est incarcéré à la prison de Saint-Paul à Lyon.
En prison, Momon est placé dans le bâtiment pour mineurs.
Il apprend plus tard que Pipo s’est également fait arrêter, mais qu’il est incarcéré dans une autre prison, celle de Saint-Joseph.
En franchissant l’entrée de l’établissement pénitentiaire, Edmond Vidal pénètre dans un autre monde. Un monde qui lui est totalement inconnu, de quoi susciter quelques craintes.
D’ailleurs, c’est là-bas que son destin bascule véritablement, lorsqu’il rencontre un autre détenu du nom de Jean-Pierre Gandebœuf, dit « Christo ».
Il se souvient :
« Au bout de deux jours, un maton me conseille de me faire couper les cheveux et fait venir le “coiffeur” pour mineurs qui est également un détenu. […] Le type est très jeune, il a 20 ans et tout le monde l’appelle “Christo”. Je l’interroge :
– Il y a longtemps que tu es là ?
– Deux ans.
– Deux ans ! Tu dois trouver le temps long !
– Oui, très long…
Ce mec décontracté, nonchalant, me donne une leçon de courage. Nous discutons. […] En me quittant, il me dit :
– Demain, il y a un nouveau maton, demande à te faire couper les cheveux ».
Edmond sympathise alors avec Christo et en apprend davantage sur lui :
« – Mon père est mort quand j’avais quinze ans. […] Ma mère est restée seule avec deux petites filles en bas-âge, mon frère et moi. Très tôt, je me suis mis à voler. Pour survivre. Et maintenant, je risque la cour d’assises… »
Edmond Vidal et Christo deviendront par la suite de très bons amis.
Amitié qui mènera bientôt le jeune prisonnier aux braquages.
Jean-Pierre Gandebœuf alias Christo.
Après 48 jours de détention préventive et une peine d’un mois de prison ferme, Momon est libre.
Cette fois-ci, il est déterminé à mener une vie sérieuse.
Malheureusement pour lui, la justice en décidera autrement : un sursis de 15 jours pour ses condamnations passées pour coups et blessures tombe, ce qui le ramène à la case prison après seulement quelques mois de liberté.
À sa sortie, Christo vient lui rendre visite.
Il semble être à sec vu les vêtements usés qu’il porte.
Lors de leur rencontre, il prévient Momon qu’il sera absent quelque temps, mais que le moment venu, il lui fera une « proposition ».
Deux mois passent, puis Momon revoit Christo chiquement habillé à bord d’une Peugeot 404 toute neuve.
« – Ben dis donc, les affaires tournent !
– Ouais, ça va ! Je travaille avec mon ami Paty, on fait des casses. Je lui ai proposé que tu viennes avec nous… ».
Voilà que Christo propose à Momon d’intégrer son équipe de braqueurs.
Pour Momon, le choix est difficile à faire, il réfléchit quelques minutes, puis donne sa réponse.
C’est OK.
Il reviendra sur cette prise de décision en disant :
« Malgré mes réticences à cause de la perspective de la prison, je dois admettre que sa méthode semble plus rapide que la ferraille pour gagner sa vie ».
Six mois plus tard, Edmond Vidal réalise son premier casse en compagnie de Christo et de son ami Paty.
Ils pillent la villa d’un industriel dans l’Isère et se partagent un butin de 20 000 francs, une fortune pour l’époque.
Avec Christo et son ami, Momon apprend alors les ficelles du « métier ».
Les trois jeunes réalisent ensuite un autre coup, le coffre-fort d’une usine cette fois-ci.
Mais, pas de chance pour eux, d’autres cambrioleurs étaient passés quelques jours auparavant.
Cet échec va les pousser à changer leur stratégie. Fini les coffres-forts, les malfaiteurs privilégient maintenant l’attaque à la personne : une approche consistant à arracher les mallettes des convoyeurs lors des transferts de fonds.
Une stratégie qui s’avérera payante, puisqu’ils utiliseront cette technique lors d’un hold-up qui se soldera par un impressionnant butin, près de 90 000 francs. L’affaire, reprise dans la presse, ne sera jamais résolue par la police.
Mais ensuite, rebelote : les démêlés avec la justice recommencent…
Un soir de février 1966, Edmond Vidal et Christo (accompagnés de 2 autres amis) se rendent dans le VIe arrondissement de Lyon dans un bar appelé « le Nelson ».
C’est l’occasion pour Christo de rendre visite à une fille qu’il fréquente depuis sa sortie de prison, une fille qui vient de se faire fraîchement embaucher comme barmaid dans l’établissement.
Croyant lui faire plaisir lors de la soirée, la fille lui dit alors qu’elle rencontre un succès fou auprès des clients. Il n’en faut pas plus à Christo pour piquer une crise de jalousie. Il devient furieux et tente de la faire sortir du bar par tous les moyens. Deux clients attablés au fond du bar, dont l’un est champion de boxe poids lourd, voient la scène et s’en mêlent. Pour Christo, Momon et les autres, les choses deviennent du coup plus compliquées que prévu. Une bagarre éclate et la bande de visiteurs subit une correction qui les oblige à fuir et à quitter les lieux…
Mais Christo et Momon ne comptent pas en rester là, ils ressentent une profonde humiliation après le revers essuyé.
Ils reviennent de ce fait à 3 heures du matin dans le but de braquer les 2 types qui les ont frappés lors de l’altercation.
Arrivés là-bas, Christo, Momon et un autre ami veulent entrer dans le bar mais se retrouvent bloqués, on refuse de leur ouvrir. Commençant à s’impatienter, Christo pète alors un câble et tire sur la serrure ! L’homme qui les accompagne en fait autant, mais ce dernier touche la patronne du bar, qui sera sérieusement touchée au ventre.
Pour Momon et Christo, les ennuis commencent.
Ils s’enfuient en cavale en direction de Marseille, où Momon connaît des gitans qui pourraient bien les aider. Michel le Grec se charge de les emmener dans le sud.
Arrivés à bon port, ils sont maintenant planqués dans un campement gitan de la cité phocéenne. Pendant ce temps, Christo décide de participer à un casse avec Paty et un autre type.
Le cambriolage réalisé, il revient sur Marseille pour faire un compte rendu à Momon, qui se rappelle :
« Quand Christo me rejoint à nouveau, il me parle des garçons qu’il a rencontrés pour réaliser le coup. Ce sont d’anciens militaires d’Algérie reconvertis dans les hold-up. Ils font beaucoup parler d’eux dans la région lyonnaise et les journaux les ont surnommés « le gang de la vallée de la Saône ».
Ces hommes ont impressionné Christo, surtout un certain ‘’le Gros’’ ».
Dans le sud du pays, leur cavale prend fin lorsqu’un type les balance.
Par conséquent, Edmond Vidal et Jean-Pierre Gandebœuf sont de nouveau arrêtés et jetés derrière les barreaux.
Momon est ainsi envoyé en détention préventive et retourne à la prison de Saint-Paul en attendant son procès pour l’affaire du Nelson.
Le jour du jugement, Momon et Christo attendent leur sort à la cour d’assises de Lyon.
Après le délibéré des juges, le verdict tombe :
- 5 ans de réclusion criminelle pour Edmond Vidal,
- Et 8 pour Christo.
Photo d’identité judiciaire de Momon Vidal jeune.
Lors de ce séjour carcéral, Momon est transféré à la prison de Mulhouse.
Sous les verrous, le jeune homme, alors au début de la vingtaine, gamberge et se dit bien décidé à se ranger une fois sorti.
En attendant, il purge sa peine.
C’est d’ailleurs à ce moment-là qu’il rencontre pour la première fois « le Gros », le type dont Christo parlait lors du cambriolage qu’il avait réalisé pendant la cavale dans le sud.
Momon se souvient de cette rencontre, qui a eu lieu le soir du réveillon de Noël :
« Ma petite mère m’a apporté un colis. Le Gros n’a pas le temps de recevoir le sien, car les cellules viennent de fermer pour la nuit. Je demande alors au maton de lui passer la moitié du mien.
Le lendemain, à la promenade, il s’approche pour me remercier. Il a l’air ému :
– Je n’oublierai jamais ton geste… Tiens voilà l’adresse de ma mère, si un jour tu as besoin d’un service, tu peux venir me voir.
À peine rentré en cellule, je déchire l’adresse. Si je veux en finir avec ce milieu-là, il ne me faut conserver aucun contact ».
L’incarcération d’Edmond Vidal prend fin le 30 décembre 1969. Le jeune homme obtient une semi-liberté de 6 mois avant la liberté conditionnelle.
Durant cette période, il travaille comme manœuvre, puis entame une formation d’électricien.
Pour lui, cette formation est importante, son avenir dépend entièrement de celle-ci.
Mais son médiocre salaire lui fait prendre conscience que ce sera plus difficile que prévu…
Du coup, il espère trouver une solution à Lyon, qui sait ? Peut-être qu’il trouvera de l’aide là-bas.
Il va alors descendre voir sa famille et ses copains d’enfance, puis retourne à Mulhouse et navigue de boulot en boulot. Des emplois qui lui permettent seulement de boucler les fins de mois, ce qui le déprime terriblement…
C’est décidé, il va reprendre les braquages.
Le destin veut ainsi qu’il croise un jour, dans le centre de Bourg-en-Bresse, celui avec qui il avait partagé son cadeau de Noël en prison, celui qui se faisait appeler le Gros.
Momon discute autour d’un café avec lui et prend de ses nouvelles.
Il se souvient :
« Je suis épaté par ce mec ; il respire l’intelligence, chacune de ses paroles me semble réfléchie ».
« Le Gros », c’est Joanny Chavel.
Joanny Chavel, que l’on surnomme aussi « Gros Jeannot », est issu d’une famille de paysans originaire de Villefranche-sur-Saône.
Il n’a que 20 ans lorsqu’il part faire la guerre d’Algérie. En revenant de cette dernière, il obtient alors le grade de caporal-chef et ramène tout un panel de compétences militaires qui serviront énormément au futur gang des Lyonnais : sens de l’organisation, connaissance des cartes d’état-major et utilisation des armes.
Il emprunte le chemin de la délinquance en commettant des casses avec un groupe de braqueurs dont il devient le leader : « le gang de la Vallée de la Saône ».
Avec cette bande, Chavel braque des bureaux de poste et des petites agences bancaires, situés en campagne. Chavel a une solide réputation et excelle dans le domaine du vol, ce qui ne tarde pas à le faire remarquer par le parrain du milieu lyonnais, Jean Augé.
Se pencher sur la vie de Jean Augé, c’est comprendre véritablement comment le gang des Lyonnais est né. Des racines qui remontent aux années 60, lorsqu’Edmond Vidal et ses amis vivaient encore leurs jeunes années à Décines.
À cette époque, Jean Augé, également vétéran de la guerre d’Algérie, est déjà bien en place dans le milieu lyonnais. Cet homme, à l’élégance trompeuse, est à la croisée de 2 mondes : la pègre, dans laquelle il a une grande influence et la politique, dans laquelle il s’engage en finançant notamment une association servant les intérêts gaullistes, le Service d’Action Civique, plus communément appelé le SAC.
Augé trempe dans plusieurs activités peu scrupuleuses, comme :
- Le proxénétisme ;
- Le commerce d’alcool ;
- Le trafic de stupéfiants ;
- Le cambriolage avec le vol d’objets de valeur ;
- Et les braquages, activité que le milieu lyonnais développera à la toute fin des années 1960.
Cette nouvelle branche, Augé la développera alors en recrutant 2 valeurs montantes du milieu : Joanny Chavel et un autre gangster, surnommé Nick le Grec.
Chavel enrôlera ensuite un autre voyou, du nom de Pierre Pourrat et c’est ainsi que le gang des Lyonnais fait ses premiers pas.
Les 3 entreprennent quelques braquages sous l’œil attentif du parrain qui leur fournit armes, renseignements et divers autres moyens pour accélérer l’ascension du groupe.
Bientôt, Edmond Vidal les rejoindra pour former le noyau dur du gang, mais ce dernier ne le sait pas encore…
À Bourg-en-Bresse, ils sont en effet sur le point de se quitter lorsque le Gros demande à Momon son contact. Momon accepte et le lui écrit sur un bout de papier.
Quelques semaines plus tard, il reçoit un appel du Gros qui l’invite à venir passer le voir à Bourg-en-Bresse.
L’entrevue a lieu dans une vieille maison perdue dans la campagne, en réalité un bistrot, dont le nom est le « Café des Chasseurs ».
À l’intérieur se trouve le Gros. Ce dernier invite Vidal à s’asseoir à une table :
« Dis-moi Mon, tu t’y connais en politique ? »
Le Gros lui parle pendant une bonne heure de la gauche, en particulier du communisme, qu’il n’a pas l’air de porter dans son cœur.
Momon l’écoute d’un air désintéressé, puis lui demande d’en venir au fait :
« Il s’agit de rendre certains services à un parti politique. En contrepartie, nous en tirons avantage. Veux-tu te joindre à nous ? »
Par « parti politique », Chavel parle du parti gaulliste, dans lequel lui et Augé sont engagés.
Tous les deux sont en effet d’anciens de la guerre d’Algérie qui souhaitent contribuer au retour du gaullisme pur et dur et les braquages sont l’un des moyens pour le financer.
Chavel explique alors à Momon qu’en se joignant à eux, il devra partager son butin, comme tous les autres de la bande. Augé leur refile des renseignements sur de potentiels braquages juteux et, en échange, la politique prend sa part (concrètement la moitié du pactole).
La proposition est faite.
Momon est néanmoins sceptique et le fait savoir à Chavel, qui n’en démord pas :
« Tu es capable, toi, de trouver un boulot à 2 ou 3 milliards de centimes ? »
Le mot « milliards » surprend Momon.
Voilà que le Gros lui parle d’une affaire extrêmement juteuse, un coup qui pourrait leur rapporter gros, et que Chavel appelle « la grosse affaire ».
« Alors, tu es avec nous ? »
Et c’est de cette façon qu’Edmond Vidal est enrôlé à son tour dans la bande.
Avec Pierre Pourrat, Nicolas Caclamanos (qu’il rencontrera plus tard) et Joanny Chavel, il fait désormais partie des membres originels du gang des Lyonnais.
L’aventure de la bande peut enfin commencer.
Joanny Chavel dit « le Gros ».
Jean Augé dit « Petit Jeannot ».
Pierre Pourrat alias « le Docteur ».
Nicolas Caclamanos alias « Nick le Grec ».
Le casse du siècle
Plus tard, une nouvelle rencontre a lieu avec le Gros. Cette fois-ci, Momon a rendez-vous dans une petite auberge discrète, située en bord de Saône.
En pénétrant à l’intérieur, il voit le Gros au comptoir en compagnie de 2 autres types.
« Je vous présente Momon… Mon, je te présente Raoul, et voilà Patrick ».
(Patrick, c’est une fausse identité, il s’agit en réalité de Pierre Pourrat, mais Momon Vidal ne connaîtra son véritable nom que bien après).
En rencontrant Pourrat, Momon est impressionné.
Tout comme Chavel, il dégage une sorte d’aura qu’il ne peut expliquer.
Momon dira :
« Là, devant ces deux hommes, je sens nettement l’aura qui les entoure, une forme de supériorité naturelle faite d’aisance et d’assurance. Il s’agit des plus grandes pointures du banditisme qu’il m’a été donné de rencontrer à ce moment-là. Ils possèdent tous les atouts qui font les meilleurs truands : un mode de vie où la discrétion est la règle, le courage d’agir, l’envergure pour résister à un interrogatoire musclé, une capacité d’investissement suffisante pour consacrer sans faiblir des jours et des jours à la préparation d’une affaire jusqu’à ce qu’elle soit parfaitement au point. Ces deux hommes vont devenir mes maîtres en matière d’attaques à main armée ».
Le courage d’agir et la capacité de résister aux interrogatoires musclés, c’est ce qui définissait parfaitement Joanny Chavel. Lui qui avait été repéré à l’époque par Augé en raison de ses aptitudes à résister aux interrogatoires corsés, possède un goût particulièrement prononcé pour l’action. Il est celui qui mettra en place les méthodes commando au sein du gang pour faire du braquage une action parfaitement calibrée.
Quant à la discrétion, c’était Pierre Pourrat tout craché.
À vrai dire, Pourrat était le membre des Lyonnais le plus énigmatique, un type solitaire qui se livrait rarement et qui savait se faire discret pour passer sous le radar des autorités.
En témoigne ce que diront plus tard les enquêteurs :
«… d’un caractère renfermé, nous ignorons tout des événements qui, durant cette période, le façonneront pour en faire l’homme qu’il va devenir ».
Pierre Pourrat, alias « Patrick » ou « le Docteur » (en raison de sa prestance et de sa façon de calculer les choses), n’a pas eu une enfance des plus faciles.
Il est né de père inconnu et est abandonné par sa mère dès son plus jeune âge.
Il est alors élevé par l’Assistance publique et, vers l’âge de 12 ans, il est placé dans une famille de paysans où il travaille durement.
Puis, ce sont les pensionnats, où les conditions sont encore plus rudes.
Pourrat, qui a une propension précoce au vol, fait ensuite de la prison. C’est à sa sortie qu’il rencontre Joanny Chavel. Un premier contact qui annoncera par la suite les prémices du gang des Lyonnais.
Lorsque Edmond Vidal rencontre pour la première fois Pourrat dans l’auberge, il l’apprécie d’emblée. Le début d’une longue amitié.
Ce second rendez-vous a pour but de les présenter, mais pas seulement : ce jour-là, le Gros leur propose un coup à faire à Pont-d’Ain. Un coup qui consiste à cibler la paie d’une entreprise transportée par 2 convoyeurs, dont l’un est armé. Momon est désigné chauffeur (rôle qui lui déplaît fortement sur le coup). Raoul, Chavel et Pourrat quant à eux s’occupent du braquage.
Lors du casse, ils sont 4 à bord d’une estafette et attendent patiemment que les convoyeurs sortent du bâtiment avec la paie de l’entreprise dans la mallette. Une fois sortis, les gangsters bondissent hors de leur véhicule ! Chavel tient la rue en respect avec son arme, tandis que Pourrat et Raoul se précipitent sur la serviette. Ils ne veulent surtout pas que le mécanisme de sécurité s’active, car si l’arrachage du bracelet relié à la mallette se fait à contretemps, un jet d’encre se répand à l’intérieur et ils pourront dire adieu aux précieux billets.
Pourrat attrape ainsi la main du convoyeur qui transporte le butin, et Raoul suit rapidement en coupant le bracelet.
Tout se passe comme prévu et à une vitesse éclair.
Grâce à la voiture relais (préalablement volée pour couper court à toute éventuelle poursuite), ils s’enfuient alors par des petites routes de campagne et rejoignent Bourg-en-Bresse.
Là-bas, ils sont en sécurité, ils peuvent donc ouvrir la mallette et regarder son contenu.
Il y en avait pour 150 000 francs.
Quelques jours après, le Gros propose un nouveau coup à Momon. Une affaire similaire à celle de Pont-d’Ain, qui se déroulerait à Mâcon cette fois-ci.
Le Gros lui demande alors :
« Tu as entendu parler de Nicolas Caclamanos ? Nicolas fera sûrement partie de la grosse affaire. Mais il a d’énormes difficultés financières et j’aimerais le défaucher. Es-tu d’accord de toucher un boulot avec lui, Patrick et moi ? ».
Nicolas Caclamanos ? Évidemment que Momon le connaissait.
Celui que l’on surnommait « Nick le Grec » était un caïd assez connu de l’époque, un type du genre décontracté qui connaissait très bien son métier.
Considéré comme un des bras droit d’Augé, il a la réputation du type qui réussit tout le temps à passer entre les mailles du filet de la justice. À l’époque où Chavel propose de l’intégrer au groupe, Nick le Grec a 45 ans et n’a pas mis une seule fois les pieds en taule, comme si ses relations avec le parrain lui conférait une sorte d’immunité.
À la fin des années 60, un gangster qui l’a côtoyé dira de lui :
« On savait qu’on pouvait compter sur lui, c’était un mec sûr, en même temps il avait toujours besoin d’argent ».
Pour le casse de Mâcon, Nick le Grec occupe ainsi le rôle de chauffeur, ce qui arrange Momon, qui peut enfin prendre part à l’action.
Le braquage réussi, ils en enchaînent d’autres durant l’année 1970, avec un mode opératoire qu’ils perfectionneront petit à petit et qui fera leur force :
- D’abord, il y a les repérages, lors desquels les gangsters doivent toujours se vêtir de manière discrète. Utiliser des vêtements de sorte à se fondre dans la masse et de préférence, changer de tenues d’un jour à l’autre. Pour la petite anecdote : Pierre Pourrat ira jusqu’à se déguiser en curé pour repérer des lieux.
- Ensuite, la préparation, une étape qui consiste à étudier soigneusement les chemins de replis, à noter toutes les routes secondaires pour contourner les grandes villes et les gendarmeries, et à mettre à disposition une ou plusieurs voitures relais (la plupart du temps volées, et toujours d’une marque différente de celle de l’attaque).
- Et enfin, le braquage en lui-même, pour lequel sont utilisés maquillage, postiches, perruques, fausses barbes et moustaches pour se grimer au maximum.
Sans oublier la lourde artillerie, toujours présentes avec eux pour intimider et dissuader toute personne susceptible de leur barrer la route. Leur but : jouer sur l’effet de surprise et ainsi éviter de recourir à la violence.
Leurs casses se font alors à cette période à un rythme effréné, de quoi leur permettre, avant « la grosse affaire », de se défaucher (comprenez, se faire beaucoup d’argent).
« La grosse affaire », il en sera d’ailleurs question lorsque Momon et le reste de la bande seront conviés dans la villa d’Augé pour en discuter.
Ce jour-là, lorsque Momon arrive, il y a du beau monde dans le salon du parrain :
- Le Gros et ses amis de longue date : Berry, Bernard et Cheveux, ceux avec qui il a fait la guerre d’Algérie et commis pléthores de braquages lorsqu’ils formaient « le gang de la vallée de la Saône ».
- Il y a aussi Pourrat
- Raoul
- Et un autre type appartenant à la sphère d’Augé
- Nick le Grec est également présent à la réunion, mais n’arrivera que plus tard
Tous sont là pour écouter ce que le parrain Augé a à leur dire.
Après le repas, ce dernier s’exprime enfin sur la fameuse « grosse affaire » dont il est question depuis que Momon a rejoint la bande :
« Les gars, vous savez tous pourquoi vous êtes là et plus ou moins de quoi il s’agit. Avant qu’on boive le champagne, je tiens à mettre les points sur les “i”. Je n’entrerai pas dans les détails tout de suite et je ne prononcerai pas le nom de la ville où se déroulera l’opération, je vais exposer les choses en gros. Comme ça, celui qui ne sera pas d’accord pourra partir la tête haute. Il aura la franchise pour lui et personne ne lui en voudra. Voilà, il s’agit de braquer 4 poulets armés de mitraillettes et 5 employés. Il y a 20 ou 30 millions de francs à prendre. Moitié pour ceux qui font le coup, moitié pour nous. Moi, je ne participe pas. Voilà quelles sont les principales conventions.
Je vous demande de réfléchir avant de dire “oui” ».
Le Gros donne sa réponse en premier :
« Pour moi, il n’y a aucun problème ».
Pourrat prend ensuite la parole :
« Moi, je ne peux pas donner mon accord sur une affaire avant de l’avoir vue. Il me faut le temps de juger et si j’estime qu’elle est faisable, alors je dis oui. Sinon, je pars en silence ».
Nick le Grec, lui, fait rire tout le monde au moment d’intervenir :
« Moi, j’ai tellement besoin de fraîche que j’attaquerais un tank ! »
Momon, Raoul, Berry, Bernard, Cheveux et l’autre homme du cercle d’Augé donnent aussi leur accord.
Augé l’a dit, c’est Joanny Chavel qui sera en charge de monter l’affaire.
Une affaire dont on apprend plus de détails lorsque le parrain poursuit :
« Pour revenir à l’affaire, il s’agit de la poste de Strasbourg. Reste à voir quand. Moi, je penche pour une fin de trimestre, car c’est à ce moment-là qu’il y a la plus grosse somme […] D’autre part, au cas où cela tournerait mal et en raison de l’importance de cette affaire, vous devez vous entraîner au tir au pistolet. Nous avons un endroit pour ça. Le Gros vous y conduira ».
Voilà du coup quelle était la grosse affaire.
Restait plus qu’à préparer cet incroyable coup.
Photographie de l’Hôtel des postes de Strasbourg dans ces années-là.
C’est dans une forêt, à une trentaine de kilomètres de Bourg-en-Bresse, que les gangsters vont s’entraîner au tir. Là-bas, ils ont à disposition mitraillettes, fusils à crosse, canons sciés et autres calibres. Une trentaine d’armes qui s’ajoutera à leur arsenal, déjà impressionnant.
La préparation suit alors son cours et, le 23 décembre 1970, place à la répétition générale.
Le gang cible l’Hôtel des postes de Chambéry.
Pour ce braquage, il ne leur suffit que de quelques petites minutes pour soulager l’établissement de 2,2 millions de francs, le plus important jamais réalisé en France à cette période.
Grâce au hold-up de Chambéry, ils peaufinent leur tactique et apprennent des erreurs commises pour être fins prêts pour Strasbourg. La grosse affaire arrive à grands pas.
Chavel, Pourrat et Vidal se rendent par la suite dans la capitale alsacienne pour faire les repérages.
Chavel, en charge de monter l’affaire, décide alors qu’ils monteront le coup à 3.
Pour Momon, c’est de la folie. Pourrat n’est également pas certain de la faisabilité du braquage. Puis Chavel finit par se ranger à l’avis de ses complices.
Ils se concertent, réfléchissent au meilleur plan possible, mais rien de concret. Décidément, ce n’est pas de la tarte…
Une nouvelle réunion est organisée avec Augé et les autres. Tout le monde est présent, sauf Raoul.
À l’entretien, le Gros expose un nouveau plan pour le casse de Strasbourg. Augé, Cheveux, Bernard et Nick le Grec le suivent. Le parrain insiste pour réaliser le braquage à la fin du premier trimestre. Momon, Pourrat et Berry eux sont carrément froids. Peu importe, la décision est prise, ils vont tenter le coup.
À quelques jours de l’échéance, Chavel, Pourrat et Momon mettent la main aux derniers préparatifs.
Le jour dit, ils sont tous cachés dans un fourgon devant la Banque de France de Strasbourg, à guetter l’arrivée des convoyeurs avec les sacs d’argent.
Au moment où les convoyeurs sortiront de l’établissement, les gangsters les attendront dans la cour de la poste.
Puis arrive l’instant tant attendu.
Le Gros se précipite dans la cabine pour voir le volume des sacs transférés :
« Merde ! Il n’y a que trois sacs ! »
Ce n’était pas ce qui était prévu. Il devait y avoir bien plus.
Pas le choix pour les gangsters, le casse doit être repoussé. La date sera fixée à la fin du trimestre suivant.
Pendant ce laps de temps, le gang commet quelques petits larcins afin de continuer à se perfectionner avant la grande échéance.
De plus, Pourrat et Momon en profitent pour poursuivre les repérages à Strasbourg, et ce, sans en informer les autres. Selon eux, le casse de Strasbourg constitue encore un trop grand danger, il doit y avoir un autre moyen de le réaliser, faut seulement creuser davantage.
Pour cela, ils vont entrer en plein jour dans l’Hôtel des postes en se fondant parfaitement dans le personnel grâce à des blouses bleues identiques.
À l’intérieur, ils arrivent à tout localiser, hormis la zone la plus cruciale : le couloir où part l’argent.
Momon repère alors une petite fenêtre facilement ouvrable au deuxième étage, probablement celle des W-C.
Pour lui, c’est sûr, il s’agit du point faible de la poste !
Avec Pierre Pourrat, ils décident donc de refaire un repérage en prenant en compte ce détail.
Ils repartent à Lyon, puis reviennent à Strasbourg pour infiltrer les lieux à la nuit tombée.
Pourrat trouve alors une porte au 4e étage, qui mène au grenier. Cette porte pourrait bien leur permettre d’accéder au toit et ainsi, de pouvoir descendre en rappel jusqu’à la petite fenêtre entrouverte à l’aide d’une corde.
Ils s’y rendent et attachent le cordage autour d’une cheminée, permettant à Momon de descendre en rappel jusqu’à la lucarne. Pourrat l’assiste en donnant du mou à la corde.
Ça y est ! Momon arrive enfin à pénétrer par la fenêtre. Il avait vu juste, il s’agissait bien des toilettes.
Une fois à l’intérieur, il ouvre à Pourrat au rez-de-chaussée. Les deux hommes inspectent les lieux, lorsqu’ils tombent sur une porte condamnée qui donne sur la rue !
Ça semble presque trop simple. Désormais, l’idée est de changer la serrure afin que le gang puisse entrer et sortir à sa guise.
De retour à Lyon, ils font un point avec le Gros, qui leur fait part de son ressenti :
« Il ne faut pas changer la serrure. Même si cette porte est condamnée, une vérification faite par hasard attirerait l’attention. Nous allons acheter le même verrou, je vais en retirer les piliers de façon que n’importe quelle clé puisse l’ouvrir. De cette manière, eux comme nous pourrons l’ouvrir et ils ne s’apercevront de rien ».
Tout le monde est d’accord.
Quelques jours plus tard, le Gros achète le verrou et part l’installer avec Momon.
Sur place, tout fonctionne à merveille. Ils avaient enfin le petit détail qui fera toute la différence lors du braquage.
De leur côté, Berry, Bernard et Cheveux préparent une des voitures relais qui leur servira durant la cavale. Il s’agit d’un vieux camion-citerne de paysan qu’ils ont maquillé pour passer inaperçu aux yeux des autorités. Les 3 hommes l’aménagent de sorte à accueillir tous les participants du hold-up : la citerne est notamment recouverte d’un plancher et d’un matelas.
Voilà, tout semble fin prêt pour le casse de Strasbourg.
Plus d’un an qu’ils le préparent : ils ont tout chronométré, tout minutieusement planifié, les voitures relais sont prêtes, l’itinéraire de leur cavale par les routes secondaires l’est également, bref, rien n’est laissé au hasard.
Il ne reste plus qu’à passer à l’action.
La date du braquage est fixée au 30 juin 1971.
Un choix qui n’est pas anodin, puisqu’il s’agit de la fin du semestre, jour où la poste arrose tous les bureaux de la région avec le salaire de milliers de personnes.
Momon, Pourrat, le Gros, Bernard, Cheveux, Raoul, Nick le Grec et un dénommé François (ami que Momon a rencontré lors de sa conditionnelle à Mulhouse) sont de la partie.
Jour de braquage, 8 h 55.
Nick le Grec conduit une estafette Renault dans laquelle se trouvent tous ses complices.
Arrivés près de la porte de la poste, par laquelle les gangsters doivent entrer, il se gare.
Il est le seul à descendre et va se poster à l’angle de la rue, de façon à voir arriver le convoi qui transporte l’argent dans la cour.
Pour les 7 autres présents dans l’estafette, l’attente est longue.
9 h 03 : Nick revient vers eux, ce qui veut dire que les convoyeurs sont enfin entrés dans la cour de la poste. Pour les 4 qui doivent réaliser le braquage, c’est le signal.
Momon, Pourrat, Cheveux et Bernard, déguisés en serruriers grâce à de simples blouses de travail, se dirigent tranquillement vers la porte dont ils possèdent désormais les clés.
Momon regarde sa montre, il est encore trop tôt ! Ils avaient calculé que les flics (escortant les postiers) repartiraient 2 ou 3 minutes après leur arrivée. Il fait signe à Pourrat de ralentir.
9 h 05 : Pourrat ouvre la porte.
Ils entrent tous les 4, pendant que les autres (qui ne doivent sortir qu’en cas de problème) attendent dans le fourgon. Nick le Grec, lui, se gare carrément devant la porte de sortie.
Momon et ses acolytes empruntent ainsi un premier couloir, puis un deuxième. Sur leur chemin, ils croisent une trentaine de trieurs de courriers, ce qui effraie Cheveux, qui ne le sent pas. Momon lui ordonne de garder son calme ! Ils marchent deux par deux, histoire de ne pas attirer l’attention. Momon est avec Pourrat, et Cheveux avec Bernard.
Au fond du deuxième couloir se trouvent les postiers. Ces derniers sont en train de serrer la main aux policiers, qui sont armés. Comme le craignait Momon, ils sont arrivés trop tôt. Pas le choix, ils doivent revenir sur leurs pas. Une fois que les postiers referment la porte et que les flics s’en vont, ils reprennent leur direction initiale. Ils croisent alors les postiers qui poussent le chariot contenant les sacs d’argent. D’abord, Momon et Pourrat, puis Cheveux et Bernard.
Les postiers s’éloignent en riant et en ne prêtent aucune attention aux gangsters.
Étant à présent dans leur dos, Momon et ses acolytes choisissent ce moment pour passer à l’action :
« Couchez-vous ! »
Aussi surprenant que cela puisse paraître, les postiers croient à une plaisanterie et se mettent à sourire ! Sourires qui seront très vite effacés lorsqu’ils verront de plus près les armes pointées sur eux.
L’un d’eux se met à courir en direction des trieurs, tandis qu’un autre se met à crier, ce qui alerte les bureaux qui donnent sur le couloir.
Des coups de crosse commencent ainsi à partir pour calmer les postiers réfractaires. Tout se passe si vite que les trieurs, présents à côté, n’ont même pas le temps de se rendre compte du braquage. Cheveux et Bernard s’empressent déjà de pousser le chariot vers le point d’extraction. Pourrat et Momon les couvrent avec leur arme de poing, puis l’argent change de main et disparaît.
Arrivés à la porte par où ils sont entrés, ils chargent les sacs dans l’estafette et s’enfuient. Tout est plié en moins de 5 minutes, et pas avec n’importe quel butin : plus d’1 milliard d’anciens francs, soit 11,6 millions de francs, un record national.
Lors de la fuite, Momon Vidal se souvient :
« Je regarde par-dessus mon épaule si on nous suit. Même pas ! Décidément, c’est une des affaires les plus tranquilles que j’ai jamais touchées. Nous nous arrêtons même aux feux rouges et respectons le Code de la route… »
9 h 30 : L’alarme résonne dans l’Hôtel des postes fraîchement dévalisé. La police quadrille immédiatement la ville et les gendarmes dressent des barrages.
Mais les gangsters sont déjà loin, ils ont paisiblement quitté la capitale alsacienne pour se diriger à une quinzaine de kilomètres au sud de Strasbourg, près d’un plan d’eau de Plobsheim, où se trouve 2 de leurs voitures relais (deux breaks Citroën ID 19 garées le long d’un bois).
L’une d’elles possède carrément un gyrophare d’ambulance pour ne pas attirer l’attention.
Après avoir embarqué dans les voitures relais, les malfaiteurs se dirigent alors en direction des Vosges. Mais avant d’attaquer les Vosges, ils montent dans leur second véhicule relais, le camion-citerne. Ils rejoignent Saint-Dié avec, puis repartent dans 2 autres voitures relais, où se trouvent des jerricans remplis d’essence pour éviter les arrêts aux stations-service.
Leur cavale se poursuit (toujours par des routes de campagne tracées à l’avance), quand soudain, ils entendent à la radio les nouvelles relatant leur braquage. Le journaliste indique qu’il s’agit du plus gros braquage jamais réalisé en France ! Un vol bientôt qualifié de « hold-up du siècle » par la presse.
Enquêteurs après le hold-up de Strasbourg.
Dès lors, après avoir traversé tout l’est de l’hexagone, ils arrivent enfin à leur destination finale, Bourg-en-Bresse.
Il est 9 h du soir lorsqu’ils arrivent.
Le butin est planqué dans un garage, le temps de faire le partage dans 2 ou 3 jours.
Comme convenu, la moitié du magot est donné à Augé et son parti politique, et le reste est partagé entre les membres de la bande. Ce que Momon trouve injuste, il enrage à l’idée de laisser la moitié à des politiques pour lesquels il n’a aucune estime… Dans le gang des Lyonnais, c’est le début de la fracture entre l’ancienne et la nouvelle génération.
Bientôt, les amis de Décines vont entrer à leur tour dans la danse.
Avant le hold-up de Strasbourg, Momon était justement passé voir ses copains d’enfance dans la banlieue lyonnaise, et disait alors :
« En tournant dans le quartier, j’apprends que Jean-Pierre et Chaïne, en compagnie de deux autres mecs, se sont mis aux braquages. Ils ne touchent que des sommes ridicules. Michel vit des combines, et Pipo, de son côté, se mouille avec Arpette, un ami d’enfance qui a épousé ma cousine.
Je sens que mes amis me donnent des appels du pied pour que nous nous associions. Il est encore trop tôt. Je veux d’abord finir mon apprentissage avec les meilleurs pour pouvoir ensuite frayer avec mes fidèles compagnons ».
Les copains d’abord
Après l’incroyable hold-up réalisé à Strasbourg, la police est sous pression. Elle peine à expliquer ce qui vient de se passer. Le seul indice qu’elle a, c’est un emballage de friandise que les gangsters ont introduit dans la serrure de la porte par laquelle ils sont sortis, afin de retarder les éventuels poursuivants.
Hormis cela, aucun autre indice, pas d’empreintes digitales exploitables, c’est le flou total.
La seule chose dont elle est certaine, c’est que ce vol a été commis par des gangsters chevronnés. Une équipe de professionnels qui sait très bien ce qu’elle fait.
À cette époque, au sein de la police, personne ne sait alors que le gang des Lyonnais opère depuis plus d’un an et demi à une cadence infernale. Ils savent simplement que des types en blouse de travail enchaînent depuis quelques mois hold-up sur hold-up.
Pour elle, il est temps de commencer à se pencher sérieusement sur le sujet…
L’enquête les mène près du plan d’eau de Plobsheim. Là-bas, ils retrouvent l’Estafette du hold-up, vide et abandonnée. Seule une pièce de 1 centime est restée sur place.
La fourgonnette dispose aussi de fausses plaques d’immatriculation.
Puis, à Strasbourg, les policiers retrouvent 3 autres fourgonnettes volées, de même marque, à 3 endroits distants. Sûrement des voitures relais mises à disposition en cas de problème.
D’après la police, au moins 6 véhicules ont été volés pour ce braquage et ce, plusieurs mois à l’avance.
À côté, on essaye également de recueillir des témoignages afin d’obtenir d’autres indices, mais rien de concluant : des portraits robots sont réalisés, sans grand succès.
Certains diront avoir vu un homme avec une abondante chevelure blonde, d’autres mentionneront un individu avec une moustache et un nez proéminent. On aurait dit le carnaval dans les témoignages.
Dos au mur, les enquêteurs proposent 100 000 francs à toute personne pouvant donner un indice solide.
Par la suite, les enquêteurs comprennent comment les malfrats sont entrés aussi facilement dans l’Hôtel des postes, et identifient la porte condamnée par laquelle ils sont passés.
Un commissaire dira :
« En prime, ils avaient même comparé et essayé les clés en discutant avec les postiers ».
Les gangsters, eux, savourent leur réussite après le casse. Chaque participant reçoit une part suffisamment élevée du butin pour se permettre de se ranger pour de bon.
Certains vont acheter des voitures et d’autres, investir dans l’immobilier.
Les mois passent, puis les casses reprennent.
Les gangsters ont décidé qu’ils frapperaient les recettes du Carrefour de Vénissieux en région lyonnaise.
Pour ce coup, Momon demande alors un service au Gros.
Il veut embarquer 3 de ses amis d’enfance : Pipo Zakarian, Michel le Grec et Christo.
Le Gros est d’accord. Plus qu’à préparer le braquage.
5 février 1972, jour du braquage.
Ils sont 7 prêts à réaliser le coup : Momon, le Gros, Nick, Berry, Pipo, Christo et Michel le Grec.
Mais le moment venu, le plan ne se passe pas comme prévu…
Après avoir récupérer la recette de la grande surface, les convoyeurs descendent un escalier de secours avec les sacs d’argent.
Au sommet de l’escalier se trouve avec eux le directeur du magasin qui voit alors 4 gangsters arriver en leur direction. Il donne l’alarme :
« Attention ! C’est un hold-up ».
« Toi, ferme ta gueule ! » rétorque le Gros.
Les coups de feu partent d’un côté comme de l’autre ! Momon, Pipo et Christo arrivent à récupérer les sacs d’argent, mais le Gros est touché. Le casse tourne au vinaigre.
Momon soulève et emmène son partenaire blessé jusqu’à l’estafette, qui démarre ensuite en trombe.
En quelques secondes, 1 500 000 francs ont été volés.
Mais le plus important dans tout ça, c’est que pour la première fois, le gang des Lyonnais a fait usage des armes, et que le sang a coulé…
Lors de la fuite, le Gros perd beaucoup de sang, il est sérieusement blessé.
Il est emmené d’urgence par ses complices dans un appartement en périphérie lyonnaise. Un médecin, contacté par un des gangsters, vient lui prodiguer les premiers soins. Le Gros est mal en point, il est pâle et affaibli. La balle a traversé son biceps et la surface de l’abdomen. Pour le toubib, il est impératif de le faire opérer.
Chavel est aussitôt emmené dans une clinique où un célèbre chirurgien anonyme le soigne.
Pour le Gros, il s’en est fallu de peu.
Le Carrefour de Vénissieux où le gang des Lyonnais a commis le hold-up.
Ce braquage raté change cependant la donne, car jusqu’ici, les enquêteurs ne soupçonnaient pas un gang lyonnais à l’œuvre. Le casse de Vénissieux focalise dès lors l’attention des autorités.
D’autres indices sont ainsi collectés, et l’enquête avance.
Trois jours plus tard, une instruction judiciaire est ouverte contre X pour « vol qualifié » par le juge François Renaud. Un nom dont on n’a pas fini d’entendre parler…
Le 5 avril 1972, la police judiciaire dispose ensuite de nouveaux éléments qui font considérablement progresser l’enquête.
Éléments qu’elle obtient par le biais d’un indic’ :
« Le Carrefour de Vénissieux, ça vous intéresse ? »
L’informateur leur parle d’un certain « Momon le ferrailleur » et de « Pipo », ce qui permet aux enquêteurs d’identifier pour la première fois Edmond Vidal et Pierre Zakarian.
En se penchant sur Vidal, un enquêteur dira :
« C’est pas possible, il n’a pas ce niveau-là quand même ».
Grâce à ces informations, les regards se tournent par conséquent vers Décines, lieu d’origine de Momon et de ses copains d’enfance.
Les filatures commencent, mais difficile de les prendre en flagrant délit ; les gangsters sont trop durs à suivre, ils parviennent systématiquement à échapper à la vigilance des policiers, qui n’ont dès lors aucun élément concret pour les coincer.
Pendant ce temps-là, les gangsters s’affairent à la tâche en braquant 3 convoyeurs à Clermont-Ferrand, le 15 mai 1972. Total du butin : 340 000 francs.
Quatre jours plus tard et toujours dans la même ville, ils s’attaquent à un employé dans la cour du Crédit lyonnais, puis enchaînent à Lyon, le 29 mai, boulevard Eugène Deruelle. Mais impossible pour la police de les arrêter.
Du coup, on change de stratégie : des écoutes téléphoniques sont mises en place, avec 5 à 6 suspects dans le collimateur.
En juillet 1972, l’enquête prend un nouveau tournant.
Un informateur provenant de Strasbourg ajoute 2 autres surnoms : « Patrick » et « Jeannot ». Le mois suivant, Joanny Chavel est identifié par la PJ, la police judiciaire. L’étau se resserre autour du gang des Lyonnais, d’autant plus que Chavel commence à avoir la folie des grandeurs…
En effet, il n’est plus le même après le casse de Vénissieux. Il devient paranoïaque et flambe son argent dans des achats qui attirent l’attention des enquêteurs, dont un château, où il donne de fastueuses réceptions. Une situation qui devient inquiétante aux yeux de ses complices qui, eux, ne perdent pas de temps et continuent sur leur lancée.
Dans la nuit du 27 au 28 octobre, Momon, Pourrat, François (l’ami de Momon ayant participé au casse de Strasbourg) ainsi que 2 autres complices, dévalisent la chambre forte de la poste de Mulhouse.
Et, chose incroyable, ils raflent encore le milliard d’anciens francs ! Le record national effectué un an auparavant à Strasbourg est battu ! Butin : 11 708 800 francs.
Puis vient le moment où Momon Vidal décide qu’il est temps pour lui de s’émanciper du Gros et d’Augé, son désir étant de s’éloigner de l’ancienne génération pour former une équipe dans laquelle il pourra intégrer ses amis d’enfances, sans oublier bien sûr Pourrat, son fidèle compagnon.
Il dira dans ses mémoires :
« Avec Christo, nous envisageons de former une équipe. Nous demandons à Pipo et Michel de se joindre à nous. Sachant que Jean-Pierre et Chaïne effectuent quelques braquages, nous décidons de les incorporer à la bande […] Bientôt, nous sommes fins prêts ».
Une autre saga peut commencer. Le gang des Lyonnais nouvelle génération est formé, avec en son sein les copains de Momon : Pourrat, Christo, Pipo, Michel le Grec et son frère Constantin, Jean-Pierre Mardirossian, Chaïne ainsi que Joseph Vidal, le frère aîné de Momon.
Unis comme les doigts de la main, ils seront bientôt encore plus difficiles à arrêter…
Au cours de l’année 1973, Momon et sa nouvelle bande montent ainsi leurs propres coups, en ciblant les grandes surfaces et les paies d’usine, si possible en dehors de la région lyonnaise.
Momon se souvient :
« Les braquages se déroulent parfaitement bien, et je me rends compte que la bande que nous formons est encore meilleure que celle du Gros. D’abord, l’entente est meilleure : Christo, Pipo et Chaïne constituent des éléments précieux, Jean-Pierre est un bon chauffeur et bon braqueur. Michel est bon aussi, mais un peu moins rapide avec son gros cul, et nous ne nous privons pas de le lui rappeler. Néanmoins, il s’affirme comme le plus sage d’entre nous […] Jean-Pierre s’occupe de l’entretien des voitures et des armes avec Christo. Ils aiment ça, moi pas. Bref, chacun sa spécialité ».
Les choses vont donc bon train pour le gang des Lyonnais nouvelle génération.
Concentrés sur les braquages, Momon s’éloigne alors de plus en plus du Gros et de sa bande. Cependant, eux ne les oublient pas.
Le Gros, dont le comportement a changé, commence en effet à devenir une menace pour Momon.
Lors d’une rencontre à Genève, il lui dira :
« Tu sais Momon, j’ai un ami aux Renseignements généraux. Il paraît que les condés de Lyon te soupçonnent d’avoir effectué un braquage dans une grande surface… On dit aussi qu’ils pensent à toi pour Strasbourg. En un mot, Momon, ils sont sur toi en ce moment… »
Mais le Gros n’est pas seulement hostile vis-à-vis de Momon, il l’est aussi envers Pourrat, au point où il tentera de l’assassiner !
Sentant leur vie en danger et voyant qu’il n’y a plus moyen de négocier avec la partie adverse, ils décident du coup de frapper en premier.
Dans leur ligne de mire, Joanny Chavel, mais pas que. Jean Augé, le parrain, est aussi dans le viseur. De mèche avec le Gros, il constitue également un grand danger.
Momon échappe ensuite de peu à une tentative de meurtre ! Ça y est, les choses s’accélèrent.
Ils doivent frapper en premier, et vite.
Le premier coup est porté le 15 juin 1973.
Comme à son habitude, Jean Augé se rend au Sporting-club de Lyon-Plage pour une partie de tennis. Il se gare sur le parking du club et descend de son véhicule ; à ses côtés, une femme l’accompagne. Le couple traverse le parking quand soudain, une fourgonnette s’arrête à leur hauteur.
Petit Jean est touché une première fois en pleine poitrine. Il tombe à terre, puis est criblé de balles par un autre, qui descend du véhicule. Fin de partie pour le parrain.
Arrive ensuite le tour de Chavel.
L’action se passe en octobre de la même année.
Chavel est en route pour se rendre dans une planque où il entretient des armes. Il marche sur un trottoir et entend arriver un camion qui progresse jusqu’à lui. Le Gros est méfiant, il se colle dos au mur. Mais il est pris par surprise lorsqu’un individu caché derrière la roue du camion surgit et ouvre le feu ! La balle se loge en pleine tête de l’ancien caporal, qui passe l’arme à gauche.
Son cadavre sera transporté et enterré en forêt.
Personne n’a retrouvé le corps à ce jour.
Toutes les menaces ont donc été supprimées, le gang des Lyonnais peut sereinement reprendre son activité.
OK, mais jusqu’à quand ?
La traque
16 mai 1973.
Les enquêteurs découvrent l’existence d’un autre personnage dans le groupe de braqueurs qu’ils suspectent. Pierre Pourrat est identifié pour la première fois à la sortie d’un café parisien, avec à ses côtés Jean-Pierre Gandeboeuf, alias Christo.
L’enquête progresse.
Pendant ce temps, les gangsters continuent les braquages.
Le 31 octobre 1973, ils s’attaquent à une usine de teinturerie, dans la commune de Tarare, à une quarantaine de minutes de Lyon. Ce jour-là, ils ciblent la paie des ouvriers, environ 270 000 francs ; le braquage ne dure quelques minutes.
Cinq jours plus tard, Momon et sa bande remettent ça à Chazelles-sur-Lyon, dans le département de la Loire. Encore une fois, le casse se déroule sans accroc.
Puis un autre braquage, à Feurs, à une heure de route de Lyon. Ils s’en prennent cette fois-ci à un convoi transportant plus de 300 000 francs et repartent en moins de 30 secondes…
Pour les gangsters, c’est un jeu d’enfant. Les employés étant payés en liquide à l’époque, l’argent destiné à payer les ouvriers est transporté dans de simples voitures légères, et qui plus est, sans escorte. Ces dernières roulant de plus sur des routes de campagne isolées, le détournement de fonds était du coup chose aisée.
La PJ elle enquêtera sur ces 3 hold-up, mais elle ne trouvera que de maigres indices…
L’enquête piétine, lorsqu’un rebondissement se produit !
Un indic’ leur file un tuyau particulièrement intéressant : d’après lui, les Lyonnais seraient en train de préparer un gros coup dans le secteur de Grenoble.
Une information qui n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd. Très vite, les autorités s’activent en mettant en place un dispositif exceptionnel pour coincer les voyous : plusieurs lieux sensibles sont mis sur écoute, des policiers patrouillent à pied et d’autres se planquent dans des voitures.
Certains sont postés dans un cimetière, non loin du lieu où les gangsters sont censés frapper.
Il fait un froid glacial, mais pas le choix, il faut lutter. Les conditions sont tellement dures qu’un commissaire de la PJ fait un malaise dû au froid, ce qui le contraint à aller en urgence à l’hôpital.
Pendant 45 jours, ils vont surveiller la zone, dans l’espoir de prendre les voyous en flagrant délit.
Mais rien ne se passe…
En fait, les gangsters sont à l’autre bout de la France, là où personne ne les attend, pour commettre un autre braquage. Ils sont en effet à Nantes, pour s’en prendre à la recette d’un magasin Carrefour, qui contient près de 940 000 francs en espèces. L’action est rapide et déterminée, leur permettant de repartir sans avoir à faire usage de la violence.
Pour la PJ, c’est un véritable coup dur, le gang des Lyonnais semble insaisissable, toujours à avoir un coup d’avance sur la police.
Et les gangsters, eux, ne ralentissent pas le rythme : au mois de janvier 1974, ils braquent à nouveau, à Angers cette fois-ci, pour un butin de 620 000 francs.
Du côté des hautes autorités de l’État, le ras-le-bol commence à se faire sentir, ce manège ne les fait plus du tout rire. Il devient impératif de mettre les bouchées doubles.
Ainsi, le 20 mars 1974, une instruction pour « association de malfaiteurs » est ouverte.
Une nouvelle stratégie judiciaire est mise en place et pendant ce temps la police, elle, accélère.
Elle va alors, comme un aveu d’impuissance, aller jusqu’à infiltrer illégalement l’appartement d’Edmond Vidal pour y placer des mouchards et fouiller les affaires du gangster.
Là-bas, ils trouveront une collection de cartes Michelin et des notes, qu’ils étudieront soigneusement. Dessus sont inscrits des itinéraires avec des noms de ville notés en verlan, qu’ils arrivent à décoder : Chalon, Mâcon, Dole, le Puy, Romans, autant de villes où le gang peut potentiellement frapper. Pour la police, l’idée est de poster des équipes sur chaque point pour couper la retraite des bandits si jamais ils venaient à passer par là.
L’opération « Chacal » est lancée.
À partir du début de mois de décembre 1974, 118 fonctionnaires sont mobilisés et déployés sur 6 points géographiques précis.
18 départements sont ciblés par les autorités qui mettent le paquet pour arrêter les bandits :
- de multiples barrages sont installés avec des herses ;
- des agents reçoivent l’ordre de se poster à une dizaine de kilomètres des points d’interception pour donner l’alerte ;
- et des postes de tir sont même disposés.
Bref, la police ne rigole plus, son intention est claire : à la vue des gangsters, que l’on sait lourdement armés, ils ouvriront le feu.
Le plan confidentiel « Chacal » semble parfait, une stratégie qui fera à coup sûr tomber le gang des Lyonnais. Et comme si ce n’était pas assez, la PJ mettra en place 600 gendarmes supplémentaires sur 200 km afin de bloquer tous les ponts où le gang est susceptible de passer.
Mais les jours défilent et toujours rien en vue.
Un ancien commissaire se souvient :
« Trois semaines à attendre, on n’a rien vu passer. Finalement, heureusement qu’ils ne sont pas passés chez nous, on aurait eu droit à un massacre ».
Et pour cause, les gangsters sont bien éloignés de la zone où on les attend.
Ils se trouvent en fait dans le nord de la France, en train de braquer 2 cibles à la fois !
Mais le plus incroyable, c’est que, pour la première fois, ils décident de changer le plan de leur cavale. Momon, ayant eu une mauvaise intuition, décide finalement qu’ils passeront par l’autoroute !
Les autorités, qui pensaient couper leur retraite grâce à l’exceptionnel dispositif mis en place, sont alors prises à revers.
Les policiers essuient de nouveau un échec cuisant…
Ainsi, le gang des Lyonnais a pu tranquillement retourner au bercail sans avoir eu à faire face aux forces de police, qui les attendaient pourtant de pied ferme. Ces gars-là semblent décidément inarrêtables…
Enfin… jusqu’au jour où la police a décidé que c’en était assez.
Agacées par la réussite des malfrats, les autorités ne vont plus se faire prier pour passer à l’action. Sachant qu’ils ne pourront jamais les arrêter en flagrant délit, ils se résolvent à mettre sur leur dos un dossier d’association de malfaiteurs.
Le juge Renaud leur transmettra alors les mandats d’arrêt pour les arrestations et, le 19 décembre 1974, ils se feront coincer un à un : Momon et son frère Joseph, Pipo, Michel et son frère Constantin, Chaïne, Jean-Pierre, Christo et son frère Robert, tous sont arrêtés.
Finalement, seul Pourrat manque à l’appel, mais pas pour longtemps, puisqu’il se fait arrêter le lendemain.
La police réussit enfin à mettre la main sur le gang des Lyonnais. Maintenant, encore faut-il avoir des preuves irréfutables pour les condamner à la prison, car tout ce qu’ils ont pour le moment est plutôt léger…
Un constat qui va changer lorsque les enquêteurs vont tomber sur une des planques des gangsters, située rue Sainte-Marie des Terreaux à Lyon.
Une planque qui s’avérera être une mine d’or pour les autorités. À l’intérieur, ils découvrent toute une panoplie d’armes à feu, de faux documents, de cagoules et surtout, des liasses de billets provenant des casses réalisés dans le nord de la France.
Le dossier s’étoffe.
Dès lors, pour le juge Renaud, il n’en faut pas plus pour les inculper pour association de malfaiteurs.
L’heure de répondre devant la justice est arrivée.
Dans l’attente du procès, les membres du gang sont répartis dans différentes prisons. Avant cela, ils avaient passé 48 heures de garde à vue et, le moins que l’on puisse dire, c’est que les interrogatoires étaient particulièrement musclés.
Jean-Pierre Mardirossian dira :
« Dès que les stores commencent à se fermer, c’est mauvais signe. Pendant 48 heures, j’ai passé un enfer ».
Des méthodes de torture sont employées par la police pour faire parler les détenus, mais personne ne bronche, hormis Pipo, qui cédera mentalement après les violences subies. Il dira notamment avoir participé aux braquages dans le nord, mais ne donnera aucun nom.
La pression psychologique exercée par les policiers (qui suivent les ordres du juge Renaud) se fait également par le biais d’arrestations plutôt étonnantes. Certaines femmes et mères des gangsters se font arrêter, ce qui provoque une rage chez ces derniers, qui ne coopèrent toujours pas.
La PJ pense alors pouvoir prouver l’implication des Lyonnais dans 18 attaques à main armée.
La bataille judiciaire peut commencer.
Puis arrive l’inconcevable…
Le 3 juillet 1975, le juge Renaud, en charge de l’affaire sur les Lyonnais, est assassiné alors qu’il rentrait chez lui avec sa compagne.
Une nouvelle qui bouleversera le jugement en cours, déjà bien animé…
Naturellement, les soupçons vont se porter sur le gang des Lyonnais, qui niera complètement son implication.
Momon Vidal dira, dans une lettre adressée à la presse :
« M. Renaud était un magistrat dont je n’approuvais pas les méthodes, mais je réprouve de la manière la plus totale son assassinat ».
Dans ses mémoires, il ajoutera :
« Cette mort constitue une véritable catastrophe , risquant d’attirer sur nous la foudre des magistrats s’il sont assez naïfs pour croire qu’on peut assassiner un juge d’instruction avant de passer en jugement ».
Encore aujourd’hui, le mystère reste complet autour de cette affaire.
Scène de crime suite à l’assassinat du juge François Renaud.
C’est donc dans ce climat de tension que les gangsters vont se rendre au procès, qui débute le 20 juin 1977.
Un procès qui fera énormément parler de lui, que ce soit dans la presse ou à la télévision.
*Voir l’épilogue de cette histoire dans la vidéo ci-dessous* 👇
Vidéo sur l’histoire du gang des Lyonnais
Sources
https://www.babelio.com/livres/Schittly-Le-gang-des-Lyonnais/692002
https://www.babelio.com/livres/Vidal-Pour-une-poignee-de-cerises-le-gang-des-lyonnais/320072
https://fr.wikipedia.org/wiki/Gang_des_Lyonnais
https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Aug%C3%A9
Documentaire – Le Gang des Lyonnais, de Stéphane Granzotto Reportage – Il était une fois : leurs plus grandes affaires, de Sébastien Girodon