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Frank Costello : Le Parrain qui a inspiré Vito Corleone

Vito Corleone dans la saga « Le Parrain » est un personnage fictif, ça, ce n’est un secret pour personne.
En revanche, combien de gens savent qu’il a été inspiré de vrais parrains de la mafia new-yorkaise actifs durant les années 40/50 ? Peu, j’imagine. Et pourtant, il est assez aisé de faire un rapprochement entre Don Corleone et la réalité. sdfsdfds

Regardez un peu.
Le style de vie discret de Don Vito dans le film pour passer sous le radar des autorités ? C’est un clin d’œil à la vie du parrain Carlo Gambino.
Le fait de le voir atteindre très jeune une position de leader dans la pègre, puis de le voir plus tard ordonner à son fils de ne pas suivre le même chemin que lui ? On pense à l’histoire de Joseph Bonanno.
L’entreprise d’huile d’olive pour couvrir les affaires illégales de la famille ? C’est une référence à l’entreprise d’importation que Joe Profaci avait ouverte dans les années 20.

Mais c’est qui est encore plus flagrant, c’est ce rapprochement que l’on peut faire avec cet autre parrain.
Un parrain que l’acteur Marlon Brando ira jusqu’à imiter en adoptant un timbre de voix et une gestuelle quasi similaire.
Un parrain qui disposait comme Don Corleone d’une forte influence relationnelle par le biais de ses nombreux contacts dans la politique.
Un parrain qui refusait catégoriquement que ses hommes s’impliquent dans le trafic de drogue, tout comme Don Vito. Et qui finalement a eu une vie relativement semblable à celle du personnage fictif que l’on ne présente plus aujourd’hui.
Vous avez sans doute deviné de qui on parle : on parle du « Premier ministre du milieu », Frank Costello.

Frank Costello avait été surnommé comme ça, parce qu’il avait beaucoup de contacts chez les politiques et qu’il privilégiait toujours la paix à la guerre au sein de la pègre.
Considéré comme l’un des mafieux les plus respectés et influents de toute l’histoire de la Mafia, il avait effectivement à sa botte tout un tas de politiciens qu’il utilisait pour faire profiter tout le milieu new-yorkais. À lui seul, il représentait à l’époque la force politique la plus puissante de New York. Dites-vous que dans les années 40/50, personne ne pouvait devenir juge, haut fonctionnaire ni même maire de la ville sans l’approbation de Frank. C’est dire l’influence qu’il avait.

Son credo, c’était de toujours éviter les ennuis, Frank les évitait comme la peste à vrai dire, ainsi lorsque les autres gangsters s’entretuaient dans des guerres de territoire sanglantes, lui comptait tranquillement ses liasses de billets dans son luxueux bureau. Nul besoin de violence, quand on peut l’éviter en graissant la patte à quelques personnes haut placées.

Frank Costello était alors devenu dans les années 40 le nouveau parrain de la famille Luciano après que son ami Lucky se soit fait expulser des États-Unis.
C’est son ingéniosité, sa détermination et son sens des affaires développé qui l’ont propulsé au plus haut rang de la Mafia. Et pour atteindre cette position dominante, Dieu sait qu’il s’en est passé des choses, c’est pourquoi je vous propose ici d’en savoir plus sur ce personnage historique encore trop méconnu du grand public.

Des petits gangs indépendants de New York au tout début du XXe siècle, au pain béni qu’était la Prohibition dans les années 20, à son ascension dans la Cosa Nostra avec son associé Lucky Luciano, en passant par sa rivalité avec l’intraitable Vito Genovese, vous saurez désormais tout sur la vie de Frank Costello, le parrain, le vrai.

Nouveau Monde

C’est un garçon. Le sixième enfant de la famille Castiglia.
Pour les parents, Luigi et Maria, c’est un évènement plutôt inattendu, ils ne s’attendaient pas à ce que le 26 janvier 1891 soit le jour de naissance de leur nouvel enfant. Mais c’était une bonne nouvelle quand même et il fallait désormais le baptiser.
Au grand complet, les membres de la famille Castiglia se sont donc rendus à l’église de leur village situé dans la région calabraise, Lauropoli. Luigi et Maria avaient emmené avec eux leur fils Eduardo ainsi que leurs 4 filles.

« Buon augurio del bambino ! », s’exclament les habitants du village pour porter chance au nouveau-né.

Des souhaits de bonne chance accueillis timidement par Luigi Castiglia. Leur famille était déjà très pauvre et l’arrivée d’un 6e enfant n’allait malheureusement pas arranger les choses…
Son épouse Maria de son côté voyait les choses différemment, pour elle il s’agissait d’un don de Dieu.

« Quel prénom voulez-vous donner à l’enfant ? », demande le curé de la paroisse.

« Francesco », lui répond-on.

Francesco Castiglia.
La vie de celui qui allait se faire plus tard appeler Frank Costello venait donc de commencer.

 

Vers 1893, la famille Castiglia doit se diviser en 2.
Don Luigi décide en effet de partir en Amérique dans l’espoir de fuir la misère de la campagne italienne. Les faibles ressources dont il dispose ne lui permettent pas d’emmener toute sa famille avec lui, alors il est contraint de laisser sa femme, ses deux de ses filles et son fils Francesco en Calabre.
Don Luigi est certain qu’il gagnera plus d’argent en Amérique et que le reste de sa famille le rejoindra rapidement. Pour lui, ce n’est qu’une question de temps.
Mais la déception sera grande, puisqu’arrivé en Amérique, il peine à économiser et acheter les billets de bateau restants. La vie là-bas était en fait aussi dure que dans la campagne calabraise ; Luigi n’avait finalement fait qu’échanger une misère pour une autre…

« Vendez tout, même les draps s’il le faut, même si vous devez emprunter quelques lires à quelqu’un, mais venez en Amérique », dira-t-il à sa femme.

Ainsi après 2 ans écoulés, les derniers billets sont achetés. Le reste de la famille peut enfin rejoindre les États-Unis.
1895 est l’année à laquelle Francesco Castiglia part donc pour le Nouveau Monde.
Il se souviendra plus tard de ce moment-là :

« Nous étions trois : ma mère, ma sœur et moi. Pour tout bagage, nous n’avions emporté d’Italie que l’énorme marmite en fonte dont ma mère aimait se servir pour faire la cuisine. On avait transformé la marmite en berceau, en y installant une couverture, et c’est là que j’ai dormi pendant tout le temps de la traversée ».

 

En Amérique, les Castiglia s’installent dans un appartement précaire du ghetto italien de East Harlem à New York.
Ils ne se sentent pas beaucoup dépaysés, puisque le quartier très animé dans lequel ils vivent est composé en grande majorité de Calabrais. Là-bas, tout le monde parlait italien, sauf peut-être l’agent de police du quartier, qui était généralement irlandais.

Pour subvenir aux besoins de sa famille, Luigi Castiglia ouvre alors une épicerie dans la 108e rue.
Mais le commerce rapporte peu, il y a tout juste de quoi pouvoir payer le logement et la nourriture, et ce, malgré l’aide de Maria et des enfants.
La progéniture, qui pousse vite, n’a jamais de quoi satisfaire sa faim. La vie est dure.
Au diner, Francesco ne manquait jamais d’ailleurs de comparer le contenu de son assiette avec celui de son frère et de ses sœurs pour s’assurer qu’on lui avait servi sa juste part.
Un de ses amis racontera un jour :

« Quand vous diniez régulièrement avec Frank, vous appreniez bien vite qu’il ne fallait surtout pas toucher au contenu de son assiette. Pas question de « goûter » à ce qu’il avait commandé, comme cela se fait souvent entre amis ; pour Frank, il s’agissait là d’un péché capital. Lorsqu’une personne se livrait à ce genre de pratique, il poussait son assiette sur le côté et n’y touchait plus. Il suffisait de le regarder pour comprendre qu’il était absolument furieux. Il appelait aussitôt le maître d’hôtel et commandait deux portions supplémentaires : une pour celui qui avait osé grappiller dans son assiette, la seconde pour lui. Ce n’était pas par peur des microbes, non, il avait tout simplement horreur que l’on mange dans son assiette. Je crois que cette phobie remontait à son enfance si pauvre : il défendait inconsciemment le contenu de son assiette contre les atteintes extérieures ».

C’est à l’âge de 9 ans que Francesco commence à fréquenter l’école. Une période à laquelle on trouve pour la première fois son prénom sous sa forme anglaise : un rapport indiquant en effet que Frank Castiglia était entré en école primaire.

Pour le jeune Frank, apprendre la langue de Shakespeare est alors une épreuve. D’une façon générale, il semble que l’école n’est pas faite pour lui, il déteste aller en classe, et préfère davantage courir les rues. Au moins dehors, il peut gagner un peu de sous.
Son grand frère Eduardo (qui changera aussi de prénom en se faisant appeler Edward) lui apprend d’ailleurs à améliorer son train de vie en volant quelques fruits chez les marchands du quartier.
Cela permet à Frank de suivre doucement, mais sûrement, le chemin de la délinquance.
Évidemment, ses parents n’ont pas du tout apprécié :

« Va à l’école, Francesco », lui dit son père.

« Mais j’y vais papa, j’y vais tous les jours », rétorque Frank.

« Je n’aime pas beaucoup tes amis, Francesco : ce sont des voyous, et ils ne feront rien de bon dans la vie ».

C’est alors que Frank s’adresse à sa mère :
« Je deviendrai quelqu’un, Mama. Et je peux te dire que je ne moisirai pas dans une épicerie ».

« Veux-tu bien te taire ! Tu dois respecter ton père, tu m’entends ? Tu lui dois le respect ».

« Oui, Mama… »

Frank détestera et méprisera son père tout au long de sa vie. La raison était qu’il le considérait comme trop mou, trop humble et si content de son sort. En fait, il ne comprenait tout simplement pas pourquoi il avait accepté cette vie si pauvre et médiocre…

Frank quitte définitivement l’école à l’âge de 13 ans. Désormais, il se fond parfaitement dans la petite délinquance de son quartier. L’école du crime, c’est là où Frank avait choisi de « s’éduquer ». Une école qui, au début du XXe siècle, formera dans les ghettos du New York certains des plus grands gangsters de l’histoire des États-Unis. Frank était sur le point d’en faire partie.

Avant les années 20 à New York, les gangsters ne se mélangeaient pas et restaient généralement entre eux : les Irlandais avec les Irlandais, les Juifs avec les Juifs, les Italiens avec les Italiens etc.
Les Irlandais avaient alors le West Side, tandis que les Italiens et les Juifs contrôlaient le East Side.
À East Harlem, le quartier où vit Frank Castiglia, c’est un sicilien et chef mafieux du nom d’Ignazio Lupo qui domine le secteur dans les années 1900.
« Lupo le Loup », comme on le surnomme, avait en effet réussi à avoir la mainmise sur la ville en fusionnant son organisation avec la famille de Giuseppe Morello. La Cosa Nostra sicilienne dont il fait partie domine alors clairement la pègre new-yorkaise à cette période. D’autres organisations comme la Camorra napolitaine ou la ‘Ndrangheta calabraise ont aussi une certaine forme d’influence, mais ce sont bel et bien les Siciliens qui règnent sur le monde souterrain.

À l’origine, la Mafia est une société secrète créée par des Siciliens pour des Siciliens. Protéger son peuple des méfaits perpétrés par les nombreux envahisseurs, c’était ce qu’elle avait fait tout au long de son histoire jusqu’à devenir un véritable État dans l’État.
Mais le truc, c’est qu’une fois importé aux États-Unis, les chefs de la Mafia ont décidé d’oublier ce qui avait fait l’essence même de leur organisation et ont alors commencé à extorquer leurs propres frères Italiens, et ce, plus que tout autre.
Ignazio Lupo faisait partie de ces racketteurs, ses hommes venaient toquer à la porte des commerçants et leur demandait de payer un impôt en échange d’une protection. Et si vous étiez à la place du commerçant, vous aviez tout intérêt à payer la taxe, sinon ils vous passaient à tabac sans vergogne. Et si ça ne suffisait pas, eh bien ils brûlaient tout simplement votre boutique.
Vous alliez porter plainte au commissariat du coin et là, c’était la mort assurée…
Mais avant que l’on vous fasse du mal, la Mafia vous avertissait en général en vous envoyant une lettre marquée d’une « Main Noire », c’était l’emblème de leur méthode d’extorsion, un sinistre cachet qui terrifiait alors tous ceux qui avaient le malheur de le recevoir.

Ces bandes de racketteurs, connues sous le nom de la Main Noire, n’étaient pas aussi organisées que la Mafia moderne que l’on connaîtra à partir des années 30. Leur organisation n’avait ni code de conduite formellement structuré ni vraie hiérarchie. Mais il y avait cependant une règle que tous respectaient scrupuleusement : l’omertà, la loi du silence.
Frank Castiglia, qui continue à cette époque son apprentissage dans les rues de East Harlem, la respecte lui consciencieusement. Il avait bien vu que dans son quartier les balances n’étaient pas bien vues. Cracher le morceau dans un commissariat équivalait en effet à être méprisé dans la rue, être traité de moins que rien et dans le pire des cas, cela voulait tout simplement dire signer son arrêt de mort. Frank avait donc bien compris cela, si bien d’ailleurs qu’il ne dénoncera pas une seule personne de sa vie, pas même ses ennemis.

En 1910, Ignazio Lupo et Guiseppe Morello, les chefs mafieux associés de la famille Morello (qui a à ce moment-là la plus grande influence à New York), sont arrêtés et envoyés en prison pour contrefaçon.
Ces arrestations permettent alors à un autre patron du crime de prendre la relève. Un boss non pas sicilien cette fois-ci, mais napolitain et affilié à la Camorra : Giosue Gallucci.
Après la baisse d’influence de la famille Morello, Galluci prend en effet le pouvoir à East Harlem, le quartier où vit Frank. Ce dernier est réputé pour être un homme d’affaires prospère, une richesse qu’il obtient grâce au racket, la loterie clandestine et sa grande influence dans l’appareil politique démocrate, le Tammany Hall, ce qui lui permet d’avoir une quasi-immunité contre les forces de l’ordre. « L’Italien le plus puissant politiquement de la ville » voilà comment les gens l’appelaient.
Il n’est ainsi pas impossible que Frank se soit inspiré de Galluci quand on connaît le chemin qu’il va prendre ensuite dans le crime organisé.

Quoi qu’il en soit, pour Galluci, le règne prend fin brutalement dans la nuit du 17 mai 1915.
Cinq gangsters d’une bande rivale napolitaine décident ce soir-là de le tuer, lui et son fils, dans un café.
Eh oui, même en étant entouré d’amis hauts placés, un boss de la pègre pouvait se faire descendre. Une leçon qui n’a sans doute pas échappé à Frank à ce moment-là. Le vieil adage selon lequel il valait mieux garder ses amis de confiance près de soi et encore plus près ses ennemis prenait tout son sens.

 

« Pourquoi ne vas-tu pas travailler ? ».
Ce jour-là, Don Luigi Castiglia s’interroge, son fils avait été vu par des voisins traîner dans les rues toute la sainte journée.
Étrangement, Frank décide cette fois-ci de l’écouter, il part chercher un boulot comme son père lui a dit et en trouve un chez un livreur de pianos. Mais ça ne dure même pas un an. Le travail est trop pénible et en plus mal payé, pour Frank le choix est donc vite fait : plutôt subir la colère paternelle que de devoir travailler 12 heures par jour pour une misère.
La tentation de la rue étant trop forte, Frank retourne alors à des activités peu catholiques telles que le vol à la tire et le cambriolage.
Il y passe clairement tout son temps, puis un jour, il se fait prendre en flagrant délit par un policier qui fait sa ronde. Frank est arrêté, il est maintenant sur le chemin pour être emmené au commissariat, quand tout à coup un conseiller municipal, qui le reconnait, intervient !

« Je vais m’occuper de ce petit macaroni », dit-il en clignant de l’œil au policier. L’agent, qui ne s’embête pas, laisse alors au politicien le soin de s’occuper de Frank.

« Je viens de te rendre un service, petit. Essaie de t’en souvenir quand j’aurai besoin de ton aide », dit le conseiller à Frank.

Frank est stupéfait, pourquoi cet homme lui avait fait cette faveur en le relâchant des mains du policier ? Ça y est, il saisit : il venait en fait de comprendre l’importance de rendre service à autrui, c’était un peu comme déposer de l’argent à la banque, on pouvait puiser dans le compte lorsqu’on en avait besoin, et plus il était gros, plus l’on était à son aise.
Une leçon qu’il ne manquera pas de mettre en pratique pour développer plus tard l’un des plus gros trafics d’influence de l’histoire du crime organisé américain.

D’ailleurs, c’est à cette période que Frank Castiglia change de nom, désormais il se fait appeler Frank Costello.
Pourquoi Costello ? On ne connaît pas vraiment la raison, sans doute l’avait-il changé pour que les policiers ne remontent pas jusqu’à ses parents, ou alors c’était pour mieux se faire accepter dans la société, Costello étant un patronyme irlandais aussi surprenant que cela puisse paraître.
Mais il y a peut-être une autre raison encore. Celle-ci provenant cette fois-ci des mémoires de Charlie Lucania, plus connu sous le nom de Lucky Luciano, un immigré italien qui, comme Frank, faisait ses armes dans les rues de l’East Side.

Il existe différentes versions sur la manière dont se sont rencontrés les deux hommes, d’après l’une d’entre elles, ils auraient fait connaissance au début des années 20. Néanmoins, une autre (racontée par Lucky Luciano lui-même) dit qu’ils se seraient rencontrés quelques années avant :

« C’est arrivé dans un cinéma de Times Square, je crois qu’il s’appelait le Victoria. C’était samedi soir et j’étais monté vers le centre avec quelques-uns de mes gars, histoire de voir un peu ce qu’il s’y passait.
On aimait bien aller au cinéma parce que ces films muets avaient des sous-titres et que ça nous aidait à apprendre l’anglais. On prenait toujours des fauteuils au balcon, bien sûr ; d’abord c’était moins cher, et puis on pouvait balancer des trucs sur les gens assis à l’orchestre et foutre un bordel monstre dans la salle. Ce soir-là, le directeur vida en même temps que nous une autre bande de gars assis de l’autre côté du balcon. Un des types était un peu plus vieux que nous et dirigeait une bande appelée le « Gang de la Cent quatrième Rue ».
On a fait connaissance et il m’a dit qu’il ne venait pas de Sicile, mais de Cosenza, en Calabre. Il s’appelait Francesco Castiglia, mais plus tard, il allait devenir célèbre sous le nom de Frank Costello.
La première fois que je l’ai entendu parler, j’ai dû me pencher pour comprendre ce qu’il disait, parce qu’il avait la voix très enrouée, comme s’il avait un rhume. Des tas de gosses italiens parlaient comme ça.
Leurs mères voulaient qu’ils aient toutes leurs chances dans la vie et elles pensaient que pour ça, il fallait leur faire enlever les amygdales et les végétations au premier éternuement. Mais souvent le toubib n’était pas très bon, le bistouri dérapait et à partir de ce jour-là, le gosse parlait comme s’il avait un mal de gorge permanent. C’est ce qui était arrivé à Frank ».

Frank Costello et Lucky Luciano deviendront par la suite de très bons amis. Il faut dire que les deux jeunes hommes aspiraient aux mêmes ambitions dans la vie, ils étaient tous les deux lucides, ingénieux et prêts à tout pour faire leur nid dans la pègre.

Par la suite, ils feront dès lors la rencontre de deux autres gangsters tout aussi ambitieux qu’eux.
Deux juifs également issus des quartiers de l’East Side : Meyer Lansky, un type de petite taille rusé et dur à cuire. Et Benjamin Siegel surnommé « Benny » ou « Bugsy », un grand type, beau garçon dont l’apparence pouvait être trompeuse, car il avait la gâchette facile.
Les quatre ont donc formé une bande. Une association dont Luciano se souvient :

« On formait la meilleure équipe qui ait jamais existé. On connaissait notre affaire mieux que n’importe qui dans la rue. On était comme les quatre Chevaliers de Notre-Dame, excepté qu’on se demande ce que 2 juifs ficheraient à Notre-Dame ».

Et donc, pour revenir à l’autre possible raison du choix du nom « Costello », Lucky Luciano raconte cette anecdote dans laquelle le groupe fraichement constitué commet son premier coup :

« On allait faire un casse dans un entrepôt sur les quais. Benny devait passer devant pour neutraliser le gardien de nuit. Alors qu’on était en train de mettre l’opération au point, Meyer a dit qu’il n’était pas d’accord. Il a dit quelque chose comme :
– Pourquoi est-ce que les Juifs, Bugsy et moi, doivent toujours passer devant et prendre les plus gros risques, alors qu’ensuite on partage tout en parts égales ? Après tout, il y a deux Italiens dans la bande, alors pourquoi vous ne prendriez pas les mêmes risques ?
– Qu’est-ce que tu veux dire, deux Italiens ? Je lui ai dit. On est un Rital, un Irlandais et deux Juifs, comme dans le quartier.
Lansky m’a regardé comme si j’étais timbré :
– Qu’est-ce que tu racontes ? Un Rital et un Irlandais ? Où tu vois un Irlandais, toi ?
J’ai commencé à rire et j’ai montré Frank du doigt.
– Lui. Il est irlandais. Tu sais, Frank Costello.
Dès lors, Costello s’est fait appeler comme ça. Je me souviens qu’après ça on a raconté cette histoire tant de fois que des tas de gars appelaient Costello en disant : « eh ! L’Irlandais ! » Et bien sûr plus tard, quand on a été enfoncés jusqu’au cou dans la politique à New York, ça ne nous a pas fait de mal d’avoir un type avec un nom irlandais comme Costello avec nous. »

 

Frank était encore un adolescent, mais pour son âge, il paraissait vraiment mature et sûr de lui. Il avait la tête sur les épaules et était capable de garder son sang-froid même lorsque la situation devenait tendue. Un profil qui n’a pas échappé à la vue des racketteurs de East Harlem, qui n’ont pas tardé à s’intéresser à lui, notamment un des gangsters du quartier qui l’enrôle pour collecter l’argent du loyer de ses appartements.
Un travail que Frank fait bien, il est assidu à la tâche et rend toujours sa collecte jusqu’au dernier sou. Arrive alors un jour où il se rend chez une locataire blonde, la quarantaine, une femme qui avait sûrement dû être jolie plus jeune, mais dont la beauté n’était maintenant plus qu’un lointain souvenir. « Valise défoncée », c’était comme ça que Frank la qualifiait.
Bref, arrivé à son appartement, il lui demande le loyer comme prévu. Mais là, la blonde lui dit qu’elle ne l’a pas, ce qui n’arrange évidemment pas les affaires de Frank. Il décide toutefois d’être clément pour le coup et prétexte plus tard à son patron que la locataire était finalement absente lors de la collecte. Ce geste, Frank ne le sait pas, mais il va amèrement le regretter.
Quelque temps après donc, il se rend de nouveau chez la blonde pour collecter le loyer.
La porte s’ouvre, et là Frank voit la femme en robe de chambre. Cette dernière l’invite à entrer, Frank s’assoie sur le divan quand il remarque une chose : la bonne femme est nue sous son peignoir. Pour Frank, c’est peut-être l’occasion de perdre sa virginité, mais… après avoir réfléchi, il se dit qu’elle n’en vaut finalement pas la peine. Un avis qui changera progressivement lorsqu’il boira un verre de vin proposée par la dame. La quadragénaire devient soudainement plus attirante à ses yeux :
« Ses cheveux blonds et frisés devenaient longs et soyeux ».
Quelque temps après, Frank quitte l’appartement.
Il va voir son chef pour lui apporter l’argent des loyers et lui dit qu’il a malheureusement perdu l’enveloppe que la blonde lui a donnée. Ce n’est certainement pas ce que son patron voulait entendre… Frank se fait du coup immédiatement rectifier le visage et rouer de coups de pied, et ce, en pleine rue ! Ce jour-là, il recevait la plus belle raclée de sa vie.
Une raclée dont il se servira de leçon pour ne plus tomber dans le même piège, au point où il utilisera une espèce de code avec ses amis lorsqu’une affaire sera jugée intuitivement peu sûre.
Quand ça arrivait, Frank regardait alors longuement l’individu en face de lui et disait à haute voix :

« Ses cheveux deviennent plus longs et plus soyeux », lorsqu’il annonçait ça, ses amis comprenaient tout de suite le message…

« À jouer avec le feu, on finit par se brûler », Frank Costello allait tôt ou tard faire à la justice, ce n’était qu’une question de temps :

  • Sa 1re arrestation a eu lieu le 25 avril 1908. Frank, accompagné de deux autres jeunes voyous, se fait arrêter ce jour-là dans le Bronx après avoir passé à tabac et vider les poches d’un marchand de charbons. Devant le juge, il plaide « non coupable » et bénéficie d’un non-lieu. Pour cette première, disons qu’il s’en sortait bien.
    Ce que vous voyez est la photo prise après son arrestation.
  • Puis il y en a eu une autre le 16 octobre 1912 sur la 108e. Cette fois-ci, pour un vol à main armée. Frank, toujours accompagné de deux complices, dérobe en effet près de 3600$ en liquide et 220$ de bijoux à une ménagère. Le jour du jugement, il plaide de nouveau « non coupable » et s’en sort par on ne sait quel miracle par un non-lieu. Peut-être avait-il menacé la plaignante d’abandonner les poursuites ? Nul ne le sait, quoi qu’il en soit, la chance lui sourit encore.

Mais ensuite, il commet le délit de trop.
L’arrestation se passe à Manhattan le 2 mars 1915, soit quelques mois après que Frank ait épousé une jolie brunette du nom de Bobby Geigerman.
À cette époque, Frank avait pris l’habitude de ne plus sortir sans son revolver, sauf que ce jour-là, manque de bol, il se fait arrêter pour port d’armes.
Aux enquêteurs, il dit dans un premier temps s’appeler Frank Saverio (en référence au nom de jeune fille de sa mère), puis déclare finalement que son véritable nom est Stello (c’était évidemment une façon de brouiller les pistes pour ne pas qu’ils remontent jusqu’à sa véritable identité).
Mais Frank comprend que cette fois-ci, ce ne sera pas aussi facile de se tirer d’affaire. Plaider non coupable n’apportera pas de non-lieu, et la caution pour la mise en liberté provisoire, elle, est trop élevée. Sans solution, il n’a donc pas le choix : va falloir qu’il croupisse derrière les barreaux avant son jugement…

Le temps passe, et la prison commence progressivement à lui peser. Bon c’est décidé, il va plaider coupable, même si c’est une décision qu’il accepte à contrecœur…

« Et maintenant, Saverio, dites-nous donc votre nom véritable », demande le juge à Costello, qui lui répond.

« Stello ».

Le juge reprend :

« Je vois qu’en 1908, c’est-à-dire il y a 7 ans, l’accusé a été arrêté pour vol et voies de fait, et qu’il a bénéficié d’un non-lieu. Je vois qu’il a été arrêté une seconde fois en 1912, pour les mêmes motifs, et qu’il a cette fois encore bénéficié d’un non-lieu. À l’occasion de l’une et l’autre de ces deux affaires, il a déclaré s’appeler Frank Costello. Cette fois, en revanche, il affirme que son véritable nom est Frank Saverio. Par ailleurs, un certain nombre de lettres m’a été adressé en sa faveur, mais il n’en reste pas moins que sa réputation est loin d’être excellente.
On peut même dire qu’elle est très mauvaise : d’après certains voisins, l’accusé a la réputation d’être un bandit ; de fait, il s’est assurément conduit en bandit dans le cas qui nous préoccupe ».

« Votre Honneur me donnera-t-il une autre chance ? », dit Costello en désespoir de cause.

« Vous avez eu des chances au cours des six dernières années, et ces chances doivent cesser un jour ».

« Si je plaide coupable, Votre Honneur, c’est parce que je suis en prison depuis un mois et que mes charges familiales exigent que j’évite les ennuis au maximum. Cela dit, on n’a pas retrouvé le revolver sur moi, mais à 100 mètres de l’endroit où je me trouvais ».

« C’est vrai, mais vous oubliez de préciser que les policiers qui vous suivaient vous ont vu le jeter. En d’autres termes, votre conduite a été celle d’un individu coupable à tous égards. Je vous condamne à un an de pénitencier, alors que la loi stipule que le délit dont vous vous êtes rendu coupable devrait vous valoir 7 ans de prison ».

Frank purgera onze mois sur les douze prévus (sa bonne conduite lui ayant valu une remise de peine).
Libre en avril 1916, il retourne alors traîner dans les rues de East Harlem.
En prison, il avait mûrement réfléchi sur son avenir. Il était bien décidé à ne plus retourner au trou. Courir dans les rues avec une arme à feu avec la perspective de refaire de la prison ou pire, perdre la vie ne faisait pas partie de ses plans :
« C’est à ce moment-là que j’ai réalisé que j’étais stupide. Porter une arme, c’était comme porter une étiquette qui disait : « Je suis dangereux, je suis un criminel, sortez-moi de la rue ». J’ai décidé de ne plus jamais porter d’arme et je suis resté fidèle à ma décision », dira-t-il plus tard.

De toute évidence, Costello devait rompre avec la petite délinquance. Ce qu’il devait trouver, c’étaient des opportunités d’affaires sérieuses, qu’elles soient légitimes ou non.
Et c’est à ce moment-là qu’est arrivé le plus beau cadeau qu’un petit gangster comme lui pouvait rêver d’avoir pour changer de dimension criminelle. Un évènement majeur qui allait bientôt transformer sa vie et celle de nombreux autres délinquants des quartiers populaires de New York : la Prohibition.

Frank Costello jeune

Frank Costello jeune avec ses parents (Luigi et Maria Castiglia)

Photo d'arrestation de Frank Costello étant jeune

Photo d’identité judiciaire de Frank Costello jeune.

 

L’Amérique a soif

16 janvier 1920, minuit.
Le 18e amendement de la Constitution des États-Unis ratifiée un an plus tôt entre en vigueur. Il est désormais interdit de fabriquer, transporter, importer, exporter ou vendre des boissons alcoolisées (la possession et la consommation de ces dernières étant cependant encore autorisées).
La Prohibition venait d’être inaugurée cette nuit-là. Une nouvelle ère était sur le point de commencer en Amérique, une ère de désordres fantastiques où la loi allait être constamment bafouée. Des années d’interdiction qui feront alors les bonnes affaires d’un certain nombre de gangsters en quête de prospérité. À l’image de Frank Costello et de ses comparses, bien décidés à saisir la grande opportunité qui s’offrait à eux.

De ce fait, Frank Costello s’est lancé dans le trafic d’alcool en compagnie du groupe d’amis avec lequel il s’était associé quelque temps plus tôt.
Lorsque la Prohibition commence, Costello, Luciano, Lansky et Siegel sont bien résolus à occuper une place prépondérante dans ce nouveau marché. Ambitieux, ça, ils le sont, il n’y a pas de doutes, en fait ce qui leur manque à ce moment-là c’est de l’expérience. Les quatre sont à peine adultes et savent qu’il sera difficile de rivaliser avec les gros bonnets du Milieu italien de New York détenant l’essentiel du pouvoir au début des années 20. Parmi ces gros bonnets, on retrouvait notamment Joe Masseria ou Ciro Terranova, des Siciliens de la vieille école qui avaient une grande méfiance envers tous les non-Italiens, et plus particulièrement non-Sicilien. Un point de vue qui était alors complètement opposé aux gangsters de la nouvelle génération tels que Costello, Luciano ou Lansky, puisqu’eux considéraient le racket comme une affaire strictement commerciale, où l’origine n’était pas un prérequis pour faire du business. Collaborer au lieu de s’entretuer, telle était leur façon de voir les choses.
Et puis, de toute façon, il n’y avait pas de temps à perdre, la Prohibition était là et les Américains ne demandaient qu’une chose : qu’on assouvisse leur soif.

Leur entrée dans le marché clandestin de l’alcool commence ainsi grâce à un jeune homme tout aussi ambitieux qu’eux. Un type qui était passé maître dans l’art du cambriolage et qui avait rejoint la bande quelque temps plus tôt : Giuseppe Antonio Doto, plus connu sous le nom de Joe Adonis.
Joe Adonis, fraîchement arrivé dans la bande, se trouve alors à Little Italy en train de manger une glace avec Charlie Lucky Luciano, lorsqu’il lui fait cette proposition :

« Charlie, je sais qu’on n’a jamais travaillé ensemble et je n’aime pas demander de services. Mais j’ai besoin de dix mille dollars pour acheter une cargaison de whisky à Philadelphie, et si tu me les avances, je te propose cinquante pour cent des bénefs ».

La veille, Adonis avait en effet rencontré Waxey Gordon, un trafiquant d’alcool clandestin de Philadelphie. Waxey lui avait proposé une cargaison de whisky écossais garanti d’origine, mais Adonis n’avait pas les fonds suffisants pour conclure l’affaire, voilà donc pourquoi il s’est tourné vers Lucky Luciano, qui se rappelle :

« J’ai mis ma main sur l’épaule d’Adonis et je lui ai dit de garder son argent parce qu’il venait de se trouver un associé qui financerait toute l’opération.
J’ai appelé Costello, Lansky et Siegel, et on s’est retrouvés une heure plus tard. À nous quatre, on a réuni 35 000 dollars en argent liquide, et tôt le lendemain matin, Adonis et moi on est partis […] ».

Luciano et Adonis ont donc rencontré Waxey Gordon et le deal a été bouclé, la première affaire d’une longue série. Un début dans le trafic d’alcool raconté par Luciano lui-même :

« Les bénéfices étaient infiniment plus importants que ceux que l’on pouvait réaliser en s’attaquant à des victimes innocentes ou à leurs biens, et les peines encourues infiniment plus légères.
Quant aux chances qu’on avait de tomber un jour sous le coup de ces peines, elles étaient pratiquement inexistantes […] La protection s’achetait à tous les niveaux.
Depuis qu’on était gosses, on savait qu’on pouvait acheter les gens.
La question était seulement de savoir qui acheter, et pour combien.
Après tout, ce n’étaient pas les exemples qui manquaient autour de nous. Depuis le flic en tenue jusqu’au commissaire de police, depuis le racoleur de quartier jusqu’aux politiciens les plus influents. On savait que la plupart de ces types avaient la main tendue.
C’est Frank Costello qui a vraiment ouvert la voie à toutes ces histoires de trafic d’influence et de corruption de fonctionnaires. Il avait l’aisance et la classe d’un type deux fois plus âgé, et grâce à ce nom italo-irlandais qu’on lui avait collé sur le dos, toutes les portes s’ouvraient devant lui. C’est à ce moment-là qu’on a monté une banque privée. Pas une vraie banque. On a appelé ça notre ‘’banque à graisse’’.
Ça a débuté avec cinq mille dollars, qu’on a mis à la disposition de Costello pour qu’il les dépense de la meilleure façon possible ».

« Quand on a fait cette première affaire à Philadelphie, on a presque décroché le gros lot du premier coup ; c’est comme si on était partis du sommet et qu’on avait commencé à grimper à partir de là. Évidemment, comme dans toutes les grosses affaires, il fallait s’occuper des gens qui pouvaient nous être utiles, alors on graissait la patte aux flics et aux politiciens. Ça rentrait dans les frais généraux, comme dans n’importe quelle entreprise. »

Ainsi, grâce à Frank Costello, la bande disposait de tout un réseau de politiciens et de flics à leur solde dans tout Manhattan. Ce qui fait qu’ils pouvaient marchander la gnôle en toute tranquillité, et il y avait de quoi faire, puisque la demande était énorme.

Outre ses activités avec Luciano, Lansky et Siegel, Costello s’associe également avec l’un des plus grands trafiquants d’alcool de la prohibition : William Vincent Dwyer, un gangster irlandais que l’on surnommait « Gros Bill ». Et ce n’était pas à cause de son physique imposant qu’on l’appelait comme ça, mais en raison de son gros compte en banque et de sa grande influence politique.
Dwyer et Costello se sont ainsi associés en 1923.
À cette époque, Dwyer, déjà bien installé dans le trafic d’alcool, aurait eu alors une proposition de Costello qui lui aurait garanti une totale protection contre les raids de pillards qui sévissait de plus en plus. Subir ce genre d’attaques pour un bootlegger équivalait à perdre beaucoup d’argent, c’est donc pourquoi William Dwyer a accepté la proposition de Frank, bien qu’il n’ait eu sans doute pas d’autres choix que d’accepter au risque de s’attirer de gros ennuis…
L’association Costello-Dwyer a dès lors été l’une des plus efficaces et l’une des plus fructueuses de l’histoire de la prohibition. Chaque année, ils importaient en moyenne 40 millions de dollars d’alcool. Et ils ont été les seuls contrebandiers durant la Prohibition à ne pas se faire voler ne serait-ce qu’un camion. Un sacré exploit.

L’argent affluant de plus en plus, Frank commence ainsi à changer progressivement de dimension criminelle. La prohibition le rendait riche – et pas qu’un peu – ce qui lui permet d’investir dans d’autres affaires comme l’immobilier. Homme d’affaires intraitable qu’il est, il surveille chaque dollar investi.
Cette réussite lui ouvre dès lors les portes de la bonne société.
Un monde dans lequel Frank se sent comme un poisson dans l’eau.
Il est amical, attire instinctivement la confiance et a l’allure du type qui n’a franchement rien d’inquiétant. Autant de qualités qui lui permettent donc de côtoyer qui il veut sans éveiller de soupçons.
Cette apparente crédibilité, Frank Costello va alors l’utiliser pour élargir son influence et ses contacts parmi les personnes haut placées. Il fait connaissance avec des politiques, des juges, des journalistes, des conseillers municipaux et même des vedettes de cinéma.
Il corrompait tout ce beau monde et puis comme ça ils protégeaient ses entreprises et celles de ses associés issus de la pègre.
Vous étiez un contrebandier d’alcool durant la Prohibition et vous aviez un problème ? Allez voir Frank Costello et il le résolvait en un tour de main.

 

Les juifs, Costello les a toujours appréciés. Selon lui, eux et les Italiens avaient beaucoup en commun en tant que nouveaux arrivants en Amérique. Les deux communautés avaient certes vécu de manière distincte dans les ghettos de Manhattan, mais ils avaient l’un comme l’autre connu les mêmes galères.
Lorsqu’il fallait s’associer avec eux pour faire affaire, Costello n’avait alors aucun mal. Il s’était déjà associé avec certains d’entre eux comme Lansky ou Siegel. D’ailleurs, il était même sur le point d’en introduire un autre dans la bande de Luciano : un certain Arthur Flegenheimer, plus connu sous le nom de Dutch Schultz, un gangster qui régnait en maître absolu dans le marché de l’alcool clandestin dans le Bronx à cette période.
Mais cette arrivée n’est pas bien vue par un autre membre de la bande, un gangster dont on a toujours pas parlé : Vito Genovese.
Vito Genovese était un gangster napolitain qui avait été recruté dans la bande quelque temps plus tôt. Pas très apprécié dans le groupe (notamment par Luciano et Costello), il a cependant le mérite d’être bon pour les affaires, en plus d’être un gars impitoyable, malgré sa petite taille.
Arrive alors un jour où Luciano réunit ses associés pour discuter de l’éventuelle affiliation avec Dutch Schultz. Costello, Vito Genovese, Lansky et Siegel sont présents.
L’entretien commence, quand vient le moment où Frank Costello décide d’aborder le sujet qui les avait tous fait venir.
Vito l’écoute, puis se met à gueuler ! Luciano s’en souvient de cette scène :

« – Qu’est-ce que ça veut dire ? T’essaies de nous flanquer toute une bande de youpins sur le dos ?

Avant que Benny ou Meyer aient eu l’occasion d’ouvrir la bouche, Frank lui a presque foutu son poing dans la gueule, et puis il a dit, très calme :

– Tu ferais mieux de la fermer, Don Vitone, parce que t’es rien qu’un putain d’étranger, toi aussi.

[…] À partir de ce jour-là, quand quelqu’un voulait flanquer le nez de Vito dans sa merde, il l’appelait « Don Vitone » en face ou dans son dos. Et Vito n’a jamais pardonné à Frank d’avoir rappelé qu’il n’était pas sicilien et qu’il ne serait jamais vraiment des nôtres. Ce salaud de Vito avait une mémoire d’éléphant et une patience de lézard, et pendant trente-cinq ans il a attendu Frank au tournant pour avoir l’occasion de lui faire sauter la cervelle. » »

La rivalité entre Frank Costello et Vito Genovese ne faisait alors que commencer…

Durant la prohibition, le trafic d’alcool était dominé par les Italiens à New York. Et c’était en grande partie grâce à Costello qui, grâce à ses contacts, jouait parfaitement le rôle d’intermédiaire entre le monde légitime et la pègre.
Le chef suprême des gangs italiens était dès lors un mafieux sicilien trapu et court sur pattes du nom de Giuseppe Masseria, que l’on surnommait « Joe The Boss ». Cette position de chef incontesté, Masseria l’avait acquise en 1922 après avoir descendu son principal concurrent à la sortie d’un café.
On dit que c’est Lucky Luciano qui se serait occupé du boulot ce jour-là. Luciano étant alors avec Vito Genovese, un des lieutenants de Masseria.
Mais Luciano et Genovese n’étaient pas les seuls à bosser pour Joe The Boss, il y avait aussi leurs plus proches associés italiens, comme Frank qui rejoint l’organisation mafieuse dans les années 20.
Étant le chef du milieu new-yorkais, Masseria pouvait ainsi toucher une part du gâteau de ce que gagnait Costello.
Pour Frank, cela ne posait pas de problèmes, il respectait la hiérarchie et n’avait de toute façon pas l’ambition de devenir un second « Joe the Boss ». Sa position très influente dans le monde extérieur lui suffisait amplement. Ce qui arrangeait tout le monde, notamment Masseria, bien content de ne pas avoir un potentiel rival ayant l’intention de prendre sa place.

Au début des années 20, Joe Masseria pense donc être bien installé au poste de patron des patrons du milieu sicilien, on ne voit vraiment pas qui pourrait le déloger à ce moment-là. Enfin si, il y a peut-être une personne en mesure de le faire. Oui, cet immigré sicilien qui vient tout juste de poser ses valises à New York. Salvatore Maranzano entre dans la partie.

Maranzano, gangster sicilien de la vieille école, est venu en Amérique dans les années 20 pour goûter à son tour au rêve américain. Installé à Brooklyn, il décide alors de se faire une place dans le marché du trafic d’alcool. Pour cela, il forme un groupe de Siciliens qui commence progressivement à concurrencer les chefs déjà établis, dont Joe Masseria qui ne voit pas d’un très bon œil ce nouveau venu.
Et pour cause, Maranzano, ambitieux qu’il est, souhaite intégrer la bande de Luciano dans son organisation. Maranzano voit bien que Luciano et ses associés font tourner une entreprise très prospère dans le marché de l’alcool clandestin.
Il veut les recruter et organise donc un entretien.
Ce dernier a lieu dans le quartier général de Maranzano à Little Italy.
Frank Costello et Lucky Luciano s’y rendent dans le but de discuter d’une potentielle association (la réunion a lieu avant que les 2 rejoignent l’organisation de Masseria).

« Dans l’état actuel des choses, nous nous gênons mutuellement. Nous nous battons pour les mêmes marchés et, malheureusement, nos hommes s’entretuent parfois. C’est idiot, et ça nous coûte à la fois trop d’argent et trop d’hommes valables. Il faut que cela cesse », dit Maranzano, avant que Luciano lui réponde.

« Écoute, tu ne m’as pas fait venir ici pour réciter la Bible sur ce qui est bien et ce qui est mal, Maranzano. Alors, cesse de tourner autour du pot et viens-en au fait ».

« Je voudrais que tu rejoignes la grande famille Maranzano. Tu serais comme mon fils, mon fils préféré.
Je suis disposé à me montrer très généreux. Tu seras comme mon propre bambino ».

Bambino ? Maranzano se montrait peut-être un peu trop condescendant envers Luciano : qui pensera sans le dire :

« De quel droit ce connard essayait-il de remplacer mon vieux ? C’était une chose de conclure un marché, et une autre de jouer les papas avec moi […] »

Maranzano détaille par la suite sa proposition. Il souhaite que Luciano devienne le premier lieutenant de sa famille. De la sorte, Luciano aurait tout le marché d’alcool clandestin de l’organisation de Maranzano avec en prime une totale liberté de mouvement. Costello et les autres associés italiens de Luciano seraient évidemment les bienvenus, mais pas les juifs tels que Lansky ou Siegel.

Maranzano avait donc fini de soumettre sa proposition.
Costello, qui n’avait pas dit un mot depuis le début de la réunion, décide de prendre la parole à ce moment-là :

« Tu parles comme si on était au sommet d’une montagne sicilienne, Maranzano. Remettons un peu les pieds sur terre, qu’est-ce que tu veux ? »

« Ces jeunes sont tellement impatients ».

Maranzano va cette fois-ci plus en détail, il compte bien persuader ses 2 hôtes et met le paquet. Luciano se rappelle la scène :

« Il allait et venait dans la pièce tout en parlant. Quand il eut fini, il se tourna vers nous comme s’il s’attendait à ce qu’on l’applaudisse, comme s’il portait une toge et venait de terminer un discours devant le Sénat de Rome. C’est toujours l’impression qu’il me donnait, qu’il était César, et que moi j’étais de la merde. Frank et moi, on est restés là à se regarder sans rien dire. »

Après s’être rendu compte qu’il ne recevrait pas de réponse immédiatement, Maranzano leur conseille dès lors de prendre leur temps en discutant de la proposition avec leurs associés.
Mais comme vous le savez, l’histoire a finalement voulu que Luciano et ses amis rejoignent la bande de Masseria.

1929 est une année importante dans l’histoire de la pègre.
Cette année-là, du 13 au 16 mai, a lieu le premier sommet du crime organisé.
L’idée d’organiser cette conférence était venue de Johnny Torrio, le chef de la Mafia de Chicago et mentor d’Al Capone désormais à la retraite.
Torrio voulait en effet créer un Syndicat national du crime, une sorte de confédération dans laquelle toutes les organisations criminelles américaines seraient unies. Il avait imaginé de couper les États-Unis en tranches, de sorte que chaque groupe criminel se voit attribuer sa juste part : « Le racket est une industrie comme une autre », dira-t-il.
Au sein de ce Syndicat national du crime, tout le monde serait alors le bienvenu : bien sûr les mafieux italo-américains, mais aussi les gangsters juifs, irlandais ainsi que les criminels afro-américains.

Cette convention devait poser les bases d’une nouvelle mafia, plus moderne.
Un projet visionnaire qui fait dès lors Arêver Costello, Luciano et Lansky, qui partagent la même vision que Torrio.
Ils vont donc l’aider à organiser cette conférence.
Le lieu est choisi, ce sera Atlantic City.

C’est Frank Costello qui se chargera des invitations, il invitera pour cela tout le gratin du crime organisé américain.
Ainsi, arrive à Atlantic City, la délégation de New York, la plus grande de la réunion, dans laquelle il y a Johnny Torrio, Lucky Luciano, Meyer Lansky, Joe Adonis, Vito Genovese et Dutch Schultz.
Celle du New Jersey qui compte Willie Moretti et « Longie » Zwillman.
Chicago, avec Al « Scarface » Capone, Frank Nitti ou encore Jake Guzik.
Philadelphie avec Waxey Gordon, Nig Rosen et Max “Boo Boo” Hoff.
Sans oublier bien sûr la délégation de Cleveland, Détroit, Boston, Kansas City, celle de Louisiane, de Floride et l’hôte de la convention et patron d’Atlantic City, Enoch « Nucky » Johnson.
Bref, les plus grosses pointures de la pègre sont là. Toutes, sauf Maranzano et Masseria, car eux n’avaient pas été conviés. Leurs visions des choses trop traditionnelles, consistant notamment à ne travailler qu’avec des gangs italiens, ne coïncidaient effectivement pas avec les idéaux et principes modernes de Torrio, Luciano, Costello et Lansky.

D’après certains informateurs du FBI, Frank Costello aurait alors été le maître d’œuvre de la conférence. Une conférence qui a plusieurs objectifs, dont celui de poser les bases du Syndicat National du Crime.
Un autre consiste à résoudre les problèmes de violence qui sévissent à Chicago à cette période.
Il faut dire qu’on était seulement quelques mois après le massacre de la Saint-Valentin, ouais vous savez le jour où Al Capone a décidé d’orchestrer l’assassinat de sept gangsters dans une lutte liée au marché d’alcool clandestin. Un évènement qui avait grandement attiré l’attention des médias et des autorités, ce qui n’était évidemment pas bon pour les affaires…

Johnny Torrio commence ainsi à parler de ce sujet en déclarant que tous les conflits doivent à présent cesser.
Costello est ensuite présenté, et prend la direction de la réunion.

« La raison pour laquelle nous devons nous organiser est que nous devons nous placer sur une base commerciale. C’est ce que nous sommes, une entreprise. Nous devons mettre un terme à ce qui se passe actuellement à Chicago.
Vous vous tirez dessus dans la rue, des innocents sont tués et ils commencent à se plaindre.
S’ils crient assez fort, les fédéraux se lâcheront et commenceront à sévir. Et vous savez ce que cela signifie. Nous sommes dans une situation où des millions de dollars peuvent être gagnés simplement en donnant aux gens ce qu’ils veulent ».

Plutôt audacieux de la part de Costello, il est certain que Capone devait se sentir visé à ce moment-là. Connaissant son tempérament sanguin, il fallait en avoir pour oser remettre en cause son comportement.
Costello a alors un plan pour mettre fin à cette effusion de sang.
Torrio reprend la parole pour l’annoncer :

« En prison. Nous devons régler cette affaire tout de suite. Si tu retournes à Chicago après la fusillade de la Saint-Valentin, les gars d’O’Banion seront en guerre et la tension montera. Nous pensons que tu as besoin de vacances, Al ».

Là, Capone croit à une plaisanterie, mais Costello lui rappelle très vite que personne n’est là pour blaguer :

« Ce n’est pas une blague, Al. Nous avons trop investi pour que tu gâches la sauce. Facilite-toi la tâche. Trouve un moyen. Mais on a besoin que tu ailles au trou jusqu’à ce que les choses se calment ».

En voyant les personnes présentes dans la salle rejoindre l’avis de Costello et de Torrio, Capone comprend alors que c’est du sérieux.
Il est en colère, mais il sait qu’il n’a pas le choix. Il quitte la réunion et quelque temps plus tard, il se rend aux autorités. Dix mois de prison, c’est ce qu’il prendra pour une histoire de port d’armes prohibées, enfin si on peut parler de prison vu la cellule luxueuse qu’il s’est aménagée…

Voilà, la conférence d’Atlantic City est terminée. Un premier sommet du crime organisé qui avait donné à Frank Costello une stature nationale dans le monde de la pègre.
Ses maîtres mots durant la conférence avaient été : paix et coopération. Et on peut dire qu’ils ont été respectés. Ses confrères venus de quatre coins des États-Unis avaient en effet pu voir tous ses talents de diplomate dans la résolution du conflit de Chicago.
La guerre devait maintenant appartenir au passé, les affaires c’est tout ce qui devait compter.
Un message qu’il aurait été bien utile de transmettre à Masseria et Maranzano, les 2 grands absents de la conférence. Parce que eux étaient sur le point de déclencher une nouvelle querelle. Une guerre mafieuse cette fois-ci impossible à apaiser, tant les tensions sont vives.
Ouais, Maranzano et Masseria se détestaient beaucoup trop pour pouvoir éviter la guerre des Castellammarese…

Frank Costello durant la prohibition

Photo rare dans laquelle on voit Frank Costello (à droite) durant la prohibition.

Photo d'arrestation de Lucky Luciano jeune

L’associé et ami de Frank Costello, Lucky Luciano.

Photo de Frank Costello jeune adulte

Frank Costello jeune adulte.

 

Guerre des Castellammarese

Joe Masseria et Salvatore Maranzano étaient à la fin des années 20 les deux plus grands chefs mafieux à New York. Le problème, c’est qu’ils ne pouvaient pas se blairer, et ça, ça n’annonçait rien de bon…
En fait, il était devenu de plus en plus évident que les deux chefs s’affronteraient pour la direction de la Mafia, restait finalement plus qu’à savoir quand est-ce que la guerre allait éclatée.

Le clan Masseria était composé principalement de gangsters siciliens, calabrais et napolitains.
Parmi eux, il y avait Lucky Luciano, Frank Costello, Vito Genovese, Joe Adonis, Willie Moretti,  Albert Anastasia, Carlo Gambino, Giuseppe Morello, Gaetano Reina ou encore Alfred Mineo. Quant à l’organisation de Maranzano, elle était composée en grande majorité de mafieux originaires de Castellammare del Golfo, une petite ville sicilienne située à une centaine de kilomètres de Palerme. Maranzano pouvait alors compter sur Joseph Bonanno, Thomas Lucchese, Stefano Magaddino, Joseph Profaci, Joe Aiello, Joseph Magliocco, Tommy Gagliano, Vito Bonventre ainsi que Joseph Valachi.

Les tensions ont commencé à partir de 1928. Ça a débuté lorsque les hommes des uns ont commencé à détourner les camions d’alcool des autres. Au début, il n’y avait rien de très spectaculaire, il y avait un homme abattu par-ci, un camion attaqué par-là. Ce n’est finalement qu’en février 1930 que la guerre éclate vraiment, et ce, suite à un assassinat, celui de Gaetano Reina.
Gaetano Reina, un des alliées de Masseria dans le conflit à cette période, décide en effet de changer de camp pour passer du côté des Castellammarais, le clan de Maranzano. Un retournement de veste qui ne plait évidemment pas, surtout à Joe The Boss qui ne perd pas de temps alors pour sévir.
Pour ce faire, il fait appel à un de ses lieutenants, Vito Genovese.
Et c’est lors de la soirée du 26 février 1930 que les choses vont prendre une tout autre tournure.
Ce soir-là, Reina sort tranquillement de l’appartement de sa maîtresse, lorsqu’il tombe subitement sur une embuscade ! Vito Genovese armé d’un fusil de chasse à double canon tire et plante une balle à Reina en pleine tête ! qui meurt instantanément.
Reina mort, Masseria exacerbe par conséquent les tensions avec le camp adverse. Les Castellammarais de Maranzano veulent en effet se venger, ce qui met de l’huile sur le feu…
Pour les mafiosi impliqués dans le conflit, il est temps donc d’« aller aux matelas », autrement dit, ils allaient crécher en nombre dans des appartements secrets recouverts uniquement des matelas, rester en groupe et toujours sortir armés pour se protéger des attaques ennemis. Bref, ils devaient se préparer car la guerre était imminente.
On peut dire la guerre des Castellammarese était officiellement ouverte.

Le conflit qui opposait les hommes de Masseria et Maranzano avait atteint son point culminant. La guerre des Castellammarese, officiellement ouverte, devenait de plus en plus violente dans les rues de New York.
Du côté du camp de Maranzano, Vito Bonventre et Joe Aiello sont tués.
Masseria essuie également des pertes, ses alliés, Giuseppe Morello et Alfred Mineo ne sont malheureusement plus de la partie.

Frank Costello, également allié de Masseria, réussit lui à rester en dehors des combats, sans pour autant paraître déloyal. Il aide notamment Joe The Boss lorsque ce dernier échappe par miracle à la mort lors d’une fusillade. En fuyant, Joe avait en effet fait tomber son manteau qui avait par la suite permis aux autorités de remonter jusqu’à lui. Heureusement, Joe avait pu compter sur Frank qui, quelques jours plus tard, s’est rendu dans un commissariat du Bronx pour régler le problème. Il transmettra alors aux policiers le message suivant : personne ne devait toucher à un seul des cheveux de Masseria.

Rendre service, ça ne posait pas de problèmes à Costello, mais cette guerre il la désapprouvait.
Pour lui, elle était inutile, un conflit de ce type ne pouvait que nuire aux affaires.
Luciano et Genovese pensaient d’ailleurs pareil, tous ces affrontements causés par les vieux Don devaient cesser au plus vite, surtout que leur boss était sur le point de perdre la guerre.
Costello, Luciano et Genovese ont donc essayé de convaincre Masseria en ce sens, mais rien à faire, Joe fait la sourde oreille.
La paix n’étant pas à l’ordre du jour, il ne leur reste finalement plus qu’une solution : comploter contre Joe The Boss pour mettre définitivement fin à la guerre. Pactiser avec l’ennemi, c’est qu’ils allaient faire à présent.

Luciano, Costello, Lansky et leurs alliés avaient en réalité projeté de prendre le pouvoir au sein de la pègre depuis longtemps, en fait ils n’attendaient qu’une chose : que l’occasion se présente, ce qui était enfin le cas.
Les vieux Don, comme ils les appelaient, ne faisaient que les empêcher de construire les nouvelles bases du crime organisé comme celles qui avaient été discutées à Atlantic City.
Lucky Luciano se souvient :

« Nous autres, les jeunes, on détestait ces vieux moustachus et tout ce qu’ils faisaient. On essayait de mettre sur pied une organisation qui marcherait avec son temps, et ces deux-là vivaient avec un siècle de retard. On savait qu’on finirait par éliminer les vieux et leurs idées, c’était qu’une question de choisir le moment propice. Pour nous, se débarrasser de Masseria et Maranzano, c’était un peu comme pour une banque de démolir une vieille baraque pour construire un immeuble neuf à la place. C’était comme si on était des entrepreneurs : il fallait descendre ces vieux chnoques pour déblayer le terrain ».

La première étape a donc été de se débarrasser de Masseria.
Pour ce faire, Luciano et ses associés ont organisé un entretien secret avec Maranzano. À l’issue de la rencontre, les deux parties se mettent d’accord, il avait été décidé que Luciano et ses amis s’occuperaient de l’élimination de Masseria, et ce, avec l’assurance que le camp adverse n’entreprenne aucune purge une fois Joe The Boss éliminé. Maranzano, tout comme eux, disait vouloir la paix. La guerre des Castellammarese avait fait couler beaucoup trop de sang, et il était impératif de refaire régner l’ordre dans les rues de New York.
La poignée de main entre Lucky Luciano et Salvatore Maranzano signifiait ainsi ce jour-là l’arrêt de mort de Masseria.

15 avril 1931, 9h du matin.
Lucky Luciano est seul avec Masseria dans un des bureaux du vieux Don. Joe est assis dans un fauteuil et écoute ce que Luciano a à lui dire. Luciano lui expose les grandes lignes d’un plan visant à assassiner une impressionnante brochette de lieutenants de Maranzano qui devait donner une victoire totale à Masseria.

« Ça faisait bien deux heures que je parlais et ce vieux Joe rigolait et se léchait les babines comme si on lui avait fait goûter le sang de Maranzano dans une coupe en or », se souvient Luciano.

Midi arrive, Luciano propose à Joe The Boss de fêter cette victoire imminente en allant déjeuner dans un restaurant à Coney Island.

« J’ai vu briller les yeux de Masseria dès que j’ai parlé de cuisine gastronomique, et en réservant une table au téléphone, j’ai commandé suffisamment de bouffe pour gaver un éléphant, et la salive lui dégoulinait littéralement de la bouche ».

Arrivés là-bas, ils commandent à manger, Masseria plus que Lucky, puisqu’il faudra près de trois heures à Joe The Boss pour finir son repas.
Un peu avant 15h30, Luciano décide alors de proposer à Masseria de se détendre en jouant aux cartes. Masseria accepte. Ils jouent une première manche puis au bout de la seconde Lucky se lève et s’excuse, il doit se rendre aux toilettes. Mais, à peine la porte des WC se referme qu’un groupe d’hommes armés fait irruption dans le restaurant !

C’en était fini pour Joe, les multiples balles logées dans sa nuque avaient eu raison de lui…

Sa mort marquait la fin de la guerre. Une guerre qui avait élu vainqueur son grand rival, Salvatore Maranzano, qui ne perd d’ailleurs pas de temps pour assouvir sa soif de grandeur en organisant une réunion qui doit le sacrer « Capo di Tutti Capi », ce qui veut dire dans la Mafia le chef de tous les chefs.
Tous les plus grands mafieux new-yorkais étaient présents pour assister à ce qui devait faire de Maranzano le chef suprême de la Mafia. De la réunion émerge alors la création des 5 familles de New York, une réorganisation de la hiérarchie mafieuse est faite et Maranzano devient le boss de tous les boss. Un couronnement qui ne plaît pas à Luciano, Costello et les autres, non, ils n’ont absolument pas l’intention de le laisser faire. Ils savent très bien qu’ils ne sont pas en sécurité maintenant que Maranzano a les pleins pouvoirs. L’idée de rendre son règne aussi bref que possible surgit !
Luciano, Costello et leurs associés ont décidé qu’ils allaient comploter contre le nouveau roi. Avec le soutien de nombreux autres chefs mafieux, le complot prend forme.
De son côté, Maranzano se rend très vite compte de ce qui se trame. Pas question de les laisser faire, il souhaite frapper en premier. Il dresse alors une liste de soixante personnes à exécuter, et la présente à l’un de ses plus fidèles lieutenants, Joseph Valachi, en disant :

« Il faut retourner aux matelas et nous débarrasser de ces gens ».

Cette liste comprenait entre autres Frank Costello, Lucky Luciano, Vito Genovese, Joe Adonis, Vincent Mangano, Dutch Schultz et Al Capone (Capone ayant soutenu Masseria en contribuant massivement au trésor de guerre depuis Chicago).
Mais Maranzano n’est pas le seul à dresser sa liste noire, Luciano et ses alliés en dressent une aussi, à la différence que la leur contient tous les mafiosi de la vieille école, Salvatore Maranzano y compris et en premier de la liste.

10 septembre 1931, peu avant 2 heures de l’après-midi.
Quatre hommes envoyés par la bande de Luciano et déguisés en agents fédéraux s’introduisent dans le bureau de Maranzano. Maranzano entend un vacarme, il sort pour enquêter, quand soudain, il fait face à un groupe d’hommes armés menaçants ! Maranzano essaie de se réfugier dans son bureau, mais il est trop tard. Les faux agents fédéraux le poignardent puis l’abattent de quatre balles !

La nouvelle garde mafieuse dont faisaient partie Frank Costello et ses associés avait finalement réussi à éliminer les vieux Don. Ils pouvaient désormais organiser le crime comme bon leur semblait. C’était le début d’une nouvelle ère, celle du renouveau et de la modernité au sein de la Mafia.
Une ère extrêmement prospère dans laquelle Frank Costello jouera un rôle déterminant.
L’histoire ne faisait finalement que commencer…

Funérailles de Joe Masseria

Funérailles de Joe Masseria.

Cadavre de Salvatore Maranzano

Image rare du corps inerte de Salvatore Maranzano après son assassinat.

 

Le jeu et la politique

Ça y est, Masseria et Maranzano n’étaient plus de ce monde. Dorénavant, Frank Costello et ses amis pouvaient organiser la pègre comme bon leur semblait. Ils avaient fait le ménage en assassinant de façon spectaculaire les deux grands boss de la mafia new-yorkaise, en plus d’une quarantaine d’autres gangsters de la vieille école dans les 24 heures qui avaient suivi le meurtre de Maranzano. La guerre des Castellammarese appartenait au passé. La paix était désormais rétablie à New York.

Après l’élimination des vieux moustachus, Luciano s’impose alors comme le principal chef mafieux de la ville. Pour lui, acquérir le titre suprême de capo di tutti capi était tout à fait envisageable, mais il préfère l’oublier pour le moment ; selon lui, une telle position ne créerait en effet que des ennuis entre les familles, sans oublier le fait qu’il deviendrait aussitôt une cible potentielle pour toutes les personnes désireuses de prendre sa place. Il n’en reste pas moins qu’au début des années 30, sa position au sein de la pègre est dominante, un peu comme celle de Costello d’ailleurs, qui change également de statut à cette période. Faisant partie de la famille Luciano, l’une des cinq familles de New York, il est le consigliere de Lucky – en d’autres termes, son conseiller –, ce qui représente le n°3 dans la hiérarchie de la mafia. Vito Genovese étant le n°2, au poste de sous-chef.

Les conflits terminés, il était donc temps de se remettre aux affaires. Se faire de l’argent, c’est tout ce qui comptait pour les mafieux à ce moment-là. Dans ce domaine, Frank est alors un excellent conseiller : celui qui rapportait le plus dans la famille Luciano était en effet à l’aise dans le fait de faire fortune sans violence et cela, les autres mafieux l’avaient bien vu, au point qu’ils viendront chercher conseils et aide auprès de lui.
Grâce à son habileté relationnelle dans la politique, Costello a ainsi pu aider certains de ses pairs à amasser de l’argent tout en évitant la prison, les deux facteurs les plus importants de la vie d’un mafieux, après la survie pure et simple bien sûr. C’est au cours de cette période qu’il obtiendra d’ailleurs le titre de « Premier ministre du milieu », un rôle que Frank Costello appréciait et pour lequel il était parfaitement adapté.

Au début des années 1930, la prohibition est sur le point d’arriver à son terme. Les belles et prospères années 20 sont révolues et l’Amérique est désormais en plein marasme économique à cause de la crise de 1929.

Grâce à la prohibition, Costello et ses amis s’étaient abondamment enrichis ; la contrebande d’alcool les avait rendus riches au-delà de leurs rêves les plus fous et sans ce commerce en sous-main, il est certain qu’ils n’auraient pas atteint une telle dimension criminelle, mais bon, toutes les bonnes choses ont une fin et la prohibition n’y a pas échappé non plus.

Elle prend fin le 5 décembre 1933. Un événement qui pousse dès lors la mafia à se diversifier en cherchant d’autres sources de revenus. Et pour Costello, le choix est fait : il a décidé de se tourner vers le jeu, et plus particulièrement les machines à sous.

Dès la fin des années 20, Frank Costello comprend en effet que la prohibition touchera bientôt à son terme et que la consommation d’alcool redeviendra bientôt légale. Anticipant déjà les pertes d’argent dû à ce revers économique, il cherche alors un nouveau racket qui pourrait lui rapporter gros. Après mûre réflexion, Frank choisit ainsi les jeux d’argent, en se focalisant sur les machines à sous, un secteur qui ne demandait qu’à être exploité à l’époque à New York.

Pour développer cette affaire, Costello va donc s’associer avec un de ses plus fidèles amis : Philip « Dandy Phil » Kastel. Avec Phil, il va dès lors développer un véritable empire du jeu, au point d’inonder New York de leurs machines : environ 5 000 seront dispersées dans toute la ville, que ce soit dans les bars, les restaurants, les cafés, les pharmacies, les stations-service ou encore les arrêts de bus.
Costello et Kastel deviennent de ce fait rapidement les nouveaux rois du jeu à New York, ce qui faisait les bonnes affaires de la famille Luciano, pour laquelle ils travaillaient, et grâce aux relations politiques de Costello, l’affaire marche alors comme sur des roulettes. Il suffisait que Frank arrose quelques personnes haut placées et les problèmes étaient vite réglés. Il arrivait toutefois que certaines machines à sous soient confisqués, comme en témoigne ce policier de l’époque, qui raconte :

– Je me rappelle avoir travaillé quelque temps sous les ordres d’un capitaine de police. C’était un homme honnête, et nous ramenions tous les jours deux ou trois machines au commissariat. Costello était fou. Un jour, il est venu nous voir pour nous dire : “Comment ça se fait que je peux payer tout le monde, sauf vous ?” On lui a répondu qu’il fallait poser cette question au capitaine. Inutile de vous dire que le capitaine l’a flanqué dehors avec perte et fracas. À part ça, tout le monde était sur la liste, depuis l’inspecteur en chef jusqu’au plus minable des flics de la circulation.

D’ailleurs, le marché du jeu s’agrandira encore un peu plus pour Costello lorsque Arnold Rothstein, un de ses mentors qui dominait les affaires de paris clandestins à New York, se fait assassiner. L’empire du jeu de Rothstein étant conséquent, il y avait là un marché à prendre. Et c’est Costello qui se chargera de prendre la relève, en désignant notamment son ami Frank Erickson, un bookmaker notoire de l’époque, pour diriger l’entreprise des paris clandestins laissée par Rothstein.

Quelques mois plus tard, Erickson devient alors le patron des bookmakers à New York. Toute l’affaire c’est Erickson qui la gérait, Costello lui n’avait qu’à récupérer sa part des bénéfices de temps à autre, développant ainsi un peu plus son immense empire du jeu. Puis arrive un individu qui va décider de jouer les trouble-fête…

Le 1er janvier 1934, Fiorello La Guardia prête serment pour devenir le nouveau maire de New York.
Comme son nom l’indique, La Guardia a des origines italiennes ; cependant, contrairement aux Costello, Luciano, Genovese et consorts, lui s’est lancé dans la politique pour faire régner l’ordre. Ce qui caractérisait le plus La Guardia était son aversion pour les gangsters. Il les haïssait plus que tout, au point d’ordonner, quelques minutes seulement après avoir prêté serment, d’arrêter Lucky Luciano, le chef mafieux le plus influent de la ville.

Mais La Guardia n’a pas que Luciano dans son viseur à ce moment-là, il a également Costello qui, à cette période, règne en maître absolu du jeu à New York. Et… les jeux d’argent, disons que La Guardia ne les portait pas vraiment dans son cœur… Selon lui, le jeu était un des vices dont la ville devait impérativement se débarrasser. Il déclarera même à la radio, en faisant allusion à Costello et à son associé Erickson :

– Il faut chasser ces clochards de la ville !

Les problèmes n’ont donc pas tardé à pointer leur nez pour Costello. Il était désormais devenu l’une des cibles principales du nouveau maire, qui souhaitait mener la vie dure à tous les gros bonnets du milieu. La police recevra alors comme consigne de les harceler par tous les moyens possibles et imaginables. Un jeune lieutenant de police de l’époque se souvient même avoir reçu l’ordre d’expulser Costello et Erickson du Waldorf Astoria, le luxueux hôtel où les deux hommes résidaient :

— Je leur ai tout d’abord parlé gentiment. Ça a marché tout de suite avec Erickson, que je n’ai pas revu après lui avoir demandé de balayer le plancher. Avec Costello, ça a été une autre paire de manches : il continuait de se pointer chaque jour à la porte. J’avais beau lui dire : « Écoutez, vous savez que l’on m’a donné des ordres. Vous ne devez plus venir ici. » Rien n’y faisait. Il se contentait de me répondre et de me regarder sans se troubler : « Demain, vous ne verrez plus. » Ce petit scénario s’est répété un certain temps. Chaque jour, il me jurait qu’il ne reviendrait pas le lendemain, le lendemain, je vérifiais, et il était toujours là. Un jour, perdant patience je n’y tins plus et, je lui lançai : « Écoute, mon salaud, la prochaine fois que je vois ta sale bobine, je fous mon poing dedans. Je t’ai dit de ne plus mettre les pieds ici. » Il demeura parfaitement impassible. Après tout, je n’étais qu’un gosse à l’époque, et lui était déjà un gros bonnet. Il se contenta de me regarder comme d’habitude et de me dire qu’il ne reviendrait pas le lendemain. Vingt-quatre heures plus tard, il était là, fidèle au rendez-vous.

Évidemment, ce manège n’a pas plus à La Guardia qui, en réponse, décidera de démanteler entièrement l’affaire de machines à sous de Costello. Pour le coup, les policiers de New York ont eu comme consigne de rafler toutes les machines à sous qu’ils trouveraient et c’est La Guardia qui s’est personnellement chargé de les détruire. Un vrai coup dur pour Frank Costello, qui a dû tirer un trait sur sa florissante affaire, du moins à New York, car il était probable que ses machines à sous revoient le jour dans une autre région des États-Unis, une région où il pourrait opérer sans ennuis et où le gouverneur lui-même l’accueillerait à bras ouverts. L’opportunité de la Louisiane était en effet sur le point de se présenter pour Frank.

Son affaire de machines à sous littéralement mises en pièces, Costello n’est cependant pas à plaindre, la diversification de ses activités et ses investissements dans l’immobilier lui permettent de mener la vie d’un rentier aisé. L’argent ce n’est pas ce qui lui manque, loin de là. Et pourtant, il allait encore s’enrichir, et ce grâce une opportunité d’affaires inespéré…

Chassées de New York, les machines à sous qui lui restaient prenaient en effet la poussière dans des entrepôts au New Jersey. Frank Costello était assis sur une mine d’or, mais malheureusement, il lui était impossible d’en tirer avantage. C’est alors qu’un miracle se produit, et ce par le biais d’un dénommé Huey Pierce Long, gouverneur de l’État de Louisiane, qui tendra les bras à Costello et ses associés en leur lançant :

– Allez les gars, descendez tous chez moi !

À cette période, Huey Pierce Long est l’un des personnages les plus excentriques de la vie politique américaine. En Louisiane, sa parole fait loi, un État qu’il contrôle totalement. Un jour,
il décide alors de proposer à Costello et à ses amis de descendre dans le sud du pays pour continuer leur business de machines à sous en échange de 10 % de leurs recettes. On ne sait pas vraiment comment les deux hommes se sont rencontrés et, en vérité, il existe plusieurs versions :

  • L’une d’entre elles dit que Costello aurait aidé le gouverneur de Louisiane dans une opération de chantage, ce qui aurait permis à Frank d’avoir carte blanche pour développer son affaire de machines à sous à la Nouvelle-Orléans.
  • Une autre est rapportée par un politicien de Louisiane qui se souvient :

– C’est par l’intermédiaire de Huey Long qu’ils sont arrivés en Louisiane. Un jour qu’il se trouvait à New York, dans un club de Long Island plus précisément, ce pauvre Huey, qui était lâche comme pas un, s’est fait corriger par quelqu’un alors qu’il se trouvait aux toilettes. C’est Costello, ou plus exactement l’un de ses amis, qui lui a évité de se faire rouer de coups. C’est à la suite de cet incident que Long s’est lié d’amitié avec Costello…

Quoi qu’il en soit, Costello et Kastel ont passé un marché avec Huey pour obtenir l’autorisation d’installer un certain nombre de machines à sous à la Nouvelle-Orléans.

Puis il y a également la version qui dit que Huey aurait tout simplement découvert que les machines à sous rapportaient beaucoup et qu’il se serait tourné vers le meilleur spécialiste du pays dans ce domaine, à savoir Frank Costello.

Enfin, il y a la version de Costello lui-même, qui dira aux autorités que Huey l’avait invité à installer ses machines à sous, sous prétexte que c’était un bon moyen de remplir les caisses des organisations charitables de l’État de Louisiane.

Bon, peu importe la façon dont se sont rencontrés les deux hommes, ce qu’il faut retenir, c’est que Frank Costello et son fidèle associé, Phil Kastel, ont trouvé refuge en Louisiane pour continuer leur prospère affaire de machines à sous.

Ainsi, Costello et Kastel ont installé près d’un millier de machines à la Nouvelle-Orléans dès le printemps 1935 et c’est un succès fou dès le début ! La machine est bien huilée et l’argent afflue. Phil Kastel dirige les opérations sur place, tandis que Costello se contente de prendre les décisions importantes depuis New York, mais il n’en reste pas moins le patron dans l’affaire. Un de ses amis raconte alors cette anecdote pour le moins étonnante, au cours de laquelle Frank Costello aurait commis le seul et unique acte de violence de son existence lors d’un de ses passages en Louisiane :

— On découvrit un jour à la Nouvelle-Orléans qu’un membre éminent de l’organisation volait de l’argent. Kastel prit aussitôt contact avec Frank et l’interrogea sur les mesures à prendre. Frank lui répondit de ne rien faire : il comptait se rendre sur place quelques jours plus tard et en profiterait pour régler le problème en personne.
À son arrivée, un meeting fut organisé afin de lui permettre de s’adresser à tous les membres de l’organisation (il fallut louer une salle pour la circonstance, tant ces derniers étaient nombreux).
Dès son arrivée, Frank alla s’installer sur une petite estrade en bois, et trouva une excuse quelconque pour inviter la « brebis galeuse » à le rejoindre. Dès que l’individu en question eut pris place à ses côtés, il sortit de je ne sais où une énorme clef anglaise, qu’il abattit sur la tête du « voleur » devant l’assistance effarée, avant d’expliquer que cet homme était un voleur et que ce qu’il venait de faire devait servir de leçon à ceux qui auraient éventuellement songe à imiter son exemple.
Pour Frank la violence n’était pas une fin en soi, mais un moyen comme un autre de prévenir les vols… ou d’autres actes de violence, plus radicaux. Il affirmait donc que c’était là le seul acte de violence qu’il eut commis dans sa vie, ajoutant qu’il s’y était résolu par devoir et non de gaieté de cœur.

Tout se passait donc pour le mieux pour Costello et Kastel à la Nouvelle-Orléans. C’étaient les rois de la machine à sous, faisant un bénéfice de 2,5 millions de dollars entre l’année 1935 et 1937. Une grosse somme d’argent qu’ils devaient évidemment partager avec le chef de la mafia locale, Carlos Marcello, sans quoi il aurait été impossible de faire affaire dans la région.
Les jeux d’argent en Louisiane rapporteront par conséquent des millions de dollars à la famille Luciano grâce à Costello et Kastel. Une aventure qui continuera durant les décennies suivantes, et ce, jusqu’à la mort de Kastel dans les années 60.

Maintenant, vous vous demandez peut-être : mais comment Frank Costello a-t-il pu s’enrichir de la sorte et agir impunément pendant toutes ces années ? Eh bien, comme nous avons pu le voir précédemment : quand il s’agissait de trafic d’influence, Costello était ce qu’on appelle un expert en la matière. La corruption et le trafic d’influence ? Disons que ça le connaissait bien, et c’est à New York, où son influence politique est démesurée, qu’il exerce tout son pouvoir. Nommer ses hommes aux postes politiques les plus importants ? Il le faisait. Élire des juges ? Il le faisait aussi. Choisir le prochain maire de la ville ? Ça va peut-être vous étonner, mais oui, c’était également dans ses cordes.
Un ancien du Tammany Hall, l’appareil politique du parti démocrate new-yorkais dans lequel Frank exerce une forte influence, se souvient :

— Durant les années quarante, je fus amené à entretenir des rapports politiques avec les principaux responsables de Tammany Hall. Lié à la fois au parti démocrate et au parti républicain, la situation que j’occupais au Conseil Électoral me donna l’occasion de rencontrer toute sorte d’hommes politiques, de responsables divers, de juges, de district attorneys, de membres du Congrès, de responsables de partis et d’élus disposant d’un pouvoir fantastique. Tous étaient des politiciens, quoiqu’en pensent certains, y compris les juges, car à cette époque il était impossible de devenir juge sans devenir au préalable politicien.
Malgré ma naïveté, il me fallut peu de temps pour découvrir comment tout cela fonctionnait : certains responsables de district étaient omnipotents. D’autres en revanche étaient totalement impuissants, sans pouvoir aucun ; aussi intelligents, aussi cultivés fussent-ils, ils étaient considérés comme quantité négligeable.
Pour être quelqu’un dans le monde de la politique à New York, il fallait avoir « des appuis ». Et ces « appuis », c’était la pègre qui les fournissait. […] Qui étaient à l’époque les grands manitous du Milieu et comment s’étaient-ils débrouillés pour acquérir une telle puissance ? Dans les années quarante, les gros bonnets de la pègre étaient ceux qui s’étaient montrés les meilleurs vingt années auparavant, pendant l’âge d’or des trafiquants d’alcool. Ce sont eux qui avaient la haute main sur les loteries de nombres, sur les officines de paris clandestins, bref sur tous les rackets. […]
Au bout de quelques mois d’activité, je compris que chaque responsable de district était appuyé par un groupe particulier. Tous ces gens avaient un groupe derrière eux, les différents groupes s’arrangeant entre eux pour former des combinaisons qui se nouaient et se défaisaient sans cesse.
Qui mettait au point toutes ces combinaisons ? Un certain Frank Costello… Lorsqu’il avait besoin de quelque chose, il n’allait pas voir les responsables de districts, mais les truands qui les contrôlaient. Ces derniers avaient alors un petit entretien avec leurs « protégés », à qui ils déclaraient : « Au fait, on s’intéresse à Joe Blow, ou à M. Black, et on aura besoin de votre aide le jour des élections. N’oubliez pas que, pendant l’année, nous vous avons fait bénéficier de certaines donations et autres contributions diverses. Si vos journaux survivent, c’est grâce à qui ? Et vos hommes, qui les paie généreusement, sinon nous ? »
Costello était donc à l’origine de toutes ces combinaisons. C’était lui le patron, le Grand patron des responsables de districts.

Le témoignage se poursuit alors qu’il parle de l’investiture de William O’Dwyer, le successeur de La Guardia au poste de maire de New York (un personnage à ne pas confondre avec William Vincent Dwyer, l’associé de Costello durant la prohibition) :

— Bien entendu, l’influence de Costello a subi un coup d’arrêt avec l’arrivée de La Guardia à la mairie de New York, mais lorsque O’Dwyer lui a succédé, on peut dire qu’il a vraiment eu le champ libre. On dit que c’est grâce à lui que O’Dwyer a pu devenir le candidat officiel du parti démocrate : j’ignore si c’est vrai, tout ce que je sais, c’est que O’Dwyer avait quelque difficulté à faire accepter sa candidature, certains responsables du parti ayant des comptes à régler avec lui. Quoi qu’il en soit, il est allé voir Costello en sachant qu’il trouverait chez lui soutien et appui. Il le voulait à tout prix ce fauteuil de maire, et pour l’obtenir, il avait besoin de l’aide de Costello.

Dès lors, Frank Costello tenait sa cour chaque matin avec les politiciens et les gens du milieu, et ce, au vu et au su de tous. Ces derniers venaient le voir pendant que lui se faisait pomponner chez le barbier dans sa résidence luxueuse au Waldorf-Astoria. Une habitude dont Lucky Luciano se rappelle :

— Il en ressortait avec une gueule comme le cul d’un bébé. Je ne comprends pas comment il pouvait supporter de se faire manucurer tous les jours de la semaine, sans parler du reste. Moi, je crois que Frank était complètement givré. J’aurais jamais laissé quelqu’un approcher une lame de rasoir si près de mon visage.

Pendant tout ce temps, Costello opère donc en secret dans le monde politique new-yorkais ; personne ne peut véritablement prouver qu’il tire les ficelles du Tammany Hall, la machine politique démocrate de la ville. Enfin… jusqu’au jour où Frank Hogan, le nouveau procureur de Manhattan, décide de mettre le téléphone du domicile de Costello sur écoute. On est au milieu de l’année 1943. Lors d’un appel, Costello échange alors avec Thomas Aurelio, un magistrat souhaitant être candidat à la Cour Suprême de l’État de New York :

Aurelio : Bonjour, Francesco, comment allez-vous ? Et d’abord, merci pour tout.

Costello : Toutes mes félicitations. Tout s’est passé du mieux possible. Quand je vous dis que quelque chose est dans la poche, vous pouvez en être convaincu.

Aurelio : C’était parfait.

Costello : Tant mieux.

[…]

Aurelio : Je voulais vous dire qu’après tout ce que vous avez fait pour moi, vous pouvez compter sur ma loyauté indéfectible.

Costello : Je sais. À bientôt.

Aider un juge à accéder à la Cour Suprême de New York ? Voilà donc qui prouvait l’implication de Costello dans la vie politique new-yorkaise. Ce qui n’était pas vraiment une bonne nouvelle pour le Premier ministre du milieu, vous vous en doutez bien. En fait, cette preuve irréfutable que la pègre influait sur la justice était une affaire grave et sérieuse, au point que plus tard, Costello a été amené à témoigner dans une enquête qui a essayé de déterminer l’influence de la mafia dans la politique.
Heureusement pour lui, ça s’est arrêté là, mais la publication de la conversation dans tous les journaux du pays soulèvera tout de même une vague d’indignation, qui contraindra Frank à faire profil bas dans l’échiquier politique pendant un certain temps. La prudence était désormais de rigueur.

Ah ouais, autrement, il s’est aussi passé des choses du côté de la pègre, et je crois que c’est le moment d’en parler.

Fiorello La Guardia détruit des machines à sous

Le maire de New York, Fiorello La Guardia, en train de détruire les machines à sous de Frank Costello.

Photo d'arrestation de Frank Costello durant les années 40

Photo d’identité judiciaire de Frank Costello dans les années 40.

 

Nouveau parrain

Juin 1936.

Lucky Luciano, le patron, associé et ami de Frank Costello, est condamné à une lourde peine : 30 à 50 ans de prison c’est ce qu’il prendra pour prostitution forcée. Sous les verrous, Luciano n’est alors plus en mesure d’assumer les fonctions de chef de famille ; une famille qui, avant son incarcération, était la plus puissante de New York. Un vide ne tarde donc pas à se créer, obligeant Luciano à trouver quelqu’un pour le remplacer. Vito Genovese, le “sous-boss” de la famille, s’étant enfui à Naples pour éviter une inculpation de meurtre, le choix de Luciano se porte donc logiquement Frank Costello, son congliere.

C’est ainsi qu’en 1937, Costello devient le personnage le plus puissant de la mafia, devenant le parrain de la famille Luciano. Lui qui s’était efforcé de rester autant que possible à l’écart du monde souterrain en adoptant le style de vie d’un homme d’affaires respectable, était à présent au plus haut rang de la pègre, ce qui ne l’arrangeait pas vraiment paradoxalement.
Dès lors au pouvoir, Costello fait régner sa philosophie au sein de la mafia. En bon diplomate qu’il est, il désamorce les situations potentiellement explosives, résout les problèmes en évitant de recourir à la violence et instaure une paix, somme toute bienvenue.

Le cas Willie Moretti en est alors la parfaite illustration. Une histoire qui prend racine en 1943 lorsque Willie Moretti, un très bon ami de Costello – et également son principal lieutenant dans le New Jersey –, commence à se comporter de façon étrange en dévoilant certains secrets qui n’auraient jamais dû sortir du cercle de la famille. Mis au courant de la situation, les autres membres de l’organisation ne tardent pas à réclamer son élimination. En fait, Willie Moretti était atteint à ce moment-là d’une maladie mentale, due à une syphilis contractée quelques années plus tôt, et sa situation ne faisait que se détériorer, ce qui le mettait alors sur la sellette.

Mais, fort heureusement pour lui, Frank Costello est intervenu à temps. En effet, le nouveau chef de famille prend les devants en ordonnant à Willie d’aller prendre quelques vacances sur la côte ouest. Sur le coup, Moretti ne comprend pas la décision de Frank, bien sûr c’était pour son bien. En agissant de la sorte, Frank Costello désamorcera donc les tensions et sauvera son ami d’enfance de la mort. Mais malheureusement, ce n’était qu’un sursis comme nous le verrons plus tard…

Lorsque Frank Costello prend la tête la famille Luciano, cette dernière compte près de 450 membres.
Contrairement aux parrains des quatre autres familles de New York, Frank reste alors autant que possible à l’écart des activités quotidiennes de l’organisation en confiant notamment la gestion des affaires à ses lieutenants, parmi lesquels on retrouvait :

  • Anthony Strollo alias Tony Bender, qui contrôlait le quartier de Greenwich Village.
  • Mike Coppola, dit la Gâchette, qui opérait à Harlem.
  • Joe Adonis, qui règnait sur Brooklyn.
  • Willie Moretti sur le New Jersey.
  • Anthony « Little Augie Pisano » Carfano, qui avait la mainmise sur toute la partie haute du Bronx.
  • Et enfin Mike Miranda, qui gérait l’East Side.

Vito Genovese de son côté s’était réfugié en Italie pour fuir la justice américaine et ce à cause d’un meurtre dans lequel il avait été impliqué à New York. Vito restera quelque temps là-bas avant de revenir dans les rues de New York dans le milieu de l’année 1946. Un retour qui, bien entendu, est fêté comme il se doit. Il faut dire qu’avant l’arrestation de Luciano et sa fuite vers l’Italie, Vito était au-dessus de Costello dans la hiérarchie de la mafia. Ainsi, lorsqu’il revient pour reprendre du service, une grande réception est organisée en son honneur avec tous les mafieux éminents de la côte est pour l’accueillir. Bien sûr, Frank Costello est présent, c’est même lui qui guidera Vito Genovese à la place d’honneur, en bout de table.

Ah… Ce Vito Genovese, c’était un personnage, le genre de type craint par beaucoup. Il suffisait en effet que vous le regardiez pour avoir froid dans le dos. Une personne l’ayant vu lors d’une de ses arrestations se rappelle :

— Don Vitone n’était pas ce que l’on peut appeler un homme imposant. Toujours vêtu impeccablement, mais sobrement, il aurait pu aisément passer pour un expert-comptable qui avait réussi, ou pour un homme d’affaires modeste.
Tout changeait lorsqu’on voyait ses yeux, froids, hypnotiques, qui paraissaient pouvoir vous traverser de part en part. […] J’eus l’occasion de le regarder au fond des yeux et me rappellerai toute ma vie cet instant : son regard était totalement inexpressif, dénué de toute trace de pitié. C’étaient les yeux d’un homme décidé à tuer lorsque quelque chose ou quelqu’un se mettait en travers de son chemin.

Vito de retour parmi les siens, Frank se comporte alors à son égard avec grande prudence, mais paradoxalement, avec également beaucoup de respect. Il fera notamment en sorte que Vito n’ait pas l’impression d’avoir été mis sur la touche durant son absence et, progressivement, il lui laissera le contrôle de la famille, et ce sans protester. Une marque de respect qui ne semblait pas totalement satisfaire Vito, qui avait bien vu le pouvoir accumulé par Frank durant son séjour en Italie. Il devient jaloux de ses relations politiques, de son immense fortune et de son influence au sein de la pègre, lui qui aspirait au pouvoir ultime au sein de la mafia en devenant le chef de tous les chefs. En bref, pour Vito, c’était intolérable, comme le soulignera plus tard Joseph Valachi lors de l’un de ses témoignages :

– À son retour, il grommelait et ronchonnait sans cesse, accusant Tony Bender d’avoir laissé Costello, Moretti, Anastasia et Adonis s’approprier tous les rackets. Il se plaignait de ne plus avoir les coudées franches.

(Vito ayant en effet demandé à Tony Bender de garder le contrôle de la famille pour lui durant son absence).

Ouais, le retour de Don Vitone n’annonçait rien de bon pour Costello…

Fin d’année 1946.

Lucky Luciano, qui avait entre-temps été déporté en Italie, arrive à Cuba dans le but d’organiser un nouveau sommet du crime organisé. Avec l’aide de son fidèle ami Meyer Lansky, il prépare une réunion à laquelle les plus grosses pointures de la pègre américaine sont conviées, une conférence qui doit se dérouler à La Havane.

Arrivé sur place en premier, Luciano est bien décidé à reprendre les rênes de l’organisation, lui qui en avait été écarté en 1936, année de son incarcération. Cependant, le fait que Luciano ait été à l’écart ne voulait pas dire qu’il avait été complètement mis sur la touche, non. En fait, il avait encore son mot à dire sur à peu près tout, dont les décisions prises au sein de la famille. Frank Costello avait alors certes été propulsé au rang de parrain, mais il restait le représentant de Lucky, qui dirigeait les opérations à distance et, maintenant qu’il était à moins de 150 km des côtes américaines, il comptait bien reprendre sa place.

La conférence de La Havane s’est donc déroulée dans la semaine du 22 décembre 1946.
Parmi la liste des invités, on comptait certains des mafieux les plus influents, avec tout d’abord ceux de New York, où on retrouvait Meyer Lansky, Frank Costello, Vito Genovese, Joe Adonis, Albert Anastasia, Anthony Carfano, Mike Miranda, Joseph Bonanno, Tommy Lucchese, Joe Profaci et Joseph Magliocco.
Le New Jersey avec Willie Moretti et Longie Zwillman. Chicago, avec Tony Accardo et les frères Fischetti, qui amèneront avec eux la célèbre star Frank Sinatra.
La Nouvelle-Orléans avec Carlos Marcello et Phil Kastel. Santo Trafficante Jr. pour la Floride. Moe Dalitz de Cleveland, Joseph Stacher de Las Vegas, et enfin, Stephano Maggadino de Buffalo.

Après avoir festoyé, les mafieux commencent ainsi à discuter affaires, quand arrive le moment où le cas Bugsy Siegel est évoqué. Bugsy Siegel avait en effet été envoyé quelques années plus tôt par la mafia sur la côte ouest, et ce pour superviser la construction d’un casino à Las Vegas, du nom de Flamingo. Bugsy avait alors convaincu Costello d’investir dans cette affaire, ce qui avait poussé d’autres mafieux à suivre le pas. Le problème, c’est que le projet dépassait le budget initial de plusieurs millions de dollars, sans compter le fait que l’ouverture prenait du retard, ce qui rendait les investisseurs issus de la pègre particulièrement mécontents, attendant impatiemment leur retour sur investissement. N’en faisant qu’à sa tête et n’obéissant pas aux ordres, Bugsy s’était donc mis dans une situation délicate, surtout qu’il était également soupçonné, avec sa maîtresse Virginia Hill, de voler de l’argent dans la caisse.
La réunion de La Havane a été par conséquent l’occasion pour certains de demander son élimination. Bugsy était en danger, il n’y avait pas de doutes, mais le pire, c’est que Costello risquait également gros ! Puisque c’était lui qui avait incité ses compères à injecter de l’argent dans le projet, ce qui était suffisant pour le mettre dans une situation tout aussi périlleuse…

Des invités de la réunion sont donc allés se plaindre personnellement auprès de Lucky à cause de l’argent perdu. On raconte que certains voulaient même la mort de Costello en guise de punition ! Et bien que Luciano fût son vieil ami, il était difficile pour lui de contenir l’irritation des investisseurs contrariés. L’argent était l’une des choses les plus importantes dans la mafia, et il ne fallait pas rire avec ça.
Lucky dira donc à Costello de se débrouiller pour récupérer l’argent, d’une manière ou d’une autre :

– Sinon, je ne pourrai pas les retenir, dira-t-il.

– Et qu’arrivera-t-il à Bugsy ? s’enquit Costello.

– Lui, je ne peux pas l’aider.

Finalement, Frank survivra au fiasco du Flamingo en récupérant l’argent perdu. Pour Bugsy Siegel en revanche, c’était une autre histoire… Il sera en effet froidement abattu dans sa maison de Beverly Hills le 20 juin 1947…

 

De retour à New York, Frank découvre à quel point son nom a été sali depuis l’affaire de l’enregistrement téléphonique, un scandale qui l’avait définitivement placé sous les feux de la rampe… Or, même s’il s’efforce de paraître légitime aux yeux du grand public, à présent, on lui colle cette étiquette de gangster ; d’une part à cause de ses prétendus liens avec Lucky Luciano dans la mafia, et d’autre part, car il était considéré comme le roi des machines à sous. Sans oublier le fait qu’il avait été un important trafiquant d’alcool durant la prohibition. Bref, toutes ces choses n’ont pas aidé à renforcer son image d’homme d’affaires respectable. Pourtant, le plus grave était encore à venir pour Frank qui allait bientôt témoigner dans une commission d’enquête retransmise en direct à la télé. L’Amérique toute entière était en effet sur le point de découvrir qui était le Premier Ministre du milieu.

Nous sommes en 1950. La télévision devient de plus en plus populaire dans les foyers américains. Pour le grand public, c’est alors l’occasion d’entendre parler pour la première fois du crime organisé et de son influence néfaste dans le pays, et ce, grâce à une commission d’enquête du nom de « Commission Kefauver ».
Retransmise à la télévision, cette commission (qui portera le nom de son président, Estes Kefauver), montrera en effet à quel point l’Amérique était gangrenée par la pègre. Un spectacle auquel bon nombre d’Américains assisteront. Il s’agissait là d’un des premiers drames vécus en direct à la télévision.

C’est dans 14 villes des États-Unis qu’auront lieu les audiences de la commission Kefauver, dont New York où Frank Costello, très clairement tête d’affiche de la commission comparaîtra.

13 mars 1951, 10 h 30.

La salle d’audience du tribunal de Foley Square à New York est bondée de journalistes et de curieux. Quand arrive le moment que tout le monde attendait : Frank Costello se dirige vers les bancs des témoins.

 

Sénateur Halley : Vous a-t-on connu sous d’autres noms que sous celui de Frank Costello ?

Costello : Eh bien, quand j’étais enfant, je crois que l’on m’appelait par le nom de jeune fille de ma mère, Saverio.

Sénateur Halley : Vous vous êtes servi d’autres noms ?

[…]
Costello : Pas que je me souvienne.

Sénateur Halley : Mais vous vous êtes fait appeler Saverio ?

Costello : Oui, c’est possible, quand j’étais gosse…

Sénateur Halley : II me semble pourtant que vous vous êtes fait appeler ainsi après être sorti de l’enfance, si je ne m’abuse ?

Costello : En effet.

Sénateur Halley : Pouvez-vous alors m’expliquer ce que vous voulez dire quand vous prétendez qu’il est possible que vous vous soyez fait appeler Saverio ? Ne savez-vous pas pertinemment que vous vous êtes fait appeler ainsi ?

Costello : Oui, ça se peut.

Sénateur Halley : Enfin, vous ne parlez pas anglais quand vous dites que c’est possible ou que ça se peut ! Ça ne veut rien dire !

Costello : Je m’excuse. Je n’ai pas fait d’études supérieures comme vous, M. Halley.

Sénateur Halley : C’est sous ce nom que vous avez été condamné, si je ne me trompe ?

Costello : En effet. Cela remonte à 35 ou à 36 ans.

Sénateur Halley : Vous rappelez-vous avoir été condamné en 1915 pour port d’armes prohibées, un revolver en l’occurrence ?

[…]

 

Le sénateur Halley passa ensuite à autre chose. Cette fois-ci, il voulait démontrer que Costello était bel et bien l’un des patrons de la mafia. Halley parla alors du cas Willie Moretti, qui avait été également mis sur écoute par les autorités :

Sénateur Halley : N’est-ce pas parce qu’il avait tendance à bavarder un peu trop que vous l’avez envoyé en Californie ?

Costello : Absolument pas. Il se peut que je lui aie suggéré d’aller se reposer quelque part, en Floride, en Californie ou ailleurs. Quel privilège m’aurait donné le droit de l’assigner à résidence ?

Sénateur Halley : Mais enfin, vous étiez tout de même son patron ?

Costello : Patron de quoi ?

Sénateur Halley : Ne vous a-t-il jamais appelé au téléphone en vous lançant : « allô chef ? »

Costello : Je l’appelais « chef », moi aussi.

Sénateur Halley : Je ne me rappelle pas avoir entendu une seule conversation dans laquelle vous l’auriez appelé « chef ».

Costello : Je l’appelais « chef Meyers ». Je l’appelais déjà comme ça quand nous étions gosses.

Les sénateurs lui posent ensuite d’autres questions, notamment sur son implication dans le trafic d’alcool durant la prohibition et sur le montant de sa fortune.

Le lendemain, les questions du sénateur Halley se poursuivirent. L’affaire de la Nouvelle-Orléans fut évoquée, mais rien de concluant encore une fois. Les questions continuèrent ; le sénateur Halley était tenace et ne laissait aucun répit à Costello, qui commence à donner des signes de fatigue. Sa voix devient plus faible et plus grave. La poursuite de l’interrogatoire est repoussée au lendemain.

Le lendemain, l’avocat de Costello se lève pour s’adresser au sénateur Kefauver, le président de la Commission. Il affirme que son client souffre d’une inflammation de la gorge et d’une laryngite :

Avocat de Costello : Mon client a atteint les limites de l’endurance physique et mentale. Il ne peut continuer à témoigner dans ces conditions. Il désire se défendre lui-même et souhaite avoir l’occasion et la possibilité de le faire.

Mais la demande d’ajournement de l’avocat est refusée. Les sénateurs ordonnent de poursuivre l’interrogatoire :

Costello : Je ne suis pas en état de témoigner, sénateur. Je m’en tiens aux termes de la déclaration dont M. Wolf vient de vous donner connaissance. Je refuse d’apporter mon témoignage avant ma guérison complète.

Kefauver : Vous refusez de continuer à témoigner ?

Costello : Absolument.

La salle d’audience est choquée ! Frank Costello venait de laisser en plan la Commission Kefauver ! Rien que pour cela, il pouvait être arrêté et condamné à de la prison.
Le gérant d’un restaurant dans lequel Costello dînait régulièrement, se souvient :

— Le soir même du jour où il fit cet affront à la commission Kefauver, il dinait dans mon restaurant. J’ai commencé à l’engueuler, à le traiter de tous les noms : « Espèce d’idiot, pourquoi as-tu fait ça. Tu avais tout le pays derrière toi. Ça ne se fait pas, de laisser en plan comme ça une commission d’enquête du Sénat. » Il m’a longuement dévisagé, avant de répondre : « J’étais bien obligé. Il fallait que je sache avant tout ce que O’Dwyer allait leur raconter. »
Tout le monde savait que O’Dwer et Costello se rencontraient plusieurs fois par semaine. Tout le monde, sauf la commission qui croyait qu’ils n’avaient eu qu’une seule entrevue. Frank voulait simplement s’assurer que O’Dwyer tiendrait le coup.

 

Le 19 mars, Costello refait son apparition à la barre des témoins :

Sénateur Halley : Je me demande si, à ce stade, vous pourriez expliquer à la commission comment vous êtes parvenu à convaincre ces hommes politiques.

Costello : C’est difficilement explicable, monsieur Halley. En fait, j’ai passé toute mon existence aux environs de l’île de Manhattan. Je connais ces hommes depuis longtemps, je peux même dire que je les connais bien, et ils ont sans doute peu à peu appris à avoir confiance en moi. Si je leur dis : « Vous devriez songer à un tel ou un tel, pour tel ou tel poste, il ferait un excellent responsable », ils ont tendance à suivre mon conseil, voilà tout ; ce sont des choses qui ne s’expliquent pas.

Sénateur Halley : Les choses vont tout de même un peu plus loin que cela, monsieur Costello, vous ne croyez pas ?

Costello : Oh, je ne suis pas le seul à avoir vécu toute ma vie à New York, loin de là.

Sénateur Halley : Vous avez déclaré à la commission que vous n’aviez jamais voté de votre vie, si je ne m’abuse ? Est-ce exact ?

Costello : Oui.

Sénateur Halley : Appartenez-vous a une organisation politique quelconque ?

Costello : Non.

Sénateur Halley : Vous n’avez jamais été membre d’un parti ?

Costello : Non.

Sénateur Halley : Je comprends mal comment, dans ces conditions, vous avez pu peser sur l’élection de tel ou tel responsable de Tammany Hall, comme vous l’avez fait en 1942. Pouvez-vous éclairer la commission sur la nature de l’influence que vous exercez sur ces hommes politiques, sur les raisons qui les poussent à avoir confiance en vous ?

Costello : Je ne crois pas être en mesure de le faire, monsieur Halley.

Sénateur Halley : Auraient-ils peur de vous ?

Costello : Je ne vois pas pourquoi ils auraient peur de moi.

Sénateur Halley : Répondez à ma question.

Costello : Vous savez fort bien qu’ils ne me craignent en aucune manière.

Le sénateur Halley enchaîna avec l’affaire du juge Aurelio, mais Costello nia avoir joué un rôle quelconque dans l’élection de juges ou d’hommes politiques. Il s’adressa alors à Halley :

Costello : Je me suis brûlé les doigts une fois avec l’affaire Aurelio, et je n’ai appuyé aucun candidat depuis lors.

Sénateur Halley : Vous connaissez le juge Savarese, bien entendu ?

Costello : J’ai eu l’occasion de le rencontrer.

Sénateur Halley : Vous ne vous en êtes pas tenu là. C’est un de vos bons amis, n’est-ce pas ?

Costello : Oui… Oui, je peux dire que c’est un ami.

Sénateur Halley : Si vous le voulez, je peux produire devant la commission les enregistrements de vos conversations téléphoniques. Je peux vous mener la vie dure, monsieur Costello…

Costello : Vous me menez la vie dure depuis le début de mon interrogatoire, monsieur Halley.

Sénateur Halley : Nous pouvons continuer comme cela indéfiniment. Pour en revenir à nos moutons, Saverese est-il un de vos meilleurs amis, oui ou non ?

Costello : Il lui est arrivé de venir chez moi.

Le lendemain, rebelote. Cette fois-ci, le sénateur Halley interrogea Costello sur ses liens avec les chefs de la pègre. Il fut interrogé sur son entrevue avec Lucky Luciano à La Havane, avec lequel il avait été vu :

Sénateur Halley : Parlez-moi un peu de cette rencontre.

Costello : Me trouvant à Miami à l’époque, j’ai décidé d’aller passer un jour ou deux à Cuba. En sortant de l’hôtel pour me rendre à l’aéroport, je me suis retrouvé nez-à-nez avec Charly Luciano.

Sénateur Halley : Il vous a accompagné à l’aéroport, c’est bien ça ?

Costello : Oui.

Sénateur Halley : Et de quoi avez-vous parlé ?

Costello : Oh, de choses et d’autres. De nos santés respectives, de Cuba, de tout et de rien, quoi.

Sénateur Halley : Avez-vous parlé affaires ?

Costello : Non.

Sénateur Halley : De jeu, alors ?

Costello : Non.

Sénateur Halley : Vous êtes sûr que vous n’avez pas parlé de trafic de drogue ?

Costello : Non. C’est ridicule, monsieur Halley.

Sous-entendre et chercher la culpabilité par association étaient les seules armes dont disposait le sénateur Halley pour mettre à mal l’innocence de Costello lorsqu’il parlait de ses liens avec la pègre. À vrai dire, il n’en savait pas plus que les dossiers de police, qui étaient déjà eux très limités quand il s’agissait de la mafia.

Pour Costello, le calvaire était enfin terminé. Mais le traitement qu’il avait subi pendant cette Commission le mettait hors de lui, au point qu’il éprouvera de la haine pour le sénateur Kefauver jusqu’à la fin de ses jours. Pour lui, les sénateurs de la commission n’étaient que des hypocrites qui, en s’en prenant à lui, ne cherchaient qu’à gravir les échelons de leur carrière politique. Frank Costello racontera alors cette anecdote improbable qui s’est produite lors des audiences. Le sénateur Estes Kefauver était en effet venu le voir pour lui demander de s’entretenir seul à seul avec lui. Apparemment, le sénateur avait besoin d’aide :

– Comment pourrions-nous débarrasser les États-Unis de ce fléau qu’est le jeu ?

– Si vous voulez empêcher les Américains de jouer, Sénateur, il faut prendre deux mesures.

– Lesquelles ? demande Kefauver, impatient de connaître la réponse.

– Il faut brûler les écuries et abattre les chevaux.

Frank Costello lors de la Commission Kefauver

Photo de Frank Costello prise durant la commission Kefauver.

 

Vito veut ma peau

Le gangster le plus célèbre des États-Unis. C’est ce qu’était devenu Frank Costello après ses passages à la Commission Kefauver. Désormais, la justice américaine l’avait en ligne de mire :

– Épinglez Costello ! Tels étaient les ordres donnés aux services judiciaires américains après la commission Kefauver.

On peut dire que ça sentait le roussi pour Costello. Lui qui s’était efforcé de rester discret tout au long de sa vie, était devenu malgré lui la nouvelle star du pays suite à ses passages à la télévision. Une exposition qui amoindrira son influence politique au sein du Tammany Hall, même si elle restera importante. Disons que maintenant, les politiciens évitaient d’être vus en sa compagnie…

Mais le fait que le gouvernement s’acharnait sur Costello en pensant qu’il était l’homme à abattre au sein du crime organisé démontrait une chose : que les autorités américaines avaient encore une fois un train de retard, car oui, le pouvoir véritable ne se trouvait pas entre les mains de Costello à ce moment-là, mais bien entre celles de son rival, Vito Genovese.

À la fin de l’année 1951, Don Vitone était en effet le nouveau chef de la famille Luciano. Frank Costello, qui gardait tout de même une certaine stature au sein de l’organisation, était quant à lui revenu au rang de conseiller.

Vito était donc le boss, un statut qui, étrangement, ne le satisfaisait toujours pas… En fait, il avait le désir ardent et secret de devenir le chef suprême de la mafia : le capo di tutti capi, un poste qui, dernièrement, avait été occupé par Salvatore Maranzano dans les années 30.

Un projet pour le moins ambitieux et risqué, mais qui ne faisait pas peur à Vito, bien décidé à monter au plus haut rang de la Cosa Nostra. Pour y arriver, Vito sait alors qu’il devra se débarrasser de certains obstacles, et quand on parle d’obstacles, on parle bien sûr de potentiels concurrents… Et c’est là que le cas Willie Moretti est revenu sur le tapis.

En effet, voyant que l’état de santé de Moretti se détériorait, Vito en a profité pour en finir une bonne fois pour toutes. Le lieutenant de Costello n’avait malheureusement plus toute sa tête à cause de la maladie, ce qui inquiétait beaucoup les chefs mafieux new-yorkais, qui craignaient que Willie ne perde le contrôle de sa langue.
La situation parfaite pour Vito Genovese, qui n’a donc pas tardé pas à agir… Pour cela, il a préconisé l’élimination de Moretti auprès de ses confrères de la mafia, en avançant notamment le fait qu’il représentait une menace pour tout le monde, et que cette élimination était pour le bien de tous.
Évidemment, Vito savait qu’il récupérerait une bonne partie de l’empire de Moretti au New Jersey et qu’en le liquidant le pouvoir de Costello serait diminué, puisqu’il verrait un de ses lieutenants évincé, en plus d’un très grand ami…

 

L’assassinat de Moretti avait été net et sans bavure…

Frank Costello venait donc de perdre un ami cher, et les choses n’allaient malheureusement pas s’arranger pour lui, puisque, un an plus tard, les ennuis avec la justice prennent le relais. Des problèmes judiciaires qui font suite aux audiences de la Commission Kefauver, Costello ayant été en effet reconnu coupable d’injures envers le Sénat et condamné à 18 mois de détention. 37 ans qu’il n’avait plus mis les pieds en prison, ça ne devait certainement pas lui manquer…

Finalement, Costello est relâché en octobre 1953 grâce à une remise de peine. Mais à peine a-t-il le temps de souffler qu’une autre condamnation lui tombe dessus, cette fois-ci pour fraude fiscale.
En effet, c’est au bout de deux ans d’enquête que le service des impôts décide de l’inculper et de le condamner à cinq ans de prison, la sentence la plus dure.

À ce moment-là, Frank traverse l’une des périodes les plus déprimantes de son existence. Envoyé en prison à 65 ans avec une condamnation pareille, il se dit qu’il pourrait bien finir ses jours derrière les barreaux, et cela l’écœurait plus que tout…

Heureusement pour lui, la cour d’appel réexaminera son dossier quelque temps plus tard, ce qui permettra de considérablement réduire sa peine. Frank sortira alors par miracle de prison après seulement 11 mois de détention.

Les problèmes avec la justice semblaient donc enfin terminés. Frank ne demandait plus maintenant qu’à couler des jours paisibles jusqu’à la fin de sa vie.
De son côté, Vito Genovese lui échafaudait un plan pour l’assassiner…

 

2 mai 1957.

Frank Costello se lève à 5 heures du matin comme à son habitude. Il effectue son rituel matinal et lit le New York Times tout en s’abreuvant de café. Frank s’intéresse alors tout particulièrement à un article qui fait la Une du journal et qui relate un combat de boxe de la veille : Ray Sugar Robinson avait affronté Gene Fullmer, et le combat s’était soldé par un K.O. au cinquième round. Sugar Robinson en était sorti vainqueur, ce qui arrangeait fortement les affaires de Costello, qui avait parié une grosse somme sur son poulain remportant par conséquent, la coquette somme de 225 000 $.
10 h30, c’est le moment pour Frank de se rendre au Waldorf Astoria pour passer au salon de coiffure. Un salon qui était un peu comme son bureau ; un lieu où, en plus de se faire couper les cheveux, de se faire raser et manucurer, il accueillait les politiciens du Tammany Hall, ainsi que ses confrères issus de la pègre.

« Il suffisait de guetter l’entrée du Waldorf quelques heures d’affilée pour y voir pénétrer des pèlerins venus des quatre coins du pays », se souvient un policier chargé de le surveiller l’époque.

Lorsque Frank se déplaçait, c’était toujours sans garde du corps, contrairement aux autres gros bonnets du milieu qui étaient eux entourés de toute une armée d’hommes de main. Pour se rendre à ses rendez-vous, il prenait alors le taxi, ou marchait tout simplement.

L’heure du dîner arrive.

Il est 18 h passé quand Frank entre dans un restaurant chic de la 55e rue Est avec sa femme et un groupe d’amis. Ils dînent, passent une agréable soirée ensemble puis, vers onze heures moins le quart, Frank décide de s’en aller, laissant sa femme et ses amis profiter du reste de la soirée.
Pendant ce temps, deux voitures noires se sont garées devant sa résidence. Trois hommes sont à l’intérieur, visiblement en train d’attendre quelqu’un. Ils ne quittent l’entrée de la résidence de Costello des yeux que pour regarder leur montre.

22 h 55 : Frank se fait déposer devant chez lui par un taxi. Il entre dans sa résidence. À ce moment-là, une personne semble le suivre de près, mais Costello n’y prête pas attention. L’homme, grand et costaud, semble pressé et préoccupé, au point qu’il pousse le portier de l’hôtel qui cherche à l’arrêter ! Costello ne remarque toujours rien. Il se dirige vers l’ascenseur, quand soudain, il se retourne et entend :

– Celle-là est pour toi, Frank !

Tirée à bout à portant, la balle lui explose à la figure. Par chance, elle ne fait qu’effleurer son crâne, juste au-dessous de l’oreille droite. C’est un miracle qu’il n’ait pas été tué. De son côté, l’assaillant, certain d’avoir éliminé sa cible, s’enfuit. Frank est légèrement blessé, mais son sang coule tout de même abondamment. Il est très vite emmené à l’hôpital.

Mais à peine arrivé là-bas, les policiers l’assaillent de questions, en particulier sur l’identité de l’agresseur. Frank ne dit pas un mot, respectant consciencieusement la loi de l’omerta. Les policiers décident alors de fouiller ses affaires. Ils trouvent un petit papier sur lequel sont indiqués des chiffres particulièrement intéressants.

Les policiers emmènent Costello au commissariat pour l’interroger :

— Allons, Frank, sois raisonnable. Tu sais très bien qu’on aura de toute façon le fin mot de l’histoire.

— Je refuse de répondre à vos questions hors de la présence de mon avocat.

— S’agit-il du casino de Las Vegas ?

— Je vous ai déjà dit que je refusais de répondre.

— Allez, avoue que c’est toi le propriétaire de ce casino, Frank.

— Depuis quand la loi vous autorise-t-elle à fouiller dans les poches des gens sans mandat de perquisition ?

Des heures interrogatoires qui ne mèneront à rien pour les enquêteurs…

Mais qui pouvait donc bien être l’agresseur ? Frank avait sa petite idée. D’instinct, il savait en effet que Vito était derrière tout ça, le seul homme capable en vérité d’ordonner son exécution. Faisant partie de ses concurrents potentiels pour obtenir le titre suprême de chef de tous les chefs, il n’était pas étonnant que Vito ait voulu l’éliminer. Et il avait vu juste, puisque l’agresseur n’était autre que le chauffeur et garde du corps de Vito, un certain Vincent The Chin Gigante, qui se rendra d’ailleurs à la police quelques semaines après.

Ne voulant pas déclencher de guerre, Costello continue alors de rester silencieux, notamment lors du procès de Vincent Gigante, où Frank refuse obstinément d’identifier son agresseur, faisant preuve, encore une fois, de loyauté envers la mafia. L’homme de main de Vito est ainsi reconnu non coupable. L’affaire est close.

Mais cet assassinat manqué met tout de même Vito dans une situation délicate… Il sait qu’il doit calmer le jeu et décide par conséquent d’organiser une réunion avec Frank dans le New Jersey. Une rencontre dont Lucky Luciano se souvient :

— Après l’échec de Gigante, Genovese et Costello se rencontrèrent chez Longie Zwillman à New Jersey. Frank m’a tout raconté par la suite. Vito lui proposa un compromis, car tous deux, après ce qui s’était passé, se trouvaient dans le pétrin. Il dit à Frank : « Ne bouge pas. Ne te plains à personne. Et surtout, ne va pas trouver Charlie Lucky avec cette histoire, car si tu le fais, tu déclenches la guerre.
Dans ce cas, je te promets que le premier mort, ce sera toi. » Alors, ils ont conclu un marché. Frank n’avait pas le choix. Il a promis de tout oublier, et Vito s’est engagé à le laisser se retirer comme Frank le voulait, avec ses jeux et ses propriétés.

Mais dans la mafia, nombreux étaient ceux qui ne croyaient pas en la version de Vito, selon laquelle il aurait voulu éliminer Costello à cause du fait qu’il serait devenu un indic pour le gouvernement. Pour certains, comme Albert Anastasia, un allié de Frank qui était à la tête de l’ancienne famille Mangano, Don Vitone avait commis une grave infraction aux lois de la mafia. Ordonner le meurtre de Costello sans avoir demandé au préalable l’aval de la Commission ? C’était aller trop loin. Les tensions sont donc montées, au point que les relations entre les familles Genovese et Anastasia se sont gravement détériorées. À ce moment-là, on craignait une nouvelle guerre à New York.

Vito Genovese est soudain alerté par une nouvelle inquiétante ! Frank Costello et Albert Anastasia se seraient apparemment rencontrés dans le plus grand secret. Vito, qui craint pour sa vie, décide donc de prendre les devants en prenant discrètement contact avec Carlo Gambino, l’un des lieutenants d’Albert Anastasia.

Lors de l’entrevue, Vito lui propose dès lors de remplacer Anastasia au poste de parrain, et ce en échange de son élimination. Gangster ambitieux et sachant qu’il finirait un jour ou l’autre sur la liste noire de Vito, Carlo Gambino accepte la proposition. Le reste appartient à l’histoire…

Encore un ami de Costello tué à cause de l’impitoyable Vito Genovese… Une mort qui affectera énormément Frank. Il savait en effet qu’il serait le prochain sur la liste. Son avocat se souvient :

– Après le meurtre d’Anastasia, j’ai été convoqué dans les heures qui ont suivi. Lorsque je suis arrivé à l’appartement de Frank, je l’ai trouvé avec Tony, le frère d’Anastasia, serrés l’un contre l’autre en train de sangloter.

C’était la première fois que son avocat le voyait pleurer. Maintenant que la plupart de ses alliés étaient hors course, Frank savait qu’il était vulnérable. Joe Adonis et Lucky Luciano avaient été expulsés en Italie, tandis que Willie Moretti et Albert Anastasia n’étaient plus de ce monde. Il restait donc là, seul, face à Vito, qui avait dorénavant le champ libre pour convoiter le titre de chef suprême qu’il désirait tant.

L’avocat de Costello se tient alors à la porte du salon de son client lorsque ce dernier le voit et déclare à voix basse :

– Cela signifie que je suis le prochain.

Pour Costello, la meilleure solution consiste dès lors à tout laisser tomber, ce qu’il fera en demandant la paix à Vito Genovese. De toute manière, il n’avait plus besoin d’argent, la fortune qu’il avait amassée lui permettait de vivre dans le luxe jusqu’à la fin de ses jours. Il valait donc mieux abandonner la bataille de sorte à pouvoir se retirer tranquillement.

Finalement, la demande de paix de Costello est acceptée par Vito, qui accepte de laisser la vie sauve à son rival de toute une vie. Toutefois, il l’humiliera en le dépouillant de tous ses revenus à Las Vegas, en Floride et dans les Caraïbes, mais aussi en le rétrogradant au rang de soldat dans la mafia et en exigeant qu’il s’engage publiquement à ne plus s’occuper d’aucun racket jusqu’à la fin de ses jours.
De cruelles conditions que Frank acceptera… Il avouera alors un jour à l’un de ses amis s’être trompé sur le compte de Vito. Son ami rapporte :

— Pour autant que je me souvienne, il ne changea rien à ses habitudes et ne parut pas affecté par le coup qui venait de lui être porté. Une chose tout de même : je ne l’ai plus jamais entendu prononcer en public le nom de Genovese, qui, auparavant, revenait sans cesse dans sa conversation. […] On aurait dit qu’il l’avait complètement effacé de sa mémoire.

Costello mis sur la touche, Vito pouvait donc enfin prétendre au titre qu’il désirait. Pour cela, il organisa une conférence à Apalachin, dans le nord de l’État de New York. La réunion, à laquelle étaient conviés tous les plus grands chefs mafieux du pays, devait le sacrer capo di tutti capi. Mais, malheureusement pour lui, les choses ne vont pas se passer comme prévu. En fait, la conférence d’Apalachin s’avérera comme l’un des plus grands fiascos de l’histoire de la mafia. Une descente de police sabotera en effet le grand projet de Vito, une visite qui contraindra les invités à fuir dans les bois pour leur échapper ! Résultat, plus de 100 personnes sont arrêtées, dont certains gros bonnets du milieu, et le prestige de Vito Genovese aux yeux de ses collègues lui prit un sacré coup…

Pour Vito, les ennuis ne s’arrêtent pas là, puisque l’année qui suit la conférence d’Apalachin, il est arrêté et piégé dans une affaire de trafic de stupéfiants. Un coup très probablement monté, avec l’aide du gouvernement, par Luciano, Costello, Lansky et Carlo Gambino, qui voulaient mettre un terme définitif au règne effréné de Don Vitone.

Vito Genovese est alors condamné à 15 ans de prison, qu’il purgera au pénitencier fédéral d’Atlanta. Le comble de cette histoire, c’est que Frank le rejoindra quelque temps après à cause de nouveaux problèmes judiciaires. Il devait en effet purger le reste de sa peine pour fraude fiscale. Frank Costello et Vito Genovese dans la même prison, on ne pouvait s’attendre qu’à un mélange explosif…

Et effectivement, des tensions ont commencé à surgir lorsque les prisonniers du pénitencier ont voulu s’en prendre à Vito car ils pensaient qu’il était à l’origine des problèmes fiscaux de Costello. Des émeutes étaient alors sur le point d’éclater, ce qui mettait clairement en péril la vie de Vito, puisque la prison ne comptait pas assez de gardiens pour le protéger. Pour calmer la situation, Frank appellera donc son avocat.
Arrivé là-bas, les deux ont une discussion. Frank lui fait état de la situation :

– La situation est trop périlleuse. Tout le monde panique. J’essaie de leur dire que Vito n’y est pour rien, mais ils ne veulent rien entendre. Je veux que nous nous réunissions dans le bureau du directeur avec un photographe qui nous prendra en photo en train de nous serrer la main.

La réunion est finalement organisée. Vito et Frank se rencontrent et les choses s’apaisent. L’avocat de Frank se souvient alors de ce que Vito lui a dit un moment :

– Entre toi et moi, Frank, c’est un sacré personnage. Il est si intelligent que je me demande toujours où il veut en venir avec tout ce qu’il dit, puis je me rends compte qu’il dit vrai et que c’est moi l’imbécile dans l’histoire. Il m’a même mis en garde contre la tenue de cette réunion à Apalachin et je ne l’ai pas écouté.

Ainsi, grâce à la diplomatie de Costello, Vito a pu sauver ses fesses. Mais en faisant ça, Frank sauvait aussi les siennes, puisqu’il s’assurait une protection à sa sortie de prison, après tout, il avait rendu service à celui qui était encore le chef de la famille Genovese.

Libéré en juin 1961, Frank peut alors prendre sa retraite et couler des jours paisibles comme il le voulait. N’étant plus une menace pour le FBI, il semblait enfin sorti d’affaires et, avec lui, l’imposante fortune qu’il avait amassée au cours de sa vie, ses amis et sa femme. Bref, il n’était pas à plaindre.

Le monde qu’il avait connu n’était cependant plus le même, beaucoup de choses avaient changé. Ses amis de longue date n’étaient plus là, c’était la fin d’une ère, une ère extrêmement prospère pour la pègre et tous ses acteurs, dont Frank, qui laissera, à n’en pas douter, une marque indélébile dans l’histoire de la mafia. Un gangster comme pas deux, dont le nom restera pour son incroyable habilité dans le trafic d’influence, une corruption qui aura permis à la pègre de s’établir comme jamais à New York.
On retiendra évidemment son nom pour son art de la diplomatie au sein de la pègre, une qualité qui aura permis d’éviter bon nombre de conflits mafieux. Finalement, on peut dire de Frank Costello qu’il n’était pas loin de devenir l’homme d’affaires respectable qu’il s’était toujours imaginé être. Mais bon, quand on entre dans la Cosa Nostra, c’est pour y rester jusqu’à la fin de ses jours, et ça, Frank Costello le savait bien.

D’ailleurs, ceux de Frank approchaient eux à grand pas… Ouais, c’est une crise cardiaque qui aura en effet raison de lui le 18 février 1973. Frank avait 82 ans.

Vito Genovese

Vito Genovese pris en photo lors d’une de ses arrestations.

Frank Costello sort de prison

Frank Costello âgé après sa sortie de prison.

Mausolée de Frank Costello

Funérailles de Frank Costello.

 

Épilogue

*Voir l’épilogue de cette histoire dans la vidéo ci-dessous* 👇

Vidéos sur l’histoire de Frank Costello


Sources

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