PARTIE I
Je me présente : Salvatore Lucania. Mais vous me connaissez sûrement sous le nom de Lucky Luciano.
Autrefois, c’est-à-dire à l’époque des années 30 jusqu’aux années 50, j’étais le chef suprême de la mafia américaine.
Oui, rien que ça.
Petit immigré sicilien que j’étais, j’ai en effet gravi les échelons de la pègre pour me hisser au rang de « Capo di tutti capi » (le parrain des parrains si vous préférez). Je dirigeais une organisation qui regroupait tous les chefs mafieux du pays, en plus d’avoir été le chef des 5 familles de la Cosa Nostra de New-York.
Comment j’y suis parvenu ? Ah, c’est une longue histoire, mais pour vous résumer ça en quelques mots, je dirais : le trafic d’alcool (la Prohibition plus particulièrement), les jeux d’argent, les braquages et certains règlements de comptes qui m’ont aidé à grimper jusqu’au sommet.
Certains m’ont alors décrit comme l’un des plus grands criminels que le monde ait jamais connus. Ce qui peut en surprendre beaucoup, car j’ai su pendant longtemps rester loin des projecteurs.
J’étais du genre assez discret on va dire et c’est ce qui m’a d’ailleurs permis de rester longtemps sous les radars.
Dans les lignes qui vont suivre, je vais donc, si vous le voulez bien, vous raconter ma vie.
Une vie qui a inspiré de multiples films sur le thème de la Mafia, dont le très célèbre film « Le Parrain » (1972). Le personnage de Michael Corleone ayant été en grande partie inspiré de mon histoire.
[Pour plus d’immersion, cet article a été rédigé à la 1ère personne du singulier/pluriel]
L’entrée précoce de Lucky Luciano dans la délinquance
C’est à Lercara Friddi (une petite commune de la région Sicile) que je naquis le 24 novembre 1897.
Prénommé Salvatore, je fus le 3e enfant de la famille Lucania.
Dans la fratrie, nous étions 5, parmi celle-ci il y avait :
- Mon grand frère Giuseppe
- Francesca, ma grande sœur
- Salvatore, moi-même
- Et puis les 2 petits derniers : Bartolo et Concetta
Des 5, j’étais le préféré de ma mère, Rosalie « Capporelli » Lucania (Capporelli étant son nom de jeune fille).
Elle était mariée à Antonio Lucania, qui était donc mon père.
Image d’archives de la ville de Catane en Sicile dans les années 1900.
Notre famille était très pauvre. Je me souviens que mon vieux était sans-le-sou et que ma mère comptait notre argent à chaque fin de mois avec comme espoir de fuir cette situation miséreuse.
À cette époque, mes parents ambitionnaient alors d’immigrer aux États-Unis. Surtout mon père, qui, pendant toute mon enfance, ne parlait que d’une chose : partir pour l’Amérique.
Ce que nous avons fini par faire au mois d’avril 1906.
À bord d’un vieux bateau, ma famille et moi traversâmes l’Atlantique pour nous rendre dans un monde diamétralement opposé à celui de la Sicile.
Nous ne le savions pas encore mais nous quittions à ce moment-là l’univers paisible et familier de Lercara Friddi pour un monde agité où les gens semblaient particulièrement étranges et terrifiants.
Notre destination ? La ville de New York.
Mon père avait trouvé un petit appartement sombre et miséreux dans le quartier de « Lower East Side » à Manhattan. Pour ma famille et moi, c’était donc l’endroit où nous allions vivre pour les prochaines années.
Dans ce quartier, il y avait de tout, des :
- Siciliens
- Napolitains
- Calabrais
- Irlandais
- Et des membres de la communauté juive
On était tous mélangés et nous vivions dans la misère la plus totale.
En fin de compte, rien ne changea pour moi là-bas. J’avais uniquement échangé la pauvreté de Lercara Friddi pour celle de New-York…
Quartier du Lower East Side dans lequel Salvatore Lucania (Lucky Luciano) et sa famille ont emménagé au début du XXe siècle.
Mon père commença alors à chercher un emploi, chose qu’il réussit à faire en trouvant un poste de manœuvre.
Il avait un salaire plus élevé qu’en Sicile, et pourtant cela lui permettait à peine de subvenir aux besoins de la famille.
Mais bon, au moins, il savait qu’en Amérique il y avait de l’espoir pour ses enfants.
Pour mes parents, l’école était la meilleure des choses aux États-Unis, d’autant plus qu’elle était gratuite, contrairement à la Sicile.
Pour un gosse comme moi, qui ne comprenait pas un traître mot d’anglais, aller à l’école n’était pas facile. Mes premières années scolaires ont été sans doute le moment de ma vie où j’en ai le plus bavé.
J’avais 9 ans et j’étais le plus âgé de ma classe.
Les autres gosses ressemblaient à des bébés et lorsqu’ils me parlaient je ne comprenais pas un foutu mot de ce qu’ils me racontaient.
D’ailleurs, c’est peut-être pour ça que j’ai voulu quitter l’école pour la rue.
Parce que oui, au moins dans la rue les gens me comprenaient. Là-bas, les gens parlaient le dialecte sicilien, ce qui était plus facile pour moi.
Avec mon âge avancé et ma grande taille, je regardais donc avec envie mes camarades de classe plus brillants et plus jeunes que moi.
Ceux qui me surprenaient le plus étaient les enfants d’origine juive. J’étais fasciné par la vitesse à laquelle ils absorbaient les connaissances et les leçons. Ces types-là avaient de la matière grise et je savais que plus tard j’en ferais mes alliés.
Par la suite, je me suis mis à faire l’école buissonnière.
Dans la rue, j’essayais par différents moyens de gagner de l’argent. J’avais bien compris à l’époque « qu’il y avait des gens qui en avaient et d’autres qui en avaient pas ». Et j’étais bien décidé à faire partie de ceux qui en avaient.
Du coup, j’ai commencé à travailler comme coursier pour un marchand de glaces du quartier. Puis, j’ai découvert qu’il y avait des moyens plus faciles pour s’enrichir et j’ai commencé à voler tout ce qui me tombait sous la main.
À côté de ça, je proposai également mes services de protection aux enfants juifs harcelés à la sortie des cours par les Italiens et les Irlandais plus âgés qu’eux.
Le 25 juin 1911, à force de sécher les cours, j’ai été envoyé dans une école spéciale pour enfants déscolarisés à Brooklyn.
J’y ai passé 4 mois. En sortant de là, j’avais compris que l’école était définitivement finie pour moi.
Mon père me lança alors un ultimatum : retourner en cours ou trouver un boulot. J’ai choisi la 2ème option.
Seulement, les seuls emplois disponibles à l’époque étaient des postes de livreur, et ils étaient rares.
Dans mon quartier, il y avait plusieurs jeunes de mon âge qui avaient quitté, comme moi, l’école prématurément. Ils n’avaient aucune éducation, ou presque, et pourtant, tous rêvaient d’une chose : vivre dans l’opulence et le luxe.
Jeune travailleur devant un policier à Little Italy, Manhattan (1897) (Image d’illustration).
Ainsi, des bandes de jeunes gars se formèrent et commencèrent à commettre des délits dans le quartier (j’en faisais bien évidemment partie).
Dès lors, nous dévalisions les boutiques, nous arrachions les sacs à main des vieilles dames et d’autres choses comme ça.
Mais nous n’étions pas les seuls truands dans le coin.
Il y avait aussi les vrais professionnels, qu’on appelait les « Dons ». Ils étaient venus d’Italie comme nous et s’étaient enrichis grâce au racket.
À ce moment-là, j’étais mal vu par mon père, notamment à cause du séjour en école de redressement.
Les 4 mois passés là-bas m’avaient toutefois taillé une certaine réputation dans la rue. Les autres gars du milieu me respectèrent davantage, ce qui me permit par la suite de devenir le chef d’une bande.
La formation de son gang
Ma bande était composée de 6 à 12 amis. Tous étaient siciliens.
Ensemble, on terrorisait le quartier en pillant les magasins et en volant les passants, une fois la nuit tombée.
Des gangs comme le nôtre, il y en avait des dizaines dans le Lower East Side. À cette période, les bandes de jeunes délinquants ne manquaient pas.
C’est alors qu’on s’est aperçu d’une chose : le quartier devenait trop petit pour nos activités.
Les vols nous rapportaient effectivement peu d’argent et il était donc nécessaire pour nous de tourner notre regard vers l’extérieur.
Mes gars et moi avons du coup ciblé les hauts quartiers de New York. Là-bas, les richesses étaient illimitées. Nous avons pu conclure de nouvelles alliances et nous faire de nouveaux amis.
D’ailleurs, c’est comme ça que j’ai pu rencontrer Francesco Castiglia, plus connu sous le nom de Frank Costello, le chef du « Gang de la 104ème Rue ».
Photo d’identité judiciaire de Francesco Castiglia (Frank Costello), l’ami et associé de Salvatore Lucania (Lucky Luciano).
Castiglia était italien comme moi. C’était un gars intelligent, lucide, impitoyable et déterminé. Il aspirait aux mêmes objectifs que moi, c’est-à-dire : monter au sommet de l’échelle sociale et dominer la ville.
Très vite, on se lia d’amitié. Une amitié qui allait durer jusqu’à nos derniers jours.
À 15/16 ans, le crime devint donc mon métier. À côté de cela, je continuai tout de même les boulots de coursier pour gagner quelques dollars supplémentaires.
Car oui, les délits que je commettais avec ma bande ne me rapportaient pas encore assez.
Nous étions alors en 1915 et à cette période un bon nombre de mes camarades furent arrêtés par la police et condamnés à des peines de prison ferme.
Frank Castiglia, mon nouveau partenaire, était l’un d’entre eux. Il fut arrêté cette année-là pour port d’armes.
De mon côté, j’avais eu pas mal de chance. Les autorités commencèrent à s’intéresser à mon sujet, mais j’évitai, pour le moment, la justice.
Je dis ça, parce qu’on m’arrêta plus tard pour trafic de drogue.
En effet, dans mon boulot de coursier (dans lequel je transportais des chapeaux), j’avais pris l’habitude de cacher de la drogue dans les articles que je livrais.
À l’époque, je travaillais pour un trafiquant notoire du coin et j’arrivais ainsi à me faire près de 100$ par mois. C’était de l’argent facile.
Puis, un jour, on me balança et par la suite (le 26 juin 1916) je dus comparaître devant la justice pour détention illégale de stupéfiants.
Durant mon jugement, je plaidai coupable et on me condamna à 1 an de prison.
J’ai fini par en sortir au bout de 6 mois grâce à une libération conditionnelle.
Lors de mon séjour carcéral, j’avais changé de prénom. Je ne m’appelais plus Salvatore mais Charlie.
Pourquoi cela ? En fait, certains détenus avaient pris l’habitude de me surnommer « Sallie » en prison et je n’aimais pas ça. Sallie faisait trop « nom de fille », du coup j’ai choisi quelque chose de plus viril et Charlie sonnait bien.
Photo d’identité judiciaire d’un jeune Charlie Lucania (Lucky Luciano).
Au mois de décembre 1916, moi, Charlie Lucania, je sortis donc de prison. Suite à mon passage en taule, mon prestige de chef de bande augmenta notablement.
De nombreux bandits voulurent alors que je travaille pour eux, mais cela ne m’intéressait pas. Obéir aux ordres d’un supérieur, ce n’était pas fait pour moi. Je devais être le chef et rien d’autre.
À la fin de l’année 1917, je créai le gang qui me suivrait jusqu’au sommet.
Dans ce dernier, se trouvaient mon ami Frank Castiglia, sorti entre-temps de prison et 2 autres membres originaires de mon quartier, le Lower East Side. C’étaient 2 jeunes juifs qui nourrissaient les mêmes ambitions que moi :
- Meyer Lansky : un petit gars agressif d’environ 1m60 qui ne se laissait pas faire. Il avait les mathématiques dans le sang et était très intelligent.
Ce gars était toujours accompagné par un mec de 4 ans plus jeune que lui et qui le suivait comme son ombre, Benjamin Siegel. - Benjamin Siegel : surnommé plus tard « Bugsy », était un gars grand et beau. Il n’était pas aussi intelligent que Lansky, mais il savait utiliser son charme pour influencer ses victimes, comme ses amis d’ailleurs. Siegel avait la réputation d’un dur à cuire, il était le premier à donner un coup de poing dans une bagarre et ne sortait jamais sans son calibre.
Frank Castiglia (que l’on surnomma plus tard Costello), Meyer Lansky, Siegel et moi étions donc sur le point de former une bande redoutable.
Ce qui faisait notre force était notre complémentarité.
Costello, Lansky et moi étions les analystes, nous savions comment gérer nos émotions et nous prenions toujours les décisions de manière réfléchie.
Quant à Siegel, c’était tout l’inverse. Complètement téméraire, il était tout le temps dans le feu de l’action.
À gauche : Meyer Lansky. À droite : Benjamin « Bugsy » Siegel.
Avec mes nouveaux associés, les affaires marchaient beaucoup mieux. Le nombre de vols, de cambriolages et de braquages augmenta considérablement. Et les bénéfices commencèrent à s’accumuler.
Je me souviens qu’il y avait parfois tellement de fric qui rentrait dans les caisses qu’on avait du mal à le compter.
Et même Lansky, le génie en calcul, perdait des fois les pédales pour vous dire.
En novembre 1918, notre gang comptait ainsi une vingtaine de membres. Les bénéfices montaient en flèche et c’est alors que nous avons décidé de commencer à investir, notamment chez les bookmakers, déjà bien implantés à l’époque.
C’était le début de ce qu’allait devenir l’empire du jeu et du pari clandestin.
À cette période, c’était comme si un monde nouveau s’ouvrait à nous.
Grâce au jeu, on savait désormais qu’on avait les moyens d’atteindre la richesse, et le tout, de façon plus ou moins légale.
Il nous suffisait d’acheter la protection de la police, et le tour était joué.
Pourtant, ce ne sont pas les paris clandestins qui nous ont le plus enrichi, mais l’alcool.
Le 16 janvier 1919, le 18ème amendement de la Constitution des États-Unis fut ratifié. Son but ? Interdire la fabrication, la vente et le transport de boissons alcoolisées dès l’année suivante (c’est-à-dire au début de l’année 1920).
En d’autres termes, la prohibition commença et on entra dans la fameuse époque des années folles.
Une période qui allait permettre à la pègre américaine et à notre gang de se développer considérablement.
Une prohibition si lucrative
Vers la fin de l’année 1920, mes gars et moi fêtâmes le retour d’un ami qui faisait particulièrement parler de lui à Chicago : Alphonse Capone.
Capone avait 3 ou 4 ans de moins que moi, c’était un mec au tempérament violent, qui voyait loin et qui avait du cran.
Il avait quitté New-York pour Chicago suite à mes ordres et à ceux de Frankie Yale.
À l’époque, Capone avait en effet déjà 2 meurtres à son actif. La justice voulait alors sa peau, ce qui nous avait convaincus de l’envoyer chez notre ami Johnny Torrio, qui opérait à Chicago.
Un an s’était donc écoulé depuis son départ et voilà que nous le revoyions à New York pour une courte visite.
Il était habillé d’un costume fait sur mesure, portait des bagues en diamant et avait un gros cigare à la bouche. En d’autres termes, il respirait la puissance.
Photo d’Al Capone avec un cigare à la bouche.
Capone avait réussi financièrement grâce à la gnôle. Nous étions en pleine prohibition et il était devenu (avec Torrio) le roi du trafic d’alcool à Chicago.
En voyant sa réussite, j’ai immédiatement eu pour idée de faire de même. New York étant la plus grande ville des États-Unis et je savais qu’il y avait moyen de faire quelque chose.
Mais je savais aussi que cela n’allait pas être facile. Il y avait beaucoup de prétendants au trône de patron du trafic d’alcool à New York.
De plus, mes acolytes et moi étions jeunes. J’avais seulement 23 ans alors que mes futurs rivaux étaient plus âgés et plus expérimentés.
Ainsi, avant de nous lancer dans le trafic de gnôle, notre gang recruta un nouveau membre : Giuseppe Antonio Doto, plus connu sous le nom de Joseph Adonis ou Joe Adonis.
Adonis n’avait que 18 ans et pourtant c’était déjà un expert dans l’art du cambriolage.
Il me faisait toujours marrer car il n’arrêtait pas de se regarder dans la glace et de se coiffer. Ce mec se prenait littéralement pour une star de cinéma.
Avec lui à nos côtés, nous entreprîmes donc notre première affaire dans le trafic d’alcool. La première d’une longue série.
La Prohibition nous permit alors de réaliser des bénéfices encore plus importants, et le tout, en ayant beaucoup moins de risques de nous faire choper.
Les peines encourues pour ce type de délit étaient assez légères et quand bien même quelqu’un se faisait prendre, il était très rare d’aller en prison.
Et puis, pour nous protéger davantage, on graissa la patte aux flics, aux commissaires de police et aux politiciens.
Pour ça, le spécialiste c’était Frank Costello.
Costello avait à peine 6 ans de plus que moi, mais il avait déjà l’aisance et la classe d’un type 2 fois plus âgé. Il était spécialisé dans le trafic d’influence et dans la corruption de fonctionnaires.
Grâce à lui, nous avons pu développer notre activité en toute tranquillité. La police fermait les yeux sur le trafic d’alcool clandestin et nous étions ainsi protégés.
Dès lors, plus le gang s’engageait dans le trafic d’alcool et plus les choses devenaient complexes.
Si bien que chaque membre de la bande a fini par acquérir un domaine d’expertise :
- Costello s’occupait de la sphère politique, il entretenait les relations avec la police et les politiciens pour protéger notre business de gnôle et autres.
- Lansky et Siegel étaient eux spécialisés dans le transport d’alcool clandestin. Ils avaient formé pour cela leur propre équipe, le « Gang Bug et Meyer ».
- Adonis était lui impliqué dans les rackets.
- Quant à moi, je dirigeais les opérations, je recrutais les nouveaux membres et je cherchais de nouveaux alliés. En d’autres termes, j’étais le chef.
D’ailleurs, en parlant de nouvelles recrues, je recrutai à cette période un nouveau membre : Vito Genovese, un jeune voyou trapu et musclé qui savait se montrer impitoyable avec une arme à feu.
Je l’avais propulsé au rang de lieutenant et je pensais alors qu’il me serait loyal jusqu’au bout.
C’était une grossière erreur…
J’allais m’en apercevoir bien plus tard.
En plus de Genovese, notre bande recruta un autre truand, nommé Albert Anastasia. Également trapu et musclé, Anastasia était un gars violent, le genre de type capable de tuer sur un coup de tête.
D’une loyauté à toute épreuve, je trouvai en lui un précieux allié.
Lansky et Costello enrôlèrent également quelques membres dans la bande.
Le premier (recruté par Lansky) était Louis Buchalter, surnommé Lepke. Un type pas très intelligent, mais qui avait du cran et de l’ambition.
Le deuxième (recruté par Costello) se nommait Dutch Schultz, un truand qui dominait le trafic d’alcool dans le Bronx.
Enfin, il y avait ce type, Arnold Rothstein, une sorte de mentor pour moi.
Sa passion, c’était le jeu et je le secondais alors régulièrement lors de ses parties de poker. On se faisait tous les 2 de l’argent comme ça.
Rothstein trempait comme nous dans le trafic d’alcool clandestin mais il était surtout connu pour avoir truqué la finale du championnat de baseball de 1919.
Grâce à lui, j’ai vraiment appris ce qu’étaient l’élégance et la sobriété. Il m’apprit à m’habiller avec classe, à me tenir à table et tous les autres codes du gentleman.
Je veux dire que c’était le meilleur professeur des bonnes manières qu’un type comme moi pouvait avoir.
Nous étions donc en pleine Prohibition et l’argent coulait à flots.
Les affaires marchaient bien pour notre gang qui se transforma petit à petit en véritable entreprise.
Une réussite qui a tout naturellement attiré l’attention des gros bonnets du milieu.
Certains chefs mafieux voulaient leur part du gâteau…
Photo d’identité judiciaire de Giuseppe Antonio Doto alias Joseph (Joe) Adonis.
À gauche : Vito Genovese. À droite : Albert Anastasia.
Louis « Lepke » Buchalter (à gauche) et Dutch Schultz (à droite).
Photo d’Arnold Rothstein dans les rues de New York.
Le dilemme Maranzano / Masseria
Nous étions en 1923. J’avais à ce moment-là 26 ans.
Moi, l’immigré italien issu de conditions de vie miséreuses, j’étais maintenant à la tête d’une importante entreprise clandestine.
À l’image d’Al Capone, j’avais réussi à m’enrichir grâce au trafic d’alcool.
D’ailleurs, ma réussite était telle que des concurrents directs ont commencé à m’envoyer des propositions d’alliance.
C’étaient les chefs de la mafia italienne de New York.
Ils étaient plus âgés que nous et n’étaient venus aux États-Unis qu’à l’âge adulte. Ces gars-là avaient grandi dans les traditions de la Mafia sicilienne et ne s’étaient jamais affranchis de ces dernières.
Rares étaient les personnes du milieu qui les connaissaient. Ils préféraient généralement rester entre eux, dans la familiarité et la sécurité de leur ghetto italien.
Avec leurs vêtements sombres et démodés, leur gros ventre, leurs grosses cuisses et leur moustache à la gauloise, on avait l’impression qu’ils sortaient tout droit d’une bande dessinée.
Parmi eux, il y avait Giuseppe Masseria dit « Joe The Boss » et Salvatore Maranzano.
Ces vieux Dons gagnaient leur pain grâce au monopole qu’ils exerçaient sur le marché d’articles de la communauté italienne, comme : les artichauts, l’huile d’olive ou le fromage.
Ils contrôlaient également toutes les formes de jeu et de pari situées dans le ghetto italien.
Puis, ils ont commencé à sortir de leur ghetto et à s’intéresser au marché d’alcool clandestin.
Généralement, pour accaparer un marché, les vieux Dons essayaient d’éliminer leurs concurrents directs, en les annexant.
Je dis ça parce que je reçus quelque temps plus tard une proposition, venant de Salvatore Maranzano.
À l’époque, il était le mieux placé pour devenir le chef suprême de la Mafia américaine.
Photo à gauche : Salvatore Maranzano. Photo à droite : Giuseppe (Joe) Masseria.
Maranzano me donna rendez-vous dans l’arrière-salle d’un petit restaurant de Little Italy.
Lors de notre entrevue, il commença à me flatter en me disant qu’il était impressionné par ma réussite, que j’avais du nerf, de la matière grise et de l’imagination.
Puis, tout à coup, il me dit qu’il n’aimait pas les types avec qui je travaillais.
Les vieux Dons, comme lui, respectaient tellement les traditions de la Mafia qu’ils ne supportaient pas lorsque des non-Siciliens comme Lansky, Siegel, Costello, Lepke, Rothstein ou Adonis, intégraient le milieu.
Dès lors, je l’ai interrompu. Je lui ai dit que c’étaient mes amis et qu’il était hors de question de les mettre sur la touche.
Maranzano fit alors machine arrière puis me communiqua son offre : il voulait, sans surprise, que j’intègre son organisation en me donnant, d’après lui, un poste important.
Il me demanda ensuite d’y réfléchir puis nous nous séparâmes.
Plus tard, je lui communiquai ma réponse : c’était non.
Je lui ai dit que sa proposition était forte intéressante mais que ce n’était peut-être pas le bon moment.
Évidemment, il n’a jamais été question d’envisager sérieusement son offre, je voulais juste gagner du temps.
Et j’avais bien fait, car le succès de notre business de trafic d’alcool continuait de plus belle.
Notre empire s’étendit progressivement dans tout New York, ce qui me permit de gagner en notoriété.
J’avais le meilleur alcool de la ville et je fournissais des clients distingués comme les gens de la haute société.
Ouais, notre affaire marchait du tonnerre, et puis j’avais l’impression d’être invincible vu que les autorités étaient de notre côté.
Photographie de Charlie Lucania (Lucky Luciano) (2ème à gauche) avec Meyer Lansky (2ème à droite).
Pourtant, quelque temps plus tard, Maranzano revint à la charge.
J’assistais à un combat de boxe quand le vieux Don est venu me parler :
– « J’ai une proposition à te faire »
– « Tu veux dire comme celle que tu m’as faite la dernière fois ? »
Maranzano secoua la tête et me dit :
– « Non, non. Celle-ci est plus avantageuse ».
Je lui donnai du coup mon accord et on se rencontra par la suite dans son quartier général à Little Italy.
À cette réunion, j’avais délibérément amené Frank Costello avec moi. Je voulais voir si Maranzano avait changé son opinion vis-à-vis des « étrangers ».
Mais bizarrement, il l’accueillit à bras ouverts. Sauf que ce n’était pas le cas de tout le monde…
Maranzano me communiqua sa nouvelle proposition :
– « Je voudrais que tu rejoignes la grande famille Maranzano. Tu serais comme mon fils, mon fils préféré ».
Il voulait que je devienne le premier lieutenant de sa famille. En échange, je récupérerais tout le marché d’alcool clandestin de son organisation et il me laisserait une totale liberté de mouvement.
À une condition toutefois, Lansky et Siegel ne seraient pas de la partie, car ils étaient juifs.
Je ne lui ai pas donné de réponse immédiate. Personnellement, je savais que je devais refuser sa proposition, mais je voulais tout de même demander l’avis de mes associés.
Je les ai ainsi tous convoqués : Costello, Lansky, Siegel, Adonis et Genovese. Après avoir expliqué la situation, j’entendis les avis de chacun.
Costello commença :
– « C’est une proposition fantastique et maintenant, grâce à Charlie, on sera sur un pied d’égalité avec les Siciliens ».
Après avoir regardé mes amis, je voyais que tout le monde était d’accord, sauf Lansky. Je lui ai donc dit :
– « Et toi, qu’est-ce que t’en penses mon p’tit Meyer ? »
-« Y’a de la merde au bout du bâton ».
Puis, tout le monde a commencé à brailler en même temps. Costello était en colère et s’en est pris à Lansky :
–« Même avec cette machine à calculer qui te sert de tête, tu pourras pas compter le fric qu’on va se faire avec cette combine ».
C’est alors que je suis intervenu :
–« Mais qu’est-ce que vous avez les gars ? Vous ne voyez pas que ça ne pourrait pas durer plus de 48 heures ? Y’a pas besoin d’avoir une grosse cervelle ou une machine à calculer ou quoi que ce soit pour savoir que dès qu’on se mettrait avec Maranzano, ce gros porc nous ferait buter ».
Tout à coup, il eut un blanc.
Genovese le rompit par la suite :
– « Charlie doit avoir raison. Maranzano peut pas se permettre de laisser un type avec un cerveau comme celui de Charlie se balader en liberté ».
Finalement, tous mes amis se mirent de mon côté. Et c’est là que je leur ai dit :
– « Dans ce cas, avons-nous peur de ce type ? »
Mais tout à coup, Siegel se leva et déclara :
– « S’il doit y avoir la guerre, ils devront d’abord me passer sur le corps ».
C’était du Siegel tout craché, ce type adorait se battre et se fichait pas mal avec qui.
En fin de compte, notre gang fit part de sa réponse à Maranzano : nous refusâmes sa proposition, du moins pour le moment.
Notre refus à cette seconde offre de Maranzano se répandit alors comme une traînée de poudre.
Une publicité qui me permit (encore une fois) de gagner en influence dans le milieu de la pègre américaine et de travailler avec d’autres bandits, comme :
- Enoch L. Johnson, dit « Nucky », le patron d’Altantic City. Une station balnéaire dans laquelle il contrôlait tout, de la vie politique au trafic d’alcool
- Et Moe Dalitz, un puissant trafiquant d’alcool qui opérait à Cleveland
Mais, la plus grosse conséquence que ce refus ait entraîné a été la prise de contact de Giuseppe Masseria, dit « Joe The Boss », le « patron des patrons » du milieu sicilien aux États-Unis à cette période.
Lui et Maranzano se vouaient une haine féroce.
Maranzano voulait accéder au trône de « patron des patrons » et pour cela ses hommes sabotaient régulièrement les entreprises de Masseria. La tension entre les 2 hommes était telle qu’une guerre de gangs était inévitable…
Portrait de Charlie Lucania (Lucky Luciano) jeune.
Je rencontrai donc par surprise Masseria dans un club en soirée. Il était accompagné par plusieurs de ses lieutenants et un groupe de jolies filles.
Quand il me vit, il m’interpella en sicilien et on commença ainsi à discuter.
Masseria voulait qu’on se rencontre le lendemain pour discuter business.
Le lendemain, on s’entretint tous les 2.
La réunion eut lieu dans un restaurant modeste situé juste à côté du club de Maranzano.
J’avais l’impression de revivre la même situation qu’avec Maranzano 2 mois plus tôt, mais, à une exception près : Masseria n’avait pas la culture et l’éducation de son rival. Il était petit, gros et parler de façon vulgaire. En fait, il me faisait penser à un gros porc.
En discutant avec lui, je le vis systématiquement regarder avec haine en direction du camp ennemi.
Puis, il commença soudainement à agiter son index et gueula :
– « Écoute-moi, toi. Un de ces jours, peut-être demain, il va y avoir une guerre. Je sais ce que ce fumier essaie de faire. Il voudrait te mettre à l’écart parce qu’il pense que comme ça il pourra m’avoir. Et c’est là, Charlie, qu’il se surestime. Viens avec moi et on lui fera sa fête tous les 2, une fois pour toutes ».
Masseria voulait que je devienne son bras droit. Durant l’entretien, il m’avait fait une proposition semblable à celle de Maranzano.
Je lui ai alors dit qu’il me fallait du temps et que je ne voulais pas prendre de décisions hâtives.
Puis, il beugla :
– « Mais réveille-toi, bon sang ! T’as pas encore compris que s’il ne t’a pas encore dégommé, et tous tes petits copains avec, c’est parce qu’il a besoin de toi ? Sois pas idiot. Viens avec moi et tu seras le bras droit du vrai patron sicilien de toute cette putain de ville. C’est du pognon que tu veux ? Tu gagneras plus d’argent avec moi que tu ne pourras en compter. Tu n’as qu’un mot à dire ».
Ainsi, tout en l’écoutant, je me demandais lequel entre Masseria et Maranzano serait le meilleur allié. Puis, je me suis dit qu’en fait, il serait préférable un jour de les éliminer tous les 2.
Auparavant, mes amis et moi avions déjà été d’accord pour tuer Maranzano et je savais qu’un jour Masserai me ferait buter.
Ce que je devais donc faire, c’était de gagner du temps et de me faire discret un moment. De la sorte, je pourrais discuter avec mes camarades et voir ce qu’il serait possible de faire.
Mais…au final, je me suis rangé du côté de Masseria quelque temps plus tard.
Ce gars-là avait beau me dégoûter, il avait une organisation qui était plus puissante que celle de Maranzano.
J’ai par conséquent décidé de conclure un marché avec « Joe the Boss ».
Pour cela, il fallait toutefois que je me débrouille pour que ce soit lui qui fasse de nouveau le premier pas, afin d’avoir un léger avantage lorsque nous commencerions à discuter.
Joe Masseria (Joe The Boss) (à gauche) avec sa femme et son fils.
L’ascension au pouvoir de Lucky Luciano
En attendant l’invitation de Joe Masseria, je continuai à développer mon business.
Nous étions au milieu des années 20 et je m’enrichissais à une vitesse dingue ! L’argent rentrait dans les caisses à une vitesse encore plus élevée.
À cette période, je vivais dans un grand appartement luxueux dans l’est de Manhattan. J’avais toute une collection de belles voitures noires et une garde-robe chic et élégante.
Je m’étais également fait de nouveaux amis. Parmi eux figuraient des hautes personnalités du monde politique, du sport et du spectacle. Parfois, ils m’invitaient chez eux et c’est ainsi que j’ai pu me faire quelques relations intéressantes.
Vers 1925, la gnôle nous rapportait, à elle seule, près 12 millions de dollars par an !
Mais il n’y avait pas que le trafic d’alcool qui nous rapportait beaucoup. Le monde du jeu était également très lucratif. Avec mes associés, on possédait des centaines de petites officines de paris clandestins dans tout New York, ainsi que d’innombrables casinos, salons de jeu et machines à sous.
On ne payait certes pas d’impôts mais nos charges étaient tout de même importantes. Il fallait effectivement payer nos salariés (ce qui représentait environ 1 million de dollars de dépense par an), graisser la patte aux flics et aux politiciens (5 millions de dollars au total) et régler les autres charges.
Au final, il nous restait, en tout et pour tout, environ 4 millions de dollars de bénéfice chaque année.
Une somme phénoménale, mais qui n’était rien comparé à ce que nous allions empocher quelques années plus tard…
Par la suite, notre gang s’investit dans l’usure. Autrement dit, le prêt d’argent à un taux d’intérêt excessif.
Mon ami Lepke avait à l’époque besoin d’aide dans son domaine d’activité : le prêt-à-porter. Je l’aidai donc avec un autre gars, Tommy Lucchese, un de mes amis d’enfance.
Ensemble, on avança de l’argent à un bon nombre de maisons de confection. Les banques étaient, à ce moment-là, réticentes à leur prêter des fonds, du coup on s’est pointés et on a joué les rôles d’usuriers.
On prêta de l’argent aux fabricants de vêtements à des taux d’intérêt pharaoniques, qui pouvaient grimper jusqu’à 1000% sur du court terme.
Notre organisation finança ainsi près d’une cinquantaine de boîtes dans l’industrie du prêt-à-porter.
Merde, dans les années 20, il n’y avait pas une seule gonzesse aux États-Unis qui ne portait pas un dessous fabriqué et vendu grâce à moi !
De gauche à droite : Charlie Lucania (Lucky Luciano), Louis « Lepke » Buchalter et Tommy Lucchese.
Mais, plus je prenais de l’importance dans le milieu et plus les vieux Dons me faisaient pression pour que je prenne ma décision.
Masseria et Maranzano voulaient que je mette un terme à mes hésitations.
Et c’est là, que je reçus une invitation de la part de « Joe the Boss ».
Nous étions au cours de l’année 1927 et le premier pas de Masseria arriva enfin.
Comme dit précédemment, j’étais prêt à conclure un marché avec lui, au grand dam de Maranzano.
Sauf que tout ne s’est pas passé comme prévu…
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PARTIE II
L’heure du choix est arrivée
C’était un beau jour de l’année 1927.
Joe Masseria fit enfin le premier pas pour me rencontrer. Une nouvelle annoncée par un de mes hommes.
Le message disait en effet que « Joe The Boss » souhaitait s’entretenir avec moi (ainsi que 2 de mes gars) dans un hôtel de la Septième Avenue, à 4 heures de l’après-midi.
Comme je l’ai dit auparavant, j’étais prêt à conclure un marché avec le vieux Don.
Avant de me rendre à cette réunion, je convoquai comme d’habitude mes camarades afin de récolter leurs avis. Nous nous rencontrâmes dans l’arrière-salle d’un magasin.
C’est Lansky qui parla le premier, chose qui était plutôt rare :
– « S’agit pas de rester ici à se branler. Il va falloir abattre nos cartes. Ça va être oui ou non ; ou bien Charlie va avec Joe The Boss, ou bien il va y avoir du sang ».
Suite à cette déclaration, Siegel se leva soudainement et commença à déambuler dans la pièce en s’écriant :
– « Masseria est un vieux con, et on n’a pas besoin de lui. Si Charlie s’allie avec lui, il sait qu’on restera avec Charlie ; alors il butera Meyer et moi, et comme ça il aura assez de monde pour nous piquer tout ce qu’on a mis sur pied ensemble et faire place nette. Charlie, je dis qu’à quatre heures pile il faut qu’on défonce cette porte et qu’on lui règle son compte aussi sec ».
Bugsy portait bien son surnom, ce mec était complètement dingue et n’avait peur de rien.
Bugsy Siegel de profil.
Après sa déclaration, tout le monde cria dans tous les sens. Les avis divergeaient et je voyais que mes gars étaient en total désaccord.
Le brouhaha fut interrompu par Vito Genovese :
– « Nom de Dieu, qu’est-ce que vous avez tous à gueuler comme ça ? Vous savez fichtrement bien que c’est Charlie qui doit prendre la décision, et qu’il va le faire de toute façon. Alors pourquoi vous ne le laissez pas gamberger en paix pendant deux minutes ».
Ça, c’était Vito tout craché.
Ce fumier me léchait les bottes chaque fois qu’il le pouvait.
Cependant, j’avais effectivement pris une décision et tout le monde l’approuva.
J’avais en effet décidé que le moment était venu de nous allier à Masseria. Je ne l’affectionnais pas mais c’était à mon goût un meilleur allié que Maranzano. Surtout qu’il possédait des territoires (notamment le centre et le nord de Manhattan) qui m’intéressaient beaucoup.
De toute façon, j’étais sûr que Masseria et Maranzano se déclareraient la guerre tôt ou tard. Les vieux Dons ne pensaient qu’à une chose : l’honneur.
Alors que je pensais à monter des business rentables, eux cherchaient à savoir qui deviendrait le « patron des patrons ».
Je pensais ainsi que Masseria aurait un avantage sur son rival si la guerre éclatait un jour, mais il faut croire que j’ai eu faux sur toute la ligne…
Le rendez-vous avec Masseria eut donc lieu le jour même de l’invitation. Il était presque 4 heures de l’après-midi, j’étais accompagné de Joe Adonis.
Nous nous rendîmes dans l’hôtel où la réunion devait se dérouler et nous entrâmes dans les bureaux de Masseria.
Il était assis au milieu de la pièce à une table ronde où étaient posés de nombreux mets italiens. Il y avait vraiment de quoi faire un banquet !
Masseria bouffa la moitié à lui tout seul, le plus souvent avec les doigts.
Il me faisait vraiment penser à un porc à deux pattes…
Ce jour-là, Masseria semblait particulièrement content. Il rigolait, racontait des blagues, parlait de la Sicile du temps où je n’étais pas encore né et toutes ces conneries.
Et ça me gonflait, parce que je m’attendais à discuter affaires. Ce vieux con, que je regardais s’empiffrer, était trop heureux pour que je ne me sente pas mal à l’aise.
Dès lors, après s’être bien bourré le ventre, il s’approcha de moi et posa sa main sur mon bras :
– « Maintenant, tu as l’occasion de devenir mon ami, ou vous êtes tous les 2 des hommes morts ».
Ouais, Masseria nous avait lancé un ultimatum, mais à vrai dire je m’y attendais. Alors, je lui ai dit :
– « Joe, tu devrais savoir que je n’ai pas peur de toi. Je suis venu pour parler affaires et Joe Adonis est là pour me servir de témoin. Je vais jouer cartes sur table. C’est d’accord, je marche avec toi ».
Masseria a commencé à sourire, mais avant qu’il ne put en placer une, j’ajoutai ceci :
– « …Mais à certaines conditions, Joe. Il faut que je sois le Numéro 2, que je vienne immédiatement derrière toi dans la hiérarchie de la bande. Je veux un pourcentage raisonnable sur tous les bénéfs, et comme contribution j’apporte tout ce que nous faisons, mes gars et moi ; tout, sauf une chose : tu n’auras pas une putain de goutte de whisky ».
Il eut dès lors un silence, Masseria resta bouche bée. La nourriture qu’il mastiquait s’échappa de sa bouche et roula sur le tapis. Puis, il poussa un beuglement de rage et commença à aller et venir dans la pièce. Tout ce qu’il pouvait trouver, il le jetait contre le mur : assiettes, lampes en cristal. Le vieux Don était furieux.
Avec Adonis, on le regardait sans rien dire, quand soudain Masseria éclata de rire.
Il posa encore une fois sa main sur mon bras et finit par me dire :
– « Espace de sale petit gringalet ! T’es le seul Sicilien dans toute cette putain de ville qui n’a pas peur de Joe The Boss. C’est bon, Charlie Lucania, marché conclu ».
Et c’est comme ça que je suis devenu le 1er lieutenant de Masseria. Finalement, suite à cet accord, j’ai pu garder mon business de trafic d’alcool et mes associés non-siciliens.
Au moment de rapporter la nouvelle à mes amis, ils n’en croyaient pas leurs yeux. Tout le monde a rigolé, ensuite j’ai repris mon sérieux et je leur ai dit :
– « Il y a un truc que je dois avouer ; je me suis gouré quand j’ai dit que Masseria pouvait gagner une guerre contre Maranzano. Il n’a pas une chance. Il est trop gros et trop vieux, derrière cette façade de dur, il n’y a plus qu’un cerveau de ramolli. Ce n’est plus qu’une question de temps, alors tâchons d’en profiter au maximum tant que ça durera ».
Quelques heures plus tard, tout New York était au courant du pacte que j’avais signé avec Masseria.
Photo de Joe Masseria alias Joe The Boss.
Nous étions vers la fin de l’année 1927 et je consacrais à ce moment-là la plupart de mon temps aux affaires de Masseria.
Et ce n’était pas fameux.
Ses entreprises étaient mal organisées, j’ai dû passer 6 mois à remettre de l’ordre dans son organisation. Au final, son empire a été modernisé grâce à moi.
Mais, plus je travaillais avec Masseria et plus cela m’irritait.
Ce gros porc ne me lâchait pas d’une semelle, toutes les 3 minutes il m’appelait pour me demander pourquoi je n’étais pas avec lui. Ou pourquoi je n’avais pas fait ci ou ça la veille au soir.
Ce fils de pute cherchait à me traiter comme sa bonne.
Plus tard, Masseria entra en guerre contre Maranzano. Ouais, je vous l’avais dit, ces 2 gars ne se supportaient pas.
La tension augmenta entre les 2 camps et les exécutions se multiplièrent. Et c’est ainsi que commença la « Guerre des Castellammarese » (une guerre qui allait durer jusqu’à la fin de 1931).
Ce conflit avec Maranzano lui est alors monté à la tête.
En effet, Masseria se mit à m’appeler 10 fois par jour pour me donner sa liste des personnes à faire buter. Il y avait de quoi devenir dingue…
Heureusement, ce harcèlement incessant finit par s’estomper avec le temps et je pus davantage me consacrer à mes propres affaires.
L’une d’elles consistait d’ailleurs à préparer une réunion qui rassemblerait tous les plus grands chefs du milieu : la conférence d’Atlantic City.
Image d’illustation de la Guerre des Castellammarese.
La conférence d’Atlantic City
Du 13 au 16 mai 1929 eut lieu la conférence d’Atlantic City, l’un des premiers sommets du crime organisé américain.
À cette réunion, tous les plus grands chefs mafieux du pays furent conviés, tels que :
- Al Capone, venu de Chicago avec son fidèle camarade Jake Guzik
- Charles « King » Solomon de Boston
- Max « Boo-Boo » Hoff, Waxey Gordon et Nig Rosen de Philadelphie
- Moe Dalitz de Cleveland
- Abe Bernstein et sa bande le « Purple Gang » de Détroit
- John Lazia de Kansas City
- Longie Zwillman et Willie Moretti du nord du New Jersey
- La délégation de New York (la plus importante de la conférence) composée de Meyer Lansky, Johnny Torrio (revenu entre-temps à New York), Frank Costello, Louis Lepke, Joe Adonis, Frank Erickson (l’associé d’Arnold Rothstein, décédé quelques mois plus tôt), Dutch Schultz et Albert Anastasia
- Et enfin Nucky Johnson, le patron d’Atlantic City et hôte de la conférence
Masseria et Maranzano étaient eux les grands absents de la convention.
J’avais en effet décidé de ne pas inviter Joe Masseria pour les raisons suivantes :
- Je considérais d’abord que le business de l’alcool était mon affaire et pas la sienne, conformément à notre accord lors du pacte.
- Et puis, je ne voulais pas lui céder ma place à la tête de table de la conférence. Étant donné que j’étais son lieutenant, je ne voulais évidemment pas passer au second plan.
Nucky Johnson réserva donc des suites pour tous les convives. Les plus grands chefs du milieu américain allaient résider dans cet hôtel nommé « Président » (au départ, nous devions loger dans l’un des hôtels les plus luxueux de la ville « les Breakers », mais il se trouve que nous avons été refusés par les propriétaires, c’est alors que notre convoi a dû changer de direction pour aller à l’hôtel Président).
Avec nos grosses voitures, nous prîmes donc tous la direction de cet hôtel. Nucky lui nous rejoignit en cours de route.
Sauf qu’au moment de nous rejoindre, Al Capone l’aperçut et commença dès lors à l’embrouiller (ouais, parce que selon lui j’avais mal organisé l’accueil).
Capone et Nucky ont donc commencé à se quereller et il n’y avait pas un seul mot correct dans ce qu’ils disaient.
Heureusement, tout a fini par s’arranger. Nucky prit Al sous le bras, le balança dans sa voiture et gueula : « Suivez-moi bande de connards ! ».
Al Capone (deuxième à droite) et Nucky Johnson (1er à droite) se promènent lors de la conférence d’Atlantic City.
Arrivés à l’hôtel, Capone était pourtant encore bien enragé et a commencé à arracher les tableaux du hall de l’hôtel pour les jeter à la figure de Nucky.
Mais les autres le calmèrent et la réunion put enfin commencer.
Lors de ce sommet, les invités ne manquèrent de rien. Nucky Johnson était vraiment un hôte d’exception, ce type savait recevoir.
On reçut une quantité impressionnante de cadeaux, d’alcools, de nourriture et on avait toutes les filles qu’on voulait. Franchement, on ne pouvait pas se plaindre.
Après le divertissement proposé par Nucky, nous entamâmes donc les discussions. Toutes les décisions étaient prises lors des promenades quotidiennes effectuées le long de la plage.
Et nous nous sommes plus ou moins mis d’accord sur certains points, comme :
- La fin de l’individualisme et de la surenchère auprès des fournisseurs étrangers de whisky.
- La possible conversion à la légalité de nos entreprises d’alcools au cas où la prohibition se terminerait.
- L’augmentation des investissements dans les opérations de jeu.
- Et enfin, l’adoption d’un profil bas en ce qui concernait Capone, suite aux problèmes de violences à Chicago dans lesquels il était impliqué.
De nombreuses décisions avaient donc été prises.
Les trafiquants des 4 coins du pays devaient à présent faire preuve de coopération en divisant équitablement le marché d’alcool.
En d’autres termes, c’était le début d’une organisation contrôlée par plusieurs chefs opérant main dans la main pour créer un monopole du trafic d’alcool à l’échelle nationale.
Finalement, cette conférence fut très bénéfique pour moi. J’étais davantage respecté par mes pairs et je savais que je pouvais maintenant avoir leur soutien lorsque j’effectuerais ma percée vers le sommet.
Joe Masseria dépasse les bornes
Suite à la conférence d’Atlantic City, j’étais devenu l’un des dirigeants du crime organisé les plus influents des États-Unis.
Il y avait un truc qui me dérangeait néanmoins.
Les personnes de mon entourage (en particulier les non italiens) prononçaient mal mon nom et ça m’exaspérait…
Mon nom se prononçait « LuCAnia » avec l’accent sur l’avant-dernière syllabe, mais la plupart des personnes le prononçaient « Lucaynia ».
Du coup, j’ai essayé de trouver un nom plus facile à prononcer et à retenir, c’est alors que le nom de « Luciano » m’est venu.
« Luciano » était un pseudonyme que j’avais donné à des policiers suite à une arrestation pour vol. Ce nom, les flics ne l’avaient pas écorché et je trouvais en plus qu’il sonnait bien. Du coup, j’ai continué à l’utiliser et c’est comme ça que Charlie « Luciano » est devenu ma nouvelle appellation.
Photo d’identité judiciaire de Lucky Luciano.
Cependant, il n’y eut pas que mon nom qui changea à cette période. Mon style de vie évolua également. En effet, de plus en plus de personnes vinrent me voir pour me demander certains services. Mon influence elle ne faisait qu’augmenter.
Jusqu’au jour où Joe The Boss péta un câble.
C’était à la fin de l’été 1929.
Il y avait cet important arrivage de scotch d’une valeur d’1 million de dollars qui devait avoir lieu sur la côte du New Jersey.
Accompagné de mes hommes, j’avais décidé de superviser personnellement l’opération et ce, sans prévenir Masseria.
Ainsi, après avoir déchargé les cargos, nos camions partirent jusqu’à Philadelphie pour répartir l’alcool dans nos différents entrepôts.
Le travail terminé, je regagnai mon hôtel. L’aube s’était déjà levée et je m’apprêtais à pioncer, quand soudain je reçus un coup de fil de Masseria.
Furieux, il me dit qu’il avait essayé de me joindre toute la nuit mais que je n’avais pas répondu. Il enchaîna ensuite en me disant que 2 de ses hommes s’étaient faits arrêter et qu’il avait besoin que je graisse la patte aux flics pour les libérer :
– « C’est ton secteur et c’est toi qui utilises mon pognon pour graisser la patte aux flics du coin. T’es pas là quand j’ai besoin de toi. T’es plus jamais là. T’es toujours on sait pas où à t’occuper de tes putains d’affaires. Il faut que ça cesse, et il faut que ça cesse tout de suite. Je veux te voir, immédiatement, et on va régler cette question une fois pour toutes. C’est compris, Môssieur Salvatore Luciano ? ».
Masseria était furieux, mais je l’étais aussi.
J’ai donc fini par accepter son invitation en lui disant de venir me voir seul.
Costello m’accompagna durant l’entretien.
Quand Masseria arriva, je n’eus même pas le temps de le saluer et lui proposer un verre. Le vieux Don m’engueula immédiatement :
– « Pour qui tu te prends ? T’es qu’un petit merdeux […] Et que fait ton ami Costello ici, alors que tu m’as demandé de venir seul ? Qu’est-ce que t’essayes de faire, prendre ma place peut-être ? J’vais te couper en petits morceaux, te crever les yeux et t’arracher la langue ! ».
Je tentai de le calmer, mais Masseria continua :
– « Arrête tes conneries. Tu ne m’auras plus avec tes beaux discours. À partir de maintenant, tu travailles pour moi 24h/24. Et tout ce que tu gagnes sans exception va dans ma cagnotte. Ça te déplaît ? Tant pis, c’est comme ça ».
Surpris, je répondis :
– « Mais Joe, on a conclu un marché. On s’est serré la main. Tu ne peux pas toucher à mon whisky. On s’est serré la main ».
Masseria avait violé le code sicilien mais il faut croire qu’il s’en fichait, il continua à hurler :
– « Le whisky m’appartient ! Et si je veux, je le bois tout seul, jusqu’à la dernière goutte. Je romps le pacte ».
La situation devenait tendue. Quelque temps après son départ, je réunis mes amis pour un conseil de guerre.
Il y avait Costello, Adonis, Siegel, Torrio, Lansky et Genovese.
Durant ce conseil, nous discutâmes de la situation et je remarquai alors que Lansky ne disait pas un mot.
Je l’ai de ce fait interpellé :
– « À quoi tu penses, Petit Homme ? Maranzano ? ».
J’avais vu juste, Lansky hocha la tête et dit :
– « Exactement. On a tous été tellement occupés ces derniers temps qu’on a un peu perdu de vue ce qui se passait vraiment. La guerre entre Masseria et Maranzano va éclater d’un jour à l’autre, et je vous garantis qu’ils ne vont pas y aller avec le dos de la cuillère, ça va être une vraie guerre. Charlie, il faut qu’on choisisse le vainqueur maintenant et qu’on se mette de son côté ».
Puis, Siegel intervint :
– « Voilà que ça le reprend. Il essaye toujours de prédire l’avenir. Pour qui tu te prends, bon Dieu ? Un prophète avec une boule de cristal ? Y’en a pas un qui rendrait un mètre à l’autre […]. Allez, vas-y, petit malin, choisis le vainqueur ».
La réponse de Lansky :
– « J’ai choisi le vainqueur depuis longtemps : Charlie Luciano. Tout ce qu’on a à faire, c’est trouver le moyen de faire sauter les 2 obstacles qui lui barrent la route, et une fois que ce sera fait, Charlie sera au sommet. C’est ça qu’on veut non ? ».
Photographie d’identité judiciaire de Meyer Lansky.
L’ultimatum de Maranzano
Dans les jours qui ont suivi mon entretien mouvementé avec Masseria, Salvatore Maranzano demanda à son tour de me rencontrer.
Le rendez-vous devait avoir lieu sur un territoire neutre (celui de Joe Profaci en l’occurrence, c’était un des lieutenants de Maranzano et aussi un très bon ami).
Maranzano ainsi que moi-même devions nous rendre seuls.
Je me souviens, c’était dans la nuit du 17 octobre 1929.
Cette nuit-là, Genovese me chercha en voiture pour me déposer près du lieu de l’entretien.
Nous étions sur le chemin et il tentait alors de me convaincre de ne pas y aller seul. Genovese voulait se cacher à l’arrière de la voiture au cas où les choses tourneraient mal. Mais, je lui fis comprendre que ce n’était pas nécessaire.
Je pris donc le volant et je me rendis seul à la réunion.
L’endroit du rendez-vous était situé sur un quai de marchandises.
Arrivé là-bas, je vis Maranzano, seul en train de m’attendre. Je sortis de ma voiture et on se serra la main.
Il mit ensuite son bras autour de mon épaule et me dit avec son air condescendant :
– « Je suis si content de te revoir, bambino ».
Puis, on entra dans un grand hangar vide et sombre. Nous nous assîmes sur des caisses et la discussion commença.
Pendant quelques minutes, on parla de futilités. Avant que Maranzano entrât dans le vif du sujet :
– « Charlie, je voudrais que tu te joignes à moi ».
– « J’y pense depuis quelque temps ».
– « Parfait, parfait. Tu sais, j’ai toujours voulu t’avoir à mes côtés, et je crois que le moment est venu de nous serrer la main ».
– « Ouais. Tu as sans doute raison ».
– « Mais dis-moi, Charlie. Pourquoi as-tu fait la terrible erreur d’aller avec Giuseppe ? Ce type-là, c’est pas ton genre. Il n’a aucun sens des valeurs ».
– « C’est ce que j’ai découvert ».
– « Et maintenant tu es revenu sur cette décision ? ».
– « C’est pour ça que je suis ici ».
– « Parfait. Nous allons arranger ça. C’est un problème délicat, et nous allons le résoudre. Comme je te l’ai toujours dit, tu n’auras de comptes à rendre qu’à moi seul. Mais, Charlie, je pose une condition ».
Le ton de Maranzano est soudainement devenu plus sec et autoritaire :
– « Laquelle ? » Je répondis alors.
Il me regarda droit dans les yeux et me dit :
– « Tu vas tuer Masseria ».
Là, j’ai tout de suite compris que Maranzano voulait me piéger.
En effet, dans le code sicilien celui qui tue personnellement le chef d’une famille n’a pas le droit de lui succéder. Au mieux, il peut occuper une place secondaire mais ne peut en aucun cas le remplacer.
Surpris par ce que je venais d’entendre, j’ai donc dit à Maranzano :
– « T’es complètement dingue ! ».
Juste après cela, quelqu’un me donna un violent coup sur la tête et je perdis connaissance…
Au moment de me réveiller, on me balança un seau d’eau sur le visage. J’étais ligoté à une poutre et je faisais face à une demi-douzaine de types couverts avec des foulards.
Maranzano était toujours là. Il était devant moi mais ne disait rien.
– « Je le ferai pas » lui dis-je.
En guise de réponse, il fit signe à ses hommes et ces derniers ont commencé à me passer à tabac. Ces salauds s’étaient défoulés sur moi : ceintures, matraques, cigarettes allumées, tout y était.
Une nouvelle fois, je tombai dans les pommes.
Lorsque je repris connaissance, on continua à me torturer. Je pensais vraiment y passer cette nuit-là.
Maranzano lui m’observait en silence et venait parfois interrompre la séance de torture pour me demander d’accepter sa proposition :
– « Charlie, tout cela est idiot. Tu n’as qu’un mot à dire pour arrêter ça. Ce n’est pas une grosse affaire de tuer un homme, et tu sais qu’il va mourir de toute façon. Pourquoi faut-il que tu t’imposes des souffrances inutiles, Charlie ? Pourquoi un tel entêtement ? Tout ce que tu as à faire, c’est le tuer, le tuer toi-même. C’est la seule chose que je te demande, de le tuer de ta main. Mais Charlie, je te jure que si tu ne le fais pas, tu es un putain d’homme mort ».
Puis, on commença à m’entailler le visage et le corps. J’avais l’impression d’avoir une lame plantée dans chaque centimètre carré de mon corps.
Un des hommes de Maranzano sortit ensuite un revolver de sa poche et le braqua sur moi ! Ces fumiers voulaient en finir une bonne fois pour toutes. Mais, Maranzano intervint à temps :
– « Non ! Laissez-le vivre. Il fera ce qu’on lui demande, ou nous le reverrons ».
C’était la fin de mon calvaire.
Après ça, on me détacha et on me jeta sur la chaussée comme un vulgaire sac de pommes de terre.
Repéré par des policiers, je fus dès lors amené à l’hôpital où l’on me fit 55 points de suture. J’avais des bleus et des pansements sur tout le corps.
Lucky Luciano (à gauche) et Salvatore Maranzano (à droite).
À l’hôpital, Costello et Lansky vinrent me rendre visite. Je leur racontai, à eux seuls, mon aventure tragique :
– « Je crois que j’ai de la veine d’être encore en vie » dis-je.
– « Ouais, pour avoir de la veine, tu as eu de la veine. Ça t’irait bien comme nom, Lucky Luciano » répondit Lansky.
Et c’est ainsi que les gens commencèrent à m’appeler Charles « Lucky » Luciano.
Suite à mon passage à tabac, j’ai passé un bon moment à chercher la raison pour laquelle ce fils de pute m’avait laissé la vie sauve.
Mais, deux, trois jours après j’avais compris.
Maranzano savait pertinemment que Masseria était un homme difficile à approcher. Pour le buter un jour, il devait l’approcher de l’intérieur en infiltrant son clan. Et la seule solution qu’il avait, c’était moi.
En fait, j’étais l’homme qu’il lui fallait et il le savait.
« Ce n’est pas personnel, c’est uniquement les affaires »
Je dus attendre la fin du mois d’octobre 1929 pour me remettre enfin sur pied.
À cette période, l’économie américaine s’écroula complètement. Les années folles avaient fait leur temps, les États-Unis entraient à présent dans une nouvelle ère à la fois rude et sombre : la Grande Dépression.
Bon nombre de nos entreprises furent alors touchées par cette crise économique. Les bijoux qu’Adonis volait ne valurent plus rien, les machines à sous de Costello subirent une baisse de rentabilité de plus de 50% et tout le secteur du trafic d’alcool clandestin fut touché.
En réalité, on morflait comme tout le monde…
Je n’avais bien sûr pas oublié les ultimatums lancés par Masseria et Maranzano. Je savais que je devais un jour faire un choix entre l’un ou l’autre, mais au fond j’étais fermement décidé à en satisfaire aucun.
De toute façon, les vieux Dons étaient, comme moi, trop occupés à remettre de l’ordre dans leurs affaires suite à la grave crise qui touchait le pays.
Distribution de nourriture lors de la Grande Dépression.
Finalement, avec mes gars, on parvint au fil du temps à relancer la machine.
Genovese, qui était dans les stupéfiants, avait une affaire qui marchait plutôt bien. De plus, grâce à la crise, les profits liés à l’usure explosèrent et les machines à sou de Costello, avec le gain de popularité de la loterie clandestine, repartirent de plus belle.
Finalement, la fortune nous souriait de nouveau.
La guerre des Castellammarese elle était près d’atteindre son paroxysme. Les hommes de Masseria et Maranzano se rendaient coup pour coup. Un climat de terreur régnait dans les rues de New York avec des cadavres de plus en plus fréquents.
Avec mes amis, on se rencontra alors pour discuter de la situation.
À la fin, nous étions arrivés à la conclusion suivante : il était temps de mettre à exécution nos plans.
Pour cela, on fit tout d’abord savoir à Maranzano que j’étais enfin prêt à m’occuper de Masseria. Comme je l’ai dit auparavant, j’étais la seule connaissance de Maranzano qui pouvait l’approcher.
Une réunion fut dès lors organisée dans le Bronx.
J’étais accompagné de Lucchese, Adonis et Siegel. Maranzano quant à lui avait à ses côtés Joe Profaci et Joe Bonanno.
Comme lors de notre précédente « entrevue », il mit son bras autour de mes épaules et fut sur le point de me considérer une nouvelle fois comme son « bambino ». Mais, cette fois-ci, il ne put ouvrir la bouche.
Je lançai d’emblée la conversation :
– « Maranzano, il y a truc que je veux te dire depuis longtemps : mon père est la seule personne au monde qui m’appelle bambino ».
Merde, on aurait dit que je l’avais giflé. Il ne comprenait pas pourquoi cela me vexait.
Puis, j’ai continué :
– « Après ce qui s’est passé entre nous l’année dernière, je ne te considérerai jamais comme mon père, alors laissons tomber ces conneries et parlons affaires. Si on arrive à se mettre d’accord, on sera amis. C’est comme ça que je vois les choses ».
En fin de compte, on se mit tous les 2 d’accord.
Maranzano garantirait la sécurité de mes amis et moi après que j’aurais buté Masseria, et il n’interférerait pas dans nos affaires une fois la paix restaurée.
Il était maintenant temps de passer à l’action.
Le 15 avril 1931 à 9 heures du matin, par une journée chaude et ensoleillée, je me rendis dans les bureaux de Masseria.
Lors de notre entretien, je lui fis dès lors croire que je préparais un plan pour assassiner plusieurs lieutenants de Maranzano.
Une série de meurtres qui lui donnerait sans aucun doute la victoire finale.
La nouvelle l’avait immédiatement excitée. Masseria s’était mis à rigoler et à danser au milieu de la pièce.
Pour célébrer cette victoire imminente, je lui ai donc proposé de déjeuner à la « Nuova Villa Tammaro » à Coney Island, un quartier de Brooklyn.
Ce jour-là, j’avais commandé suffisamment de bouffe pour gaver un éléphant. Masseria avait les yeux qui brillaient, la salive lui dégoulinait littéralement de la bouche.
Restaurant la « Nuova Villa Tammaro » où Lucky Luciano et Joe Masseria ont déjeuné.
Il était un peu après midi quand nous arrivâmes au restaurant.
Arrivés là-bas, nous fûmes accueillis par le propriétaire, qui nous dirigea vers une table située au coin de l’établissement.
La salle était remplie et nous commençâmes alors à manger.
Pendant que je dégustais lentement mon repas, Masseria lui se goinfrait. Les clients étaient quasiment tous partis mais lui continuait à manger et attendait même un dessert.
Il lui fallut au final presque 3 heures pour terminer…
À environ 3h30 de l’après-midi, les derniers clients s’en allèrent. Il ne restait plus que Masseria et moi.
Je lui ai par la suite proposé de faire une partie de cartes, ce qu’il accepta.
On commença à jouer puis au bout de la 2e manche, je lui dis que je devais aller aux toilettes.
Masseria à ce moment-là était assis confortablement sur sa chaise et ne se doutait de rien.
Au moment de claquer la porte des toilettes derrière moi, la porte d’entrée du restaurant s’ouvrit violemment.
Vito Genovese, Joe Adonis, Albert Anastasia et Bugsy Siegel entrèrent soudain dans la salle.
Masseria n’eut même pas le temps de dire un mot qu’ils dégainèrent tous leurs armes et tirèrent sur lui.
Joe The Boss reçut 6 balles qui le tuèrent sur le coup. Il s’écroula la tête contre la table et inonda la nappe blanche de son sang, tenant encore un as de pique dans la main.
Suite au meurtre, Genovese, Adonis, Anastasia et Siegel repartirent aussitôt. Dehors, Ciro Terranova les attendait au volant d’une voiture. Encore troublé par ce qui venait de se passer, Terranova ne put parvenir à démarrer. C’est Bugsy Siegel qui dut alors le pousser pour prendre sa place et démarrer en trombe.
Au final, l’assassinat avait duré moins d’une minute et il n’y avait eu aucun témoin du crime.
En sortant des toilettes, je vis le corps inerte de Masseria. Je vérifiai bien qu’il était mort, ensuite j’appelai la police et attendit son arrivée.
Après cet évènement, les funérailles de Masseria eurent lieu. Elles regroupaient une incroyable foule de personnes en deuil, dont mes amis et moi.
À la fin de la cérémonie, j’interpellai Genovese pour savoir comment le meurtre s’était passé.
Ce dernier me répondit en souriant :
– « Ce vieux Joe aurait été fier de nous ».
Cadavre de Joe Masseria après l’assassinat où l’on voit un as de pique à sa main droite.
Les vieux Dons appartiennent au passé
Suite à la mort de Masseria, Maranzano ne tarda pas à organiser son accession au trône de patron de la pègre new-yorkaise.
Pour inaugurer cela, il décida d’inviter tous les plus grands chefs de gang du pays à une cérémonie solennelle.
Une centaine d’entre eux furent ainsi conviés dans une énorme salle de banquet située dans le Bronx.
Maranzano était assis sur un grand fauteuil à la tête de table. Quant à moi, j’étais à sa droite.
Après un long silence, il se leva et commença son discours.
Ce dernier était en italien avec quelques passages en sicilien et en latin. Ce type se prenait littéralement pour le pape.
C’est alors qu’il déclara, bras levés, qu’il devenait « Capi di Tutti Capi », le chef de tous les chefs.
Il expliqua en effet qu’il ne dirigerait plus une seule famille mais l’ensemble des gangs du pays regroupés en une seule organisation.
De ce fait, il serait le seul homme à diriger l’organisation et obtiendrait un pourcentage sur tous les bénéfices de chaque famille.
Puis, il décida de répartir la ville de New York en 5 familles, qu’il contrôlerait bien évidemment.
Parmi elles, il y aurait celles de :
- Tom Gagliano
- Joe Bonanno
- Joe Profaci
- Vincent Mangano
- Et la mienne, la famille Charlie Lucky Luciano
Chaque chef de famille aurait de ce fait un bras droit, un sous-chef et des capos qui dirigeraient plusieurs soldats.
Image d’illustration où l’on voit Lucky Luciano sur un fauteuil boire un verre.
Maranzano avait donc eu son moment de gloire.
Mais je n’allais certainement pas le laisser faire. Je n’avais bien sûr pas oublié ce qu’il m’avait fait par le passé. De plus, je savais qu’une grande majorité de personnes dans ce banquet étaient de mon côté.
En effet, la plupart des invités étaient consternés par les décisions prises par Maranzano. Tous souhaitaient garder qu’une chose : leur indépendance.
Dès lors, à peine la cérémonie terminée, un complot contre Maranzano a déjà commencé à se tramer.
Tout débuta à Cleveland, où je rencontrai, avec Lansky, certains des invités de la cérémonie, dont : John Scalise, Moe Dalitz, Frankie Milano, Santo Trafficante et un représentant d’Al Capone.
À la réunion, je leur ai dit que Maranzano était un gros tas de merde et qu’il cassait les pieds à tout le monde avec ses vieilles histoires de « capi » qu’il avait importées d’Italie, ce qui a fait rire tout le monde.
Ensuite, je leur ai dit que certaines de ses idées n’étaient pas mauvaises mais qu’elles étaient malheureusement dépassées.
Je les ai ainsi pendant longtemps persuadés d’éliminer Maranzano. Et tout le monde a été d’accord.
Voici le plan tel qu’il a été décidé lors de l’entretien :
- Une fois Maranzano éliminé, je devrais prévenir mes alliés de la réussite du meurtre.
- Ces derniers postés aux 4 coins du pays, devraient eux abattre simultanément tous les partisans de Maranzano sans exception.
- Après sa mort, une nouvelle organisation, plus moderne, serait ainsi créée.
Une tâche qui n’allait pas être facile étant donné que Maranzano était très bien protégé et qu’il ne se déplaçait jamais sans ses gardes du corps.
Pour éliminer Maranzano, il fallait donc embaucher des personnes qui lui étaient totalement étrangères.
Et c’est comme ça qu’avec Lansky, on élabora le plan suivant : en fait, on savait que Maranzano recevait régulièrement ses comptables dans ses bureaux pour préparer ses déclarations d’impôts. Du coup, on s’est dit qu’un agent du Trésor pourrait parfaitement faire l’affaire.
Je me rappelle avoir dit à Lansky :
– « C’est comme ça qu’on l’aura. Ce connard est si content d’être un bon contribuable qu’il inviterait même un agent du Trésor à venir éplucher ses comptes ».
Lansky recruta 4 tueurs à gages pour réaliser l’assassinat.
Lansky leur apprit tout du comportement d’un inspecteur fédéral des impôts. Il leur apprit comment marcher, comment parler et comment se conduire.
Mon ami Tommy Lucchese prit également part à l’opération. Au côté de Maranzano le jour du meurtre, son rôle consisterait à signaler la cible aux tueurs à gages lorsqu’ils entreraient dans les bureaux du vieux Don.
Samuel Levine, un des tueurs embauché par Meyer Lansky et Lucky Luciano pour éliminer Salvatore Maranzano.
10 septembre 1931, 2 heures de l’après-midi, l’opération commença.
Les 4 tueurs à gages, habillés en agents fédéraux, entrèrent dans les bureaux et demandèrent un certain Salvatore Maranzano, qui s’identifia aussitôt.
Pour confirmer qu’il s’agissait bien de lui, un des tueurs à gages regarda alors Lucchese qui fit un discret signe de tête. Ils avaient le feu vert, c’était bien la cible qu’il fallait abattre.
Puis, tout s’enchaîna très vite.
Les tueurs sortirent leurs armes à feu et un des leurs verrouilla la porte.
Toutes les personnes dans la salle furent ensuite fouillées et désarmées.
Deux des tueurs ordonnèrent à Maranzano de passer dans la salle d’à côté pour un interrogatoire.
Une fois la porte fermée derrière eux, ils sortirent leur couteau et le poignardèrent à de multiples reprises, afin d’effectuer le meurtre en silence.
Maranzano hurla et se défendit avec véhémence, ce qui obligea les assassins à le terminer avec leurs revolvers.
Il fut dès lors criblé de balles et mourut.
Les vieux Dons appartenaient enfin au passé.
Corps inerte de Salvatore Maranzano dans son bureau.
Une autre photo de son cadavre que l’on voit ici de plus près.
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PARTIE III
La Commission
Ça y est, j’avais enfin réussi à me débarrasser de Masseria et Maranzano. Les vieux Dons n’étaient plus de la partie, ce qui me permit dès lors d’accéder au sommet de la pègre.
L’assassinat de Maranzano signifiait le début d’une nouvelle ère. Il était fini le temps où un seul chef mafieux dominait l’ensemble du crime organisé. Désormais, il fallait faire place à un gouvernement dans lequel chaque dirigeant serait respecté et aurait son mot à dire.
Je n’étais pas vraiment favorable au titre de « Capo di Tutti Capi » qui avait été introduit quelque temps plus tôt par Maranzano. J’avais bien vu que c’était un rang qui créait des problèmes entre les familles. Et puis, si je m’étais proclamé chef de tous les chefs, j’aurais été sans doute la cible de tous les prétendants qui souhaiteraient accéder au trône à ma place.
Je refusais également d’exercer une quelconque pression sur les personnes qui m’avaient préalablement soutenu. Utiliser la peur et l’intimidation pour rester au pouvoir, ce n’était pas comme ça que je dirigeais.
Des types comme Al Capone, Mangano, Scalise, Bonanno, Gagliano ou Profaci, auraient été de toute façon difficile à assujettir.
Suite à la mort de Maranzano, je reçus ainsi les félicitations des chefs mafieux des 4 coins du pays. Tous désiraient en savoir plus sur mes futurs projets, et c’est alors que je suis allé les voir un par un.
Contrairement à Maranzano qui les avait fait venir jusqu’à New York, je me suis déplacé en personne pour m’entretenir avec chaque boss.
Quelque temps plus tard, on organisa une réunion à Chicago. C’est Al Capone qui s’occupa des festivités. Il prépara une fête grandiose en mon honneur et ce, malgré les affaires de fraude fiscale qui lui collaient au cul depuis peu.
Il dépensa sans compter, et invita une ribambelle d’invités pour assister à ce qu’on pourrait définir comme une cérémonie d’allégeance.
La plupart des chefs du milieu américain étaient présents. Il y avait bien sûr les Siciliens et les Italiens, mais aussi des Juifs comme Lansky, Siegel, Dalitz, Schultz et Rosen, sans oublier les Irlandais.
Chaque délégation disposait d’un étage complet situé dans 2 hôtels luxueux contrôlés par Al Capone.
Pour l’occasion, ses hommes (avec l’aide de la police, qu’il soudoyait) avaient d’ailleurs encerclaient les bâtiments pour en bloquer l’accès et éviter les visiteurs trop curieux.
Image d’illustration montrant la ville de Chicago dans les années 30.
Le premier jour de la réunion, je commençai par m’entretenir en privé avec chaque chef du milieu américain. Encore une fois, je procédais différemment de Maranzano. Au lieu de leur parler dans une salle bondée, je leur causais seul à seul.
Lors de ces entrevues, je leur ai expliqué 2 choses :
- Premièrement, les querelles de gangs devaient appartenir au passé. Pour prospérer dans les affaires, il fallait impérativement qu’elles cessent. Fini le temps où des gars se faisaient buter sous prétexte qu’ils ne venaient pas de la même partie de la Sicile. Ce genre de connerie nous apportait une sale réputation et il fallait que ça s’arrête.
- Deuxièmement, il était important que chaque famille obtienne son indépendance. Chaque représentant de ville ou de région disposerait désormais d’une large autonomie. À une condition toutefois : toutes les familles du pays seraient dans l’obligation d’intégrer une sorte de commission nationale.
Cette commission aurait pour rôle de définir la ligne politique générale du crime organisé. Tous les chefs du milieu en feraient partie et bénéficieraient d’une voix égale. Je serais bien évidemment la personne qui la dirigerait, et ma voix n’aurait pas plus de poids que les autres.
Durant ces entretiens privés, les chefs des principales organisations semblaient tous d’accord, hormis sur un point : ils ne comprenaient pas pourquoi je voulais renoncer au titre des patrons de patrons (« Capo di Tutti Capi »). C’était une décision qui avait surtout étonné les chefs d’origine sicilienne.
Inquiet de leur réaction, Lansky me parla du coup plus tard en privé. C’était en fin d’après-midi :
– « Il y a un truc qui nous a échappé, Charlie. Si on ne rectifie pas notre tir avant ce soir, on pourrait bien tout foutre en l’air. Il y a un tas de ces gars qui ne sont pas prêts à laisser tomber les vieilles traditions aussi vite que ça. Il faut que tu leur parles un langage qu’ils comprennent. Tu devrais donner un nom à notre nouvelle organisation ; après tout, est-ce qu’on a jamais vu une entreprise ou une société qui n’ait pas de nom ? T’as déjà vu quelqu’un rentrer dans un hall d’exposition de voitures et dire : Je veux cette voiture, là-bas, celle qui n’a pas de nom ? »
Lansky n’avait pas tort, c’est alors que je lui ai répondu :
– « Mais le nom doit être simple. Ça doit être un nom qui veuille vraiment dire quelque chose pour ces types ».
– « Exact, et je propose que tu l’appelles l’Unione Siciliana ».
Notre nouvelle organisation avait finalement trouvé son nom.
Plus tard dans la soirée, Capone invita tous les hôtes à un magnifique banquet. J’étais assis à côté de lui, à la place d’honneur.
Il y avait tous les chefs de la pègre réunis et je les voyais m’apporter un par un des enveloppes remplies de billets.
Comme avec Maranzano, ils voulaient faire acte d’allégeance au nouveau roi, mais je les ai naturellement toutes refusées, en leur disant :
– « J’ai pas besoin d’argent. J’en ai plein et, d’ailleurs, pourquoi est-ce que vous m’en donneriez puisqu’on est tous égaux ? »
Une réponse qui les étonna tous, dont Capone qui ne comprenait pas que je refuse tout cet argent.
Il s’est tourné vers moi et m’a dit :
– « Fais pas le con, Charlie. J’suis d’accord pour qu’on se débarrasse des vieilles traditions, mais celle-là vaut le coup qu’on la garde, non ? »
– « Je t’ai déjà dit que j’avais assez de pognon comme ça ».
– « Ça veut rien dire. C’est pas la question. Tous ces gars sont habitués à allonger de l’oseille, alors pourquoi se débarrasser d’une bonne chose ? »
– « C’est exactement pour ça. C’est pas une bonne chose. Et puis ça leur donnerait l’idée que c’est moi le patron, et c’est un truc que je ne veux pas. Les cadeaux, les enveloppes, tout ça c’est terminé ».
J’me souviens que le pauvre Al était dégoûté, il a viré au vert quand je lui ai annoncé ça.
La réunion de Chicago finie, j’avais donc réalisé un de mes rêves : créer une organisation nationale du crime organisé dont j’étais le chef.
Il était temps de rentrer à New York.
Photo d’illustration qui montre Lucky Luciano dans un train.
Tout pour le jeu
Après la réunion de Chicago, j’avais encore changé de statut.
Les journalistes m’appelaient désormais « le Boss » quand ils parlaient de moi, et mes amis me considéraient tous comme le patron.
Pourtant, je ne cessais de leur dire que je ne valais pas mieux qu’un autre dans l’Organisation et que je n’étais que le chef de ma propre bande, mais en vain.
Nous étions alors au début de l’année 1932, et la crise économique sévissait toujours dans le pays. Le krach boursier de 1929 avait porté un sacré coup au moral des Américains. La plupart n’avaient plus confiance en leur gouvernement.
Ce même gouvernement qui, dès l’année suivante, décida d’ailleurs d’abroger la prohibition. Ouais, c’était la fin de notre business extrêmement fructueux qu’était le trafic d’alcool.
On savait de toute façon que tôt ou tard la prohibition allait cesser d’exister. En diversifiant nos activités, on l’avait, à vrai dire, bien anticipé.
C’est comme ça qu’on put éviter de grosses pertes financières.
Deux hommes cherchant du travail pendant la Grande Dépression qui toucha l’Amérique en 1929.
En offrant au peuple ce dont il avait envie, les malfaiteurs comme nous s’étaient finalement attiré la sympathie des gens « biens ». Tandis qu’en temps normal, ils nous auraient certainement méprisés.
La prohibition a donc été une bonne chose pour mes associés et moi.
Il fallait à présent tourner la page et aller de l’avant.
Pour remplacer le trafic de gnôle, notre bande a par conséquent concentré ses efforts sur toutes les formes de jeu possibles : casinos, loteries, machines à sous et autres.
En vérité, il nous suffisait de soudoyer les politiciens et les forces de l’ordre pour avoir la mainmise sur toutes ces machines à cash.
Mais… plus le temps passait et plus j’étais persuadé que nous devions étendre nos activités au-delà des frontières américaines. Là-bas, il y aurait sans doute de vastes territoires inexploités qui nous attendraient.
Pour en discuter, j’ai convoqué les membres de l’Unione Siciliana.
Nous étions au printemps 1933, et je les avais tous invités dans mon appartement aux « Waldorf Towers ».
Photographie montrant en arrière-plan les Waldorf Towers dans les années 30.
À la réunion, nous discutâmes d’une question qui obsédait Lansky depuis un moment. À environ une centaine de kilomètres du sud de la Floride, se trouvait un territoire vierge dans lequel l’Unione Siciliana pourrait se développer. C’était une région où il faisait beau toute l’année et qui attirait de plus en plus de touristes américains : Cuba.
Durant la prohibition, Lansky avait en effet établi de bonnes relations avec le dictateur cubain Fulgencio Batista.
Tous les 2 étaient même devenus de très bons amis. Du coup, on s’est dit qu’il fallait profiter de la situation en essayant de conclure un marché avec le dirigeant de l’île.
Le but serait d’obtenir un contrat exclusif sur l’exploitation de toutes les maisons de jeu du pays et ainsi agrandir notre champ d’activité. De la sorte, les autorités fédérales américaines nous foutraient la paix.
Pour cela, Lansky s’entretiendrait avec son nouvel ami cubain et conclurait un marché qui serait bénéfique pour tous les membres de la Commission.
La seule condition était que chacun avance au moins un demi-million de dollars. Ouais, c’était une somme énorme, surtout qu’on était encore en 1933. Et ça n’a pas manqué… Alfred Polizzi, le boss de Cleveland, commença à gueuler quand il entendit le pognon demandé.
Et ça m’a fait marrer, car ce gars possédait un casino qui rapportait tellement qu’un tas de nos hommes s’enrichissaient rien qu’avec leur pourcentage dans l’affaire. Alors se plaindre parce qu’on lui demandait de réinvestir ses bénéfices dans une affaire encore plus juteuse ? Il valait mieux qu’il évite.
Et j’y suis allé franchement quand je le lui ai dit.
À partir de là, plus personne n’a protesté, et Lansky a pu s’entretenir en septembre 1933 avec Batista.
Pour conclure ce deal, on a dû avancer 3 millions de dollars en espèces à Batista (règlement qui devait être effectué chaque année). Bien évidemment, le dirigeant cubain obtiendrait un pourcentage sur tous les bénéfices que nous effectuerions.
Grâce à cet accord, on put ainsi s’enrichir et diversifier davantage nos activités, le jeu était vraiment ce qui nous a permis de remplacer la contrebande d’alcool.
L’avenir était donc au beau fixe.
Enfin ça, c’était ce que je croyais…
Fulgencio Batista et Meyer Lansky dînent ensemble à La Havane.
Le début des ennuis
Au début des années 30, je dirigeais une des plus grosses entreprises au monde. L’organisation que nous avions créée à l’échelle nationale était impliquée dans près d’une centaine de secteurs d’activités différents, ce qui nous rapportait environ 2 milliards de dollars par an.
On possédait des affaires dans le légal comme dans l’illégal.
Tout roulait bien pour nous jusqu’au jour où la justice a décidé de me coller au cul.
Ouais, elle l’avait déjà fait auparavant avec Capone en octobre 1931.
Capone avait été alors condamné à 11 ans de prison pour fraude fiscale.
Puis, ce fut au tour de Dutch Schultz de se faire prendre quelque temps plus tard. Le service fédéral des impôts avait effectivement fait de lui sa cible numéro un…
À l’instar de Capone, Schultz n’avait pas une très bonne image auprès des médias. Comme nous, il avait réussi grâce au trafic d’alcool pendant la prohibition. Il contrôlait quasiment tout le Bronx à l’époque.
Au début des années 30, il s’était également énormément enrichi grâce à la loterie clandestine. Je lui avais donné mon accord pour qu’il développe notre empire du jeu sur son territoire, et il était dès lors devenu le plus gros opérateur de loterie clandestine du pays (avec un chiffre d’affaires avoisinant les 35 000$ par jour).
Puis, le gouvernement fédéral s’en est mêlé pour l’arrêter pour fraude fiscale.
Dutch Schultz attendant le verdict de son procès pour fraude fiscale.
Ah, la fraude fiscale.
Johnny Torrio nous avait en effet tous conseillé de régulariser notre situation, sous peine de nous faire prendre. Beaucoup l’avaient fait à partir de 1928, et j’en faisais partie.
Je m’étais inscrit comme joueur professionnel et j’avais déclaré cette année-là un revenu annuel de 16 000$ (un chiffre que j’ai progressivement augmenté à 25 000$ dans les années qui ont suivi).
De mon côté, j’étais donc plus ou moins tranquille.
Pour Schultz, en revanche, c’était une autre histoire. Il n’eut malheureusement pas le temps de suivre les conseils de Torrio. Et en 1933, la justice le mit en examen pour non-déclaration de revenus pour les années 1929, 1930 et 1931.
Schultz risquait jusqu’à 43 ans de prison, autant dire que cela s’annonçait délicat.
La personne à l’origine de cette inculpation se nommait Thomas E. Dewey. Un jeune procureur du district sud de New York qui était connu pour avoir déjà mis à mal des gangsters connus comme : Jack « Legs » Diamond ou Waxey Gordon.
Nous étions au début de l’année 1935 et Dewey avait alors fait de Schultz sa cible principale.
Au total, Schultz devait faire face à 3 accusations : une pour fraude fiscale, une pour racket et une autre pour assassinat.
Comment allait-il se défendre lors de son procès ?
C’était une bonne question, mes associés et moi étions à vrai dire assez inquiets de la situation.
Schultz pourrait très bien nous balancer s’il était persuadé d’écoper d’une peine lourde lors du procès. De plus, il pourrait également échanger sa liberté contre la nôtre en racontant tout ce qu’il savait sur notre compte.
Lansky, Costello, Adonis et moi étions de ce fait très préoccupés. on ne pensait qu’à ça à ce moment-là. Il fallait faire quelque chose, et vite.
Extrait d’un journal montrant la photo de Dutch Schultz, qualifié d’ennemi public n°1.
Photo du procureur de New York, Thomas E. Dewey.
Puis, il y a eu cette nouvelle qui m’est venue d’Anastasia.
Il me dit que Schultz l’avait contacté et qu’il lui avait formulé une demande assez particulière : il voulait buter le procureur Dewey et ce, peu importe le prix à payer.
C’était la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.
Tuer quelqu’un qui ne faisait pas partie du milieu (tel qu’un flic, un journaliste ou un magistrat) revenait à violer une de nos règles les plus strictes. Si Schultz tuait Dewey, notre organisation serait dans la merde jusqu’au cou.
Pour discuter de cela, une réunion fut ainsi organisée. Tous les membres importants de l’Unione Siciliana étaient invités.
On vota tous pour décider du sort du Schultz, et la décision rendue fut unanime : Dutch Schultz devait être éliminé.
Pourtant, pendant le Conseil, Lansky me dit une chose qui m’a fait froid dans le dos :
– « En tant que ton consigliere juif, je dois te rappeler une chose : en ce moment, Schultz te sert de bouclier. S’il est éliminé, tu vas te retrouver à poil comme un type à qui on aura fauché ses vêtements. Tu auras les flics sur le dos avant que le cadavre de Schultz n’ait eu le temps de refroidir ».
Et il avait vu juste.
Après qu’on a descendu Schultz dans la nuit du 23 octobre 1935 (tuerie qui avait été au passage aussi sanglante que le massacre de la Saint Valentin de 1929), je me suis retrouvé avec tous les flics sur le dos…
Scène de la tuerie dans laquelle Dutch Schultz a été touché.
Il fallait que ça arrive
Lansky eut finalement raison.
Suite à la mort de Schultz, j’étais devenu la nouvelle cible du gouvernement fédéral.
Le procureur spécial de New York, Thomas Dewey, m’avait à présent dans sa ligne de mire.
À l’évidence, son équipe et lui savaient que je dirigeais des opérations de rackets. La chose qui leur manquait cependant était les preuves. Et pour en avoir, Dieu sait que ce n’était pas facile.
J’avais érigé mon empire comme une véritable entreprise de façon à ce qu’il y ait plusieurs intermédiaires entre ce pour quoi ils souhaitaient m’inculper et moi-même.
Ainsi, aucun des hommes qu’ils interrogeaient ne put clairement dire ce qu’ils voulaient entendre, comme : « J’ai reçu mes ordres de Charlie Lucky » ou « J’ai donné de l’argent à Charlie Lucky ».
Par manque de preuves, toutes les enquêtes à cet égard ne menaient donc à rien.
Enfin, sauf une…
Celle d’Eunice Carter, l’adjointe du procureur du district qui s’occupait des affaires de prostitution.
Photo d’Eunice Carter.
Mme Carter avait eu en effet des soupçons selon lesquels les prostituées de New York étaient encadrées par un « Syndicat du Vice », un syndicat qui serait lui-même dirigé par le milieu.
Ouais, je ne l’avais pas dit jusque-là, mais la prostitution faisait partie de nos plans. Comme dit précédemment, notre organisation souhaitait diversifier au maximum ses activités et la prostitution était un business qui pouvait nous rapporter beaucoup.
Nous avions de ce fait crée un véritable réseau dans tout New York, avec plus de 200 maisons closes et environ 1200 prostituées à notre solde.
Et voilà que Mme Carter venait fouiller dans nos affaires…
Elle se mit dès lors en contact avec Dewey pour élaborer le dossier et la stratégie qui leur permettraient de m’inculper pour prostitution forcée.
Au fur et à mesure de l’enquête, ils commencèrent à mettre le doigt sur plusieurs noms récurrents en lien avec l’affaire, tels que : Ralph Liguori ou Little Davie Betillo, des maquereaux qui bossaient pour moi.
Puis, à la fin du mois de janvier 1936, Dewey et son équipe obtinrent suffisamment de preuves pour établir l’existence d’un « Syndicat du Vice ». Une vaste opération contre les maisons closes de New York fut dès lors menée et plus d’une centaine de prostituées et gérant(e)s de bordels furent arrêté(e)s.
Comme Liguori et Betillo d’ailleurs.
Image de gauche : Ralph Liguori qui essaye de cacher son visage lors du procès.
À droite : Photo d’identité judiciaire de David Betillo.
De mon côté, j’étais assez serein. Je savais que Dewey et sa clique ne pourraient jamais réussir à prouver ma culpabilité dans cette affaire.
Je ne m’en souciais donc pas le moins du monde, mes habitudes ne changèrent guère et je poursuivis mes activités.
Jusqu’au jour où le directeur des Waldorf Towers (l’immeuble luxueux dans lequel j’habitais) m’appela un soir de mars pour me dire que des flics en civil étaient montés à mon appartement pour s’entretenir avec moi.
D’après lui, ils n’étaient pas venus pour rigoler, ce qui m’inquiétait beaucoup.
Du coup, eh ben, je n’ai pas réfléchi, j’ai foutu le camp en attendant que les choses se tassent.
Je partis donc de New York pour prendre quelques vacances.
Pendant mon absence, je restai tout de même en contact avec mes amis, pour avoir des nouvelles de la situation. Une situation qui n’était alors pas rassurante du tout…
Les flics me recherchaient activement et Dewey m’avait déclaré comme ennemi public numéro un de New York.
On m’accusa par la suite de 62 chefs d’accusation pour proxénétisme coercitif, et les flics de tout le pays étaient à mes trousses.
Il leur fallut quelques jours pour me trouver.
Où est-ce que je me cachais ?
À Hot Springs, en Arkansas.
C’est au cours d’une balade qu’on me repéra. Le chef des inspecteurs de police de la ville m’a localisé puis a averti les autorités new-yorkaises de ma présence.
Suite à cela, j’ai été extradé à New York.
Accompagné de 2 policiers et menottes aux mains, je retournai dans la ville que j’avais fuie.
L’heure de face à la justice était venue.
Et avec 62 chefs d’accusation contre moi, je risquais gros, très gros…
Lucky Luciano, les 2 mains sur le visage, arrêté après sa fuite en Arkansas.
Mon procès commença un beau matin, le 13 mai 1936, à la Cour Suprême de l’État de New York.
Dans la salle d’audience, il y avait Thomas Dewey et sa troupe d’assistants.
Je me souviens que Dewey avait l’air sûr de lui, il n’avait qu’un but ce jour-là : me faire condamner.
Avec les 10 autres accusés, j’allais donc être jugé pour proxénétisme.
Lucky Luciano lors de son procès pour proxénétisme en 1936.
Pour prouver ma culpabilité, le procureur spécial Dewey débuta en lisant son acte d’accusation au juge.
Lors de sa déclaration, je me rappelle qu’il s’était tourné vers moi un moment pour me dévisager. Ce qui m’amusa plus qu’autre chose, je lui ai simplement répondu avec un léger sourire.
Dans cette image, on peut apercevoir Lucky Luciano sourire lors de son procès.
Puis, il continua son discours :
– « Depuis que Luciano a pris les choses en main, l’industrie du vice est dotée d’une organisation hautement efficace et fonctionne avec la précision d’une machine bien rodée. Il sera prouvé que Luciano se trouvait au sommet de la pyramide érigée à New York. Jamais ni Lucky ni l’un de ses coaccusés n’ont eu de contact avec les filles ou n’ont récolté leur paye. Luciano, cependant, était toujours tenu au courant du détail des opérations. Nous vous montrerons quel était le rôle exact de cet homme dont les désirs étaient des ordres pour ceux qui faisaient marcher l’industrie du vice. Dans cette affaire, tous les autres inculpés ne faisaient qu’exécuter ses ordres ».
Après ça, il fit comparaître ses 68 témoins à la barre, la plupart étaient des prostituées ou des maquerelles. Il fallut environ 3 semaines pour que tous les témoins soient entendus.
Au cours des premiers jours des témoignages, mon nom n’avait pas été cité une seule fois. C’était comme si j’étais ailleurs et que toute cette affaire ne me concernait pas.
Puis est venu ce témoignage consternant à mon encontre…
C’était le 22 mai 1936.
Ce jour-là, l’ambiance de la salle d’audience était tendue, il y avait un silence de mort qui régnait. C’est alors que le nom de Florence Brown fut appelé à la barre des témoins.
Inquiet, mon avocat me dit :
– « Qui c’est, celle-là ? »
– « Qu’est-ce que tu veux que j’en sache ? Je l’ai jamais vue de ma vie ».
– « Tiens-toi bien, Charlie. Quelque chose me dit que cette fois, c’est du sérieux ».
Malheureusement, il avait vu juste.
Cette Florence Brown était une ancienne prostituée qui aurait soi-disant gérée une de nos maisons closes.
Durant son témoignage, elle accusa notre organisation de passer à tabac, de torturer, d’intimider ou encore d’asservir les prostituées en les droguant et en les forçant à travailler.
Un témoignage qui avait stupéfait tout le monde, dont les jurés qui la regardaient avec pitié.
À ce moment-là, Dewey donnait l’impression qu’il avait gagné la partie.
Mes avocats étaient eux consternés, le contre-interrogatoire n’eut aucun effet probant, je commençai vraiment à m’inquiéter.
Et les prostituées qu’ils appelèrent ensuite à la barre n’arrangèrent rien.
Photographie d’identité judiciaire de la prostituée Florence Brown.
Finalement, le procès se termina le 29 mai, après l’audition d’une soixantaine de témoins.
Quelque temps plus tard, le 7 juin 1936, j’ai été reconnu coupable de tous les chefs d’accusation. La Cour me condamna à une peine de 30 à 50 années de prison, soit la peine la plus sévère à avoir jamais été prononcée pour prostitution forcée.
J’avais les tripes sens dessus dessous, mais je ne voulais pas donner à ces salauds la satisfaction de le voir.
Il n’y avait donc plus rien à faire, j’allais passer le restant de mes jours en prison…
Arrestation de Lucky Luciano suite à sa condamnation en juin 1936.
Loin des affaires
Suite à ma condamnation, j’ai été envoyé dans la prison de haute sécurité de Dannemora, au nord de l’État de New York.
C’était donc là-bas que je devais passer les 30 à 50 années à venir.
Maintenant que j’étais au trou, il fallait que je sécurise mon fric. Pour cela, j’ai pu compter sur Lansky qui s’occupa de toutes mes finances.
Au début de ma détention, je n’avais qu’une seule préoccupation : trouver un moyen de sortir d’ici.
Malheureusement, je savais que ma libération prendrait du temps, tout comme ma procédure d’appel, d’ailleurs.
Du coup, à ce moment-là, la seule chose que je pouvais faire c’était d’endurer ce sentiment de colère et de frustration.
Ancienne photo de la prison de Dannemora dans l’État de New York.
Dans la prison de Dannemora, je travaillais dans une bibliothèque, c’était un poste paisible qui me permit de penser à mes futurs projets.
J’étais là, entouré de tous ces livres, et je pensai soudain à Meyer Lansky, qui se baladait toujours avec un premier livre dans sa poche revolver, le nez plongé dans un second bouquin.
Ce salaud-là était toujours en train de lire, toujours en train d’apprendre quelque chose. C’est alors que moi aussi j’ai commencé à lire.
Je lisais tellement qu’un jour Costello m’a dit lors d’une de ces visites :
– « Charlie, t’es en train de devenir un Lansky sicilien ! »
Ouais, mes associés me rendaient régulièrement visite, que ce soit Costello, Lansky, Adonis ou Genovese. Ils continuaient à obéir à mes ordres et nous discutions de temps en temps des décisions importantes.
Le temps passait, et je croupissais toujours en taule.
J’essayais de trouver un moyen de sortir de là, mais rien n’y faisait.
Jusqu’au moment où la Seconde Guerre mondiale éclata.
En 1941, les États-Unis entrèrent en effet en guerre suite à l’attaque de Pearl Harbor des Japonais.
À cette époque, tout le pays craignait d’avoir une autre guerre sur le sol américain, en particulier New York qui redoutait être la 1ère cible en cas d’attaque.
Le bruit courait ainsi que des sous-marins allemands sillonnaient les côtes américaines. Ce qui préoccupait énormément le pays, puisqu’à cette période l’armée ne possédait pas les forces navales adéquates.
Et c’est là que j’ai eu cette excellente idée :
- Je savais que la Marine redoutait énormément les sabotages à cette période, je me suis donc dit qu’on devait jouer sur ça pour me faire libérer.
En effet, depuis la Prohibition, notre organisation avait la mainmise sur presque tous les ports de New York. On contrôlait le syndicat des dockers et tout ce qui rentrait dans le pays.
Mon idée était alors la suivante : il suffisait de faire croire à la Marine qu’un sabotage d’une grande envergure allait frapper les docks de New York pour qu’ils en fassent tous dans leur culotte.
Sans solution pour contrer ce fléau, le gouvernement n’aurait ainsi pas d’autres choix que de se tourner vers notre organisation.
De là, on lui proposerait gentiment notre aide, en échange d’une faveur : ma libération.
Pour élaborer ce plan, j’ai convoqué Costello et Lansky.
Je leur ai dit qu’il nous fallait choisir un sujet de sabotage qui puisse faire les gros titres dans les journaux. Et quelques mois après, on le trouva.
Albert Anastasia trouva en effet la solution : il fallait brûler et faire croire au sabotage du « SS Normandie », un grand paquebot de luxe français que le gouvernement souhaitait transformer en transport de troupes.
Avec son frère Tony, Anastasia finalisa par conséquent le plan.
Il avait mon feu vert, il ne restait plus qu’à passer à l’action.
Le paquebot SS Normandie en flammes après l’incendie orchestré par Anastasia.
Quelque temps plus tard, j’entendis à la radio que le « SS Normandie » était en flammes ! Ce salaud d’Anastasia avait vraiment fait du bon boulot.
Suite au sabotage orchestré par Anastasia, le gouvernement n’eut finalement pas d’autres choix, il dut collaborer avec le milieu italien et juif de New York. Pour cela, on leur a suggéré de se mettre en contact avec le chef de l’organisation, qui n’était d’autre que moi : Charlie « Lucky » Luciano.
Comme prévu, le gouvernement accepta mon aide et je pus dès lors demander une libération anticipée, qui n’arriva qu’au début de l’année 1946.
Cette libération devait être offerte à une seule condition toutefois : je devais être déporté en Italie (dans ma Sicile natale) et exilé à jamais des États-Unis…
Ouais, ce n’était pas une condition facile à accepter, mais je me suis dit que c’était mieux que rien et j’ai alors finalement accepté le deal.
Le 2 février 1946, je sortis de prison.
J’allais bientôt prendre le bateau qui devait m’emmener loin tout de ce que j’avais construit en Amérique.
Mais… je n’avais pas dit mon dernier mot.
Ils ne pouvaient pas me garder continuellement à l’écart et je savais que je reviendrais un jour.
Image d’illustration montrant Lucky Luciano sur un bateau en Sicile.
Réunion à La Havane
Je partis des États-Unis, le 10 février 1946.
Je me souviens ce matin-là, il faisait un froid de canard. Un vent glacial soufflait sur le port.
De nombreux journalistes étaient venus ce jour-là pour tenter de m’interviewer, mais je refusais de les voir. Pour cela, Anastasia et son frère avaient envoyé une armée de dockers pour bloquer l’accès.
Pour mon départ, Lansky et Costello avaient organisé une grande réunion d’adieu. Mes amis et associés de tout le pays étaient venus me voir, il y avait alors :
- Lansky et Costello, évidemment
- Bugsy Siegel (venu de Californie, depuis qu’il opérait là-bas)
- Joe Adonis
- Albert Anastasia
- Tommy Lucchese
- Willie Moretti
- Longie Zwillman
- Steve Magaddino (de Buffalo)
- Carlo Gambino (devenu l’un des lieutenants les plus importants à Brooklyn)
- Et d’autres amis
Sans oublier certains chefs politiques du pays.
Lansky et Costello m’avaient même trouvé quelques gonzesses pour me tenir compagnie lors du voyage.
Photo d’illustration montrant Lucky Luciano en train de trinquer avec une femme à sa droite.
Et puis, au bout d’un moment, je dus me séparer de tout ce beau monde, et je sentis alors comme une sorte de profonde solitude.
Certes, j’avais de belles filles avec moi, mais ça ne suffisait pas. J’étais sur le point de quitter de tout ce que j’avais construit aux États-Unis, et ça ne me mettait pas bien.
J’avais un plan toutefois pour revenir.
Un plan dont j’avais uniquement parlé à Lansky avant la réunion d’adieu.
Ce plan consistait à reprendre la direction de l’Unione Siciliana à partir d’une île dans laquelle notre organisation avait déjà un bon pied : Cuba.
J’ai dit à Lansky qu’il devait organiser, vers la fin de l’année 1946, une conférence dans laquelle tous les gros bonnets du milieu seraient conviés. La réunion se déroulerait à La Havane, la capitale du pays.
Il était hors de question que je reste sur la touche, je devais organiser mon retour le plus vite possible !
En attendant, je retournai dans mon pays natal, l’Italie, plus précisément dans ma région, la Sicile.
Arrivé là-bas, je revins dans la ville de ma petite enfance : Lercara Friddi.
Sans m’y attendre, j’ai été accueilli là-bas comme une rockstar. Une grande majorité des gens du village s’était réunie dans la grande place pour me voir. Malgré les choses peu convenables que j’avais faites par le passé, ils me reçurent dignement.
Lucky Luciano avec des amis à Lercara Friddi, pendant son exil en Sicile.
Les mois passèrent et je n’attendais en réalité qu’une chose : que Lansky me fasse signe pour Cuba.
Je dus attendre l’automne pour avoir enfin son feu vert. Son message m’avait été transmis dans une enveloppe scellée dans laquelle se trouvaient seulement 3 mots : « Décembre, Hôtel Nacional ».
En octobre 1946, je partis donc secrètement à La Havane.
Je me rendis comme prévu dans l’hôtel Nacional et on me conduisit dans une suite réservée par un homme d’affaires américain éminent, qui participait à de nombreuses affaires à Cuba : Meyer Lansky.
J’étais venu à l’avance par rapport aux autres.
Ce temps me permit dès lors de penser à quelques trucs, notamment ce titre que j’avais refusé lors de la conférence de Chicago : celui de patron des patrons.
À l’époque, je pensais que c’était une connerie, mais en y réfléchissant bien, je me rendis compte que la majorité des caïds aimaient bien cette idée selon laquelle un chef doit être pourvu d’un titre. Alors, j’ai changé d’avis.
L’hôtel Nacional, lieu dans lequel la conférence de La Havane a eu lieu.
Vito Genovese fut le premier invité à arriver.
Ça faisait presque 10 ans que je ne l’avais pas vu et voilà que je le revoyais ici à Cuba.
Ce salaud n’avait pas changé, toujours avec ses costumes froissés, plein de cendres de cigares sur le devant.
Ce fut lors d’un déjeuner, qu’on commença à discuter.
Il me parla au début d’un différend qu’il avait avec Anastasia, puis changea de sujet et alla droit au but :
– « Il y a autre chose dont je veux te parler, Charlie, et seul à seul, avant que les autres gars n’arrivent. Tu sais, tu as été longtemps au loin. Tu ne sais pas à quel point tout est en train de changer ».
– « Toi aussi, tu as été longtemps au loin, Vito. Où veux-tu en venir ? »
Genovese avait été en effet contraint comme moi de partir pour l’Italie, sauf que lui, c’était pour fuir la justice et calmer le jeu suite à un meurtre qu’il avait ordonné.
Il poursuivit donc :
– « Eh bien, je suis de retour maintenant, et plongé dans le bain, à New York. Mais toi, tu es toujours en dehors du pays, Charlie. Les choses changent chaque jour, et tu n’es plus dans le coup ».
Moi, pas dans le coup ? Ce salaud l’ignorait, mais je l’étais, bien au contraire.
Je n’ai alors rien dit et j’ai attendu qu’il continue :
– « Permets-moi de te dire ce que j’en pense, Charlie… c’est une bonne proposition. Je pense que tu devrais démissionner, je veux dire : te retirer. Tu auras tout le fric dont tu peux avoir besoin, je t’en donne personnellement ma parole. Tu n’auras plus à t’inquiéter de ce qui se passe. Et tu seras toujours le patron des patrons. Tous te considéreront comme le gars qui a su tout arranger dans le temps, et ils viendront toujours à toi quand ils auront besoin d’un conseil. C’est-à-dire que tu seras toujours à la tête, mais que je dirigerai les choses sur place.
C’est tout ce que j’avais à dire ».
Le fils de pute, la seule chose qu’il voulait, c’était de m’évincer.
D’un ton calme et posé, je lui répondis :
– « Tu oublies ce qui s’est passé à Chicago quand j’ai remis les choses en ordre. Il n’y a pas de patron des patrons. J’ai refusé de l’être devant tout le monde. Si jamais je change d’avis, alors je prendrai le titre. Mais, toi tu n’en es pas capable. Pour l’instant, tu bosses pour moi, et je n’ai pas l’intention de me retirer. Que je ne t’entende jamais plus parler de la sorte, ou je me fâcherai ».
Je voulais voir si Vito aurait le courage de continuer, mais il n’a rien fait. Ma réponse lui avait fait fermer sa gueule.
Le lendemain, tous les chefs du milieu américain arrivèrent à l’hôtel où toute une partie de l’établissement avait été spécialement réservée pour la réunion.
Il y avait la délégation de New York et du New Jersey dans laquelle se trouvaient Lansky, Adonis, Anastasia, Costello, Genovese, Lucchese, Joseph Bonanno (dit Joe Bananas), Joe Profaci, Willie Moretti, Anthony Carfano et Mike Miranda.
Celle de Chicago, dans laquelle il y avait le chef de l’organisation, Tony Accardo et les frères Fischetti (des cousins d’Al Capone).
Carlos Morello et Phil Kastel arrivèrent de La Nouvelle-Orléans et Santo Trafficante de Floride.
Et si jamais certaines personnes trouvaient cette réunion louche, on avait une excuse : on donnait un gala en l’honneur d’un jeune chanteur italien originaire du New Jersey, Frank Sinatra. Un bon ami à moi qui était venu à La Havane avec les frères Fischetti.
Ainsi, à leur arrivée à l’hôtel, chaque dirigeant du milieu vint me voir pour me témoigner sa fidélité et me reconnaître comme chef de l’Unione Siciliana. On m’offrit dès lors une enveloppe remplie de billets.
Le lendemain matin, la conférence commença.
J’étais assis en bout de table, à côté de moi se trouvaient Lansky, Costello, Adonis et Genovese.
J’ai donc entamé la réunion en les remerciant tous, tout d’abord parce qu’ils avaient accepté l’invitation, mais aussi pour les enveloppes qu’ils m’avaient offertes.
Après, je leur ai dit qu’à partir de maintenant je dirigerais les opérations depuis La Havane et ce, sous mon véritable nom : Salvatore Lucania.
Je voulais en effet rester discret un maximum.
Ensuite, vint le moment où je leur ai parlé du titre de patron des patrons.
Un sujet qui a immédiatement interpellé Anastasia :
– « Charlie, pardonne-moi de t’interrompre. Je veux dire quelque chose devant tout le monde, avant que cette séance ne se poursuive. Pour moi, tu es le grand patron, que ça te fasse plaisir ou non. C’est ma façon de voir, et je voudrais bien que quelqu’un ose dire qu’il ne partage pas mon sentiment ».
Anastasia était assis juste en face de Genovese, et après qu’il eut terminé son discours, Genovese le regarda droit dans les yeux.
Ouais, il l’avait mauvaise, mais moi je m’en fichais un peu, ça lui avait donné une bonne leçon au moins, et puis aucune personne dans la salle n’avait contredit les dires d’Anastasia.
C’était donc une bonne chose de faite.
Plus tard au cours de la réunion, Lansky, d’un ton très posé, se leva pour évoquer ce qu’il appela le « cas Siegel ».
Vers la fin des années 30, Siegel était en effet parti pour la Californie, où on lui avait donné à l’époque pour mission de développer l’empire du jeu avec Jack Dragna, un de nos associés qui opérait déjà à Los Angeles.
En 1946, Siegel était alors parti pour Las Vegas afin d’étendre nos activités. Il voulait créer un eldorado du jeu, et pour cela il s’était donné comme objectif de construire un hôtel casino, nommé le « Flamingo ».
Après lui avoir donné notre accord en 1943, il entreprit donc ce projet, mais au bout d’un moment, il eut un retard tel qu’un certain nombre de nos gars ont commencé à s’inquiéter. Ils avaient investi dedans et souhaitaient tout naturellement récupérer un retour sur investissement rapide.
On parlait de millions de dollars investis.
Photo vintage du casino-hôtel de Las Vegas, le Flamingo.
C’est alors que Lansky, durant la réunion à La Havane, leur communiqua des nouvelles pas très rassurantes : Siegel et sa femme, Virginia Hill, puisaient dans les caisses de la pègre à leurs fins personnelles.
Lors de la conférence, Lansky leur avait notamment exprimé sa principale préoccupation : en cas d’échec du « Flamingo », Siegel et sa femme repartiraient sans doute avec tout l’argent volé.
Un des invités de la réunion lui a alors posé cette question :
– « À ton avis, que devrions-nous faire, Meyer ? »
Et sa réponse fut :
– « Il n’y a qu’une chose à faire avec un voleur qui escroque ses amis. Siegel doit payer de sa vie ».
S’en est suivi un vote qui eut pour but de décider si oui ou non l’on devait éliminer Siegel. Et le vote fut unanime.
Siegel devait payer pour ce qu’il avait fait…
La réunion de La Havane terminée, je voyais donc l’avenir avec optimisme.
Mais… ce retour au sommet de la pègre fut malheureusement gâché par une très mauvaise nouvelle : le gouvernement américain était au courant de ma présence à Cuba et faisait pression sur le gouvernement cubain pour m’expulser.
Leur pression était telle que Cuba a fini par céder et c’est alors que je dus partir pour l’Italie encore une fois…
Lucky Luciano aux côtés d’agents de la police secrète cubaine après son arrestation.
Ma position à la tête de la pègre américaine était quasiment compromise…
Je suis par conséquent parti pour l’Italie, où j’ai été placé à mon arrivée sous surveillance.
En Italie, ce n’était pas du tout la même chose. Les États-Unis me manquaient cruellement, mais bon je ne pouvais malheureusement rien faire.
Ainsi, les années passèrent et je pris naturellement de l’âge.
Jusqu’à mourir le 26 janvier 1962 d’une crise cardiaque.
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Cadavre de Charles « Lucky » Luciano après avoir succombé à une crise cardiaque.
Sources
https://www.babelio.com/livres/Martin-A-Gosch-Lucky-Luciano-Testament/663860
https://en.wikipedia.org/wiki/Prohibition
https://en.wikipedia.org/wiki/Bugs_and_Meyer_Mob
https://fr.wikipedia.org/wiki/Arnold_Rothstein
https://en.wikipedia.org/wiki/Atlantic_City_Conference
https://en.wikipedia.org/wiki/Five_Points_Gang
https://en.wikipedia.org/wiki/Alfred_Polizzi
https://en.wikipedia.org/wiki/Lucky_Luciano
https://fr.wikipedia.org/wiki/Legs_Diamond
https://en.wikipedia.org/wiki/Eunice_Carter
https://en.wikipedia.org/wiki/Vito_Genovese
https://en.wikipedia.org/wiki/Bugsy_Siegel
https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_des_Castellammarese