[Discussion entre 2 enquêteurs essayant de résoudre l’affaire]
– Ils nous ont mis sur une grosse affaire.
– Laquelle ?
– L’évasion d’Alcatraz du 11 juin 62. Enquête toujours non élucidée à ce jour…
– Ça me dit vaguement quelque chose.
Qu’est-ce qu’on a dessus ?
– Trois détenus avec un passif de braqueurs de banques qui réussissent l’impossible : s’évader de la prison d’Alcatraz, le pénitencier le plus sécurisé des États-Unis à l’époque.
– Eh ben, rien que ça…
– Parmi le trio de fugitifs, on a deux frères : John et Clarence Anglin, ainsi que Frank Lee Morris.
Leur plan était bien ficelé, et ils l’ont exécuté à la lettre : repérages, préparatifs, puis passage à l’action. Ils se s’échappent par un trou préalablement creusé dans le mur de leur cellule, et accèdent ensuite au toit de la prison. Ils se dirigent en direction de la rive nord de l’île et préparent alors leur radeau de fortune pour traverser la mer qui les séparent du continent. Et puis là… plus rien.
Les enquêteurs perdent leurs traces à leur entrée dans l’eau.
À l’heure d’aujourd’hui, on ne sait toujours pas s’ils ont réussi leur coup.
On a tout de même quelques éléments de preuve qui vont nous permettre d’éclaircir un peu plus ce fichu mystère.
– Je vois que t’as les dossiers d’enquête avec toi.
– Ouais, on a de quoi faire avec ça.
Al Capone, Mickey Cohen, Bumpy Johnson, Whitey Bulger, Machine Gun Kelly : décidément, la prison d’Alcatraz rassemblait les criminels les plus dangereux de ce pays.
J’te propose de nous pencher tout d’abord sur l’histoire de ce pénitencier, ça nous permettra d’y voir plus clair dans cette évasion, considérée comme l’une des plus complexes et l’une des plus aboutis jamais réalisées aux États-Unis.
La prison du désespoir
– Alcatraz…
Manifestement, une prison pas comme les autres…
On dit que l’île a commencé à accueillir des prisonniers à partir de la fin des années 1860, après la guerre de Sécession. À l’origine, une prison militaire où étaient envoyés les soldats les plus insolents et les ennemis politiques.
Il faudra attendre 1912 pour voir apparaître l’élément central de l’île : ce grand bloc en béton que l’on connaît et qui fera office de prison. Construit par les prisonniers militaires eux-mêmes, il est composé de 600 cellules. À l’époque, il s’agissait tout simplement de la plus grande structure en béton armé au monde, ce qui a rendu l’île d’Alcatraz très populaire. Certains lui avaient même trouvé un surnom : « Le Rocher ».
– Je n’aurais pas trouvé mieux.
– Le statut de la prison change à partir de 1934.
Fini la prison militaire : Alcatraz devient un pénitencier fédéral pour détenus civils. L’idée était d’y envoyer les individus les plus dangereux du pays, ceux qui étaient les plus incorrigibles et qui avaient une forte propension à l’évasion. On retrouvait donc des braqueurs de banques, des kidnappeurs, des meurtriers et même des patrons du crime organisé.
– La crème des criminels hébergée dans une seule et même prison. Si c’est pas beau ça.
– Ouais, leur but était de créer une prison dont il serait impossible de s’évader et où la corruption et les traitements de faveur n’existeraient pas. Une prison où les conditions de détention seraient extrêmement strictes, où les détenus seraient, non pas appelés par leur nom, mais par un simple numéro de matricule…
Une conception très… draconienne imaginée par le procureur général de l’époque, qui se souvient :
« Peu après mon entrée en fonction en tant que procureur général, j’ai conçu le projet d’établir une institution destinée aux prisonniers fédéraux les plus difficiles à gérer. J’en ai d’abord discuté avec le président Roosevelt et, après avoir obtenu son accord, j’ai cherché un lieu où l’implanter. Le choix s’est finalement porté sur la baie de San Francisco. J’ai alors choisi le directeur et les gardiens, et j’ai suivi de près chaque étape de construction de cette nouvelle prison.
Dans le système pénitentiaire fédéral, Alcatraz représente le summum de l’isolement…
Ces hommes sont tous les jours conscients du bourdonnement de la vie autour d’eux. La vie est si proche, mais la liberté si loin.
Au fur et à mesure que j’avançais dans l’île, j’étais de plus en plus convaincu qu’il y avait là une prison dont aucun homme ne pouvait s’échapper… Nous étions prêts…»
Les détenus considérés comme les pires des pires ont donc été transférés à Alcatraz à partir de 1934 : Al Capone, Machine Gun Kelly, Bumpy Johnson, « Whitey » Bulger ou encore Mickey Cohen, pour ne citer qu’eux. De grands noms, qui ont très probablement contribué à alimenter l’atmosphère mystérieuse et fantasmagorique de l’île…
Mais bon, à Alcatraz, ces individus n’étaient désormais plus rien, réduits à de simples numéros pour les briser moralement…
Leurs conditions de détention étaient particulièrement insupportables :
- Les privilèges étaient réduits au strict minimum, avec uniquement les besoins vitaux, comme la nourriture, l’eau, les vêtements et les soins médicaux.
- Pas droit au journal ni à la radio (seul un accès limité à la bibliothèque était autorisé).
- Recevoir ou envoyer du courrier était considéré comme un privilège.
- Quant au droit de travailler, il n’était pas donné à tout le monde : à Alcatraz, il fallait le mériter.
- Mais… le pire était sans doute cette règle du silence. Une règle imposée lors des premières années du pénitencier fédéral, qui interdisait aux prisonniers de parler avec les autres détenus.
Elle sera abolie à la fin des années 30 à cause des cas de folie qu’elle avait engendrés.
William Henry Ambrose, gangster de Chicago arrivé à Alcatraz au début des années 30, s’en souvient très bien :
« Capone est en train de devenir fou à cause des restrictions, mais il ne perd pas la tête et ne craque pas. Il a été au trou trois ou quatre fois pour avoir parlé. L’interdiction de parler est la chose la plus difficile à Alcatraz, pour lui, comme pour tous les prisonniers… Pas un mot ne peut être prononcé que l’on soit à table, au travail ou dans la cellule. C’est le pénitencier le plus dur que j’aie jamais vu. Le désespoir vous gagne. Capone le ressent. Tout le monde le ressent. »
– L’impossibilité de parler devait être dure à encaisser. Ce directeur de prison était intraitable.
– James Aloysius Johnston, c’était lui le premier directeur d’Alcatraz en tant que prison fédérale.
Il voulait faire de cette prison un modèle avec une sécurité maximale à tout point de vue.
Il s’est alors dit que si le pénitencier était conçu pour accueillir le gratin du crime, il devait choisir les meilleurs agents pour les surveiller. Il en a employé suffisamment pour garantir une surveillance maximale. Ce qui fait qu’Alcatraz comptait 1 gardien pour 3 prisonniers. Évidemment on était très loin du ratio de 1 gardien pour 12 à 30 prisonniers des autres établissements du pays.
Les gardiens de prison d’Alcatraz devaient alors suivre chaque détenu de près et réaliser un comptage fréquent.
– C’est-à-dire fréquent ? À quel point ?
– 12 comptages par jour.
– La vache !
– Ils voulaient en effet montrer au public qu’ils étaient bien décidé à enrayer la hausse de la criminalité qui sévissait dans les années 30. La prohibition était évidemment passée par là.
En 30 ans, la criminalité avait augmenté de 1 000 % ; l’idée était donc de faire d’Alcatraz un endroit capable de dissuader les autres criminels de venir séjourner sur le Rocher.
Pour ceux qui y étaient déjà incarcérés, le mal était déjà fait. Cela n’a pourtant pas empêché certains d’entre eux de penser à l’évasion.
Charlie Berta, matricule AZ-132, considéré comme l’un des détenus les plus coriaces d’Alcatraz dans les années 30, dira ceci :
« Alcatraz était un endroit sans espoir… une véritable prison de l’esprit. La seule chose qui me permettait de tenir était l’idée que je pourrais un jour sortir d’ici. Nombreux de ces gars avaient connu beaucoup de souffrances… Ils n’avaient plus rien…
Quelle que soit la durée de leur peine, tout se résumait à une question de temps. L’un compte le temps qu’il a perdu tandis que l’autre compte le temps qu’il lui reste jusqu’à la fin… »
Un autre témoignage, cette fois-ci du détenu Jim Quillen, matricule AZ-586. Il a été incarcéré entre 1942 et 1952 pour braquages de banques et kidnapping :
« Ces hommes n’avaient plus rien à attendre ; vous savez, leur jeune vie était maintenant terminée ; il n’était pas possible de revenir en arrière pour arranger les choses.
Je me suis moi-même retrouvé dans cet état d’esprit désespéré, conscient de ne jamais pouvoir récupérer ce qui était perdu. Croyez-moi, certains d’entre eux voulaient vraiment sortir, d’une manière ou d’une autre… La vie en prison était déjà assez dure, mais Alcatraz en amplifiait le caractère sinistre… San Francisco était juste là devant vous… On pouvait sentir le mouvement qui se produisait de l’autre côté de l’eau, l’effervescence de la vie urbaine… Je ne peux pas l’expliquer, mais vous pouviez tout voir juste là.
On entendait les femmes rire sur les bateaux qui passaient devant l’île… Cela a rendu les choses difficiles pour beaucoup d’hommes. Ils étaient condamnés à de longues peines, et vivaient avec leurs seuls souvenirs.
Certains en ont eu alors assez. Ils ont décidé qu’ils n’allaient pas vivre leurs derniers jours en pourrissant sur cette île. Je ne pense pas que les gens comprennent vraiment ce que c’est que de vivre dans cet environnement pendant des années.
La plupart des gens peuvent survivre pendant des semaines ou des mois dans cet état, mais imaginez la tension mentale d’une personne qui vit cela pendant plusieurs années…
On nous disait quand nous pouvions manger… quand nous pouvions dormir… quand nous pouvions fumer… quand nous pouvions lire… quand nous pouvions chier… On pouvait choisir les livres qu’on lisait et c’était à peu près tout…
D’une manière ou d’une autre, certains de ces gars allaient goûter à nouveau à la liberté… Selon leurs propres conditions… Ils allaient goûter à la liberté au moins une dernière fois… Vous savez… Mort ou vivant… Ils se disent qu’ils sont morts de toute façon… Ils n’avaient rien à perdre… Même les gars qui ne réussissaient pas leur tentative d’évasion, ne perdaient rien au final… »
L’île d’Alcatraz dans les années 1870.
Des prisonniers militaires dans la prison d’Alcatraz.
Arrivée de nouveaux détenus à Alcatraz en 1934.
Photo d’identité judiciaire d’Al Capone à Alcatraz.
La liberté à tout prix
– S’évader.
C’est ce qui donnait de l’espoir à ces prisonniers.
Pour beaucoup, c’était un sujet de discussion récurrent. Les histoires et les légendes d’évasion passées n’avaient de cesse de circuler sur l’île.
– Attends une minute, t’en train de me dire que l’évasion de 62 n’était pas la première ?
– Eh bien, d’après les dossiers, il y aurait eu 14 tentatives d’évasion depuis que la prison était devenue un pénitencier fédéral.
Les évasions avaient même déjà commencé à l’époque de la prison militaire, avec plus de 35 tentatives.
Prisonniers militaires et fédéraux étaient alors confrontés aux mêmes difficultés, la plus notable étant la mer qui entourait l’île. Un véritable obstacle pour les fugitifs qui devaient lutter contre les grandes marées.
Ainsi, sur les 35 tentatives de l’époque militaire, 17 prisonniers se sont noyés…
– Et… qu’en est-il des 14 tentatives entre 1934 et 1962 ?
– C’est ce qu’on va voir à présent.
Grâce aux dossiers, on va pouvoir en savoir plus sur chacune d’entre elles. Il s’agit là d’éléments déterminants qui pourront sans doute nous permettre de résoudre l’affaire de 62.
Il n’est pas impossible que les frères Anglin et Frank Morris se soient inspirés de leurs prédécesseurs…
Alors, qu’est-ce qu’on a…
Ah, voici la première tentative d’évasion : tentative commise le 27 avril 1936 par le détenu Joseph Bowers, matricule AZ-210.
Bowers est arrivé à Alcatraz en septembre 1934, avec une peine de 25 ans à purger, suite à un cambriolage raté.
Il faisait partie des premiers groupes de détenus à arriver sur le Rocher.
Le médecin en chef de la prison nous en dit plus sur son cas dans un rapport, peu après son arrivée :
« Bowers est un homme avec une intelligence très limitée. Il représente un véritable défi en matière de détention, nécessitant probablement l’application de mesures strictes ».
Un autre rapport du docteur suggère que Bowers souffrait d’une maladie mentale. Il était d’ailleurs considéré comme fou et désespéré par les autres détenus.
La règle du silence instaurée dans les premières années, ajoutée à la routine implacable de la prison ont lourdement pesé sur lui, ce qui n’a pas aidé à améliorer son état mental…
Un jour, il a refusé de travailler à la blanchisserie où il était assigné. Résultat : il a été confiné dans une cellule de 1,80 m sur 1,80 m pendant trois mois, autorisé à ne sortir que pour prendre ses repas, trois fois par jour, et une seule fois par semaine pour prendre une douche.
Tous ses autres privilèges lui avaient été retirés, y compris la lecture.
Bowers tentera de mettre fin à ses jours en essayant de se trancher la gorge avec une paire de lunettes cassée. Apparemment, il pensait que d’autres détenus complotaient contre lui. Il disait qu’il pouvait les entendre parler la nuit.
Il aurait alors demandé à de multiples reprises à être admis à l’hôpital pour se « protéger », mais une fois admis là-bas, il demandait à être libéré dès que possible à chaque fois.
Le psychiatre consultant de la prison se méfiait de l’état de santé mentale de Bowers. Dans une note d’information, il écrit :
« Plus j’écoutais Bowers, moins je croyais en lui. Cela fait maintenant des mois qu’il est surveillé et aucunes crises d’épilepsie ont été constatées, bien qu’il insiste sur le fait qu’il en a.
Les récentes tentatives pour mettre fin à ses jours ont été planifiées de manière théâtrale et n’ont entraîné que très peu de dommages.
S’il avait été déterminé à le faire, il aurait eu de bonnes occasions de réussir. C’est pourquoi je pense que les tentatives infructueuses avaient pour but de gagner une opinion favorable à son égard.
Bowers, bien qu’il soit un individu anormal, n’est pas vraiment fou à mon avis et fait semblant d’avoir des troubles mentaux dans un certain but. »
Son état mental a cependant continué à se dégrader.
Un jour de juin 1935, alors qu’il devait aller travailler à la blanchisserie, il s’est mis à crier :
« Mettez-moi au cachot… je ne veux pas aller travailler ! »
Il a été par la suite sévèrement puni, placé à l’isolement, puis soumis à un régime alimentaire restrictif.
Plus tard, il a été envoyé pour travailler à l’incinérateur de l’île, situé à l’ouest du Rocher ; un travail banal, mais pénible.
Bowers semblait s’accommoder de ce nouveau boulot, jusqu’à ce jour du 27 avril 1936.
Ce jour-là, contre toute attente, Joe Bowers tente de s’évader !
Erville Chandlers, gardien de prison, se rappelle bien la scène :
« Alors que j’étais de service dans la tour de garde aux alentours de 11 heures, j’ai soudain aperçu le détenu Joseph Bowers au sommet de la clôture grillagée, essayant de la franchir. Je lui ai crié plusieurs fois de descendre, mais il a ignoré mon avertissement et a continué. J’ai tiré deux coups de feu à ras de terre et j’ai attendu quelques secondes pour voir le résultat. Il a alors commencé à descendre du côté gauche de la clôture et j’ai tiré une fois de plus, en visant ses jambes.
Bowers s’accrochait dessus avec ses mains, mais ses pieds étaient dirigés vers le bas, vers le rebord en ciment. Après mon troisième coup de feu, j’ai appelé l’armurerie et j’ai signalé l’incident. À mon retour, j’ai constaté que le corps avait chuté dans la baie ».
La chute du haut de la falaise s’avérera fatale pour Bowers.
Mais… pour certains, comme Roy Gardner, célèbre braqueur de banques de l’époque, ce jour-là, Bowers n’a pas tenté de s’évader. Également témoin de la scène, il se souvient :
« Il a été rapporté que Bowers avait tenté de « s’échapper » mais ce n’est pas vrai. J’ai vu le deuxième coup de feu, celui qui l’a fait tomber de la clôture, mort, sur les rochers à 15 mètres en contrebas. […]
Joe a été envoyé travailler à l’incinérateur, seul.
Il y travaillait lorsqu’un camion à ordures a déversé des papiers et que le vent en a fait tomber quelques-uns par-dessus la clôture. Bowers avait reçu l’ordre de garder l’endroit propre et a tenté de grimper sur la clôture pour ramasser les détritus. Le gardien de la tour surplombant l’incinérateur a alors ordonné à Bowers de descendre de la clôture. Bowers a protesté en disant qu’il devait ramasser les papiers et c’est là que le gardien lui a tiré dessus à deux reprises. La vérité est que Bowers n’a pas tenté de s’échapper ».
Avis partagé par un autre témoin, M. Archer, un jeune officier de garde :
« Vers 10 h 50 ce jour-là dans ma tour, j’ai entendu deux coups de feu. En courant vers la porte, j’ai vu le prisonnier, Joseph Bowers, debout sur le rebord à l’extérieur de la clôture près de l’incinérateur.
Chandler se tenait à l’extérieur dans la tour d’en face, fusil à la main. Pendant que je regardais, Bowers a alors commencé à escalader la clôture, essayant apparemment de retourner à l’intérieur de la cour. Il réussit à passer un bras et une jambe par-dessus les fils barbelés lorsqu’un troisième coup de feu retentit. Son corps s’est figé quelques instants avant de basculer en arrière, disparaissant de ma vue par-dessus la falaise. »
– Hmm, alors a-t-il tout simplement bien voulu faire son travail, ou bien a-t-il été assez fou pour tenter l’impossible ?
– On ne le saura probablement jamais.
Quoi qu’il en soit, il s’agissait de la première tentative d’évasion d’Alcatraz, et elle a envoyé un message clair aux prisonniers : les gardiens n’hésiteraient pas à tuer tous ceux qui tenteraient de franchir les clôtures de la prison. Les frères Anglin et Frank Morris étaient prévenus…
La deuxième tentative d’évasion s’est déroulée le 16 décembre 1937.
Theodore Cole, dit « Ted » et Ralph Roe sont les protagonistes de cette évasion.
Il s’agit de deux braqueurs de banques transférés à Alcatraz en même temps. Les 2 se connaissaient déjà, ils s’étaient rencontrés dans un pénitencier avant Alcatraz.
Ted et Ralph avaient alors une forte tendance à l’évasion et, sur le Rocher, ils étaient considérés comme les pires des pires.
Le dossier de Ted Cole le décrit comme un « abruti, vicieux et tueur », doté en plus d’un « calme inhabituel ». Son dossier est rempli d’actes de violence et de crimes passibles de la peine de mort.
Il est dit que Ted est un criminel vicieux qui commet des vols, des enlèvements et d’autres crimes qui dépassent les frontières de l’État.
Quant à Ralph, ce n’était pas un enfant de chœur non plus… Son dossier est truffé de mentions de braquages de banques s’étalant sur plus d’une décennie.
Il avait été transféré à Alcatraz à cause de ses nombreuses tentatives d’évasion.
Sur le Rocher, il était alors une menace constante, comme l’indique ce rapport :
« Ce prisonnier fait constamment du bruit, sème la discorde parmi les autres prisonniers en essayant de les empêcher de se rendre au travail et en utilisant les mots les plus grossiers à l’encontre des agents pénitentiaires […]. Il a été placé à l’isolement dans le bloc A parce qu’il agitait constamment les détenus du bloc D et qu’il défiait les gardiens en les provoquant au combat. »
Ted Cole et Ralph Roe étaient donc de nouveau réunis, cette fois-ci dans la prison la plus sécurisée du pays. Une prison dans laquelle ils n’ont pas l’intention de rester très longtemps, puisque l’idée d’une potentielle évasion ne tarde pas à germer…
C’est dans les anciens bâtiments industriels de la prison, situés à l’extrême nord de l’île, qu’ils vont trouver la faille.
Ted et Ralph sont en effet affectés à un atelier de réparation de pneus situé dans un bâtiment qui avait échappé aux rénovations de sécurité. Les barreaux qui couvraient les fenêtres étaient en fer doux d’origine, laissés par l’armée à l’époque, Ted et Ralph se sont donc dit qu’ils allaient exploiter cette faille.
Pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois, ils capitalisent alors sur cette brèche en sciant discrètement et à tour de rôle les barreaux d’une fenêtre à l’arrière du bâtiment. Ils utilisent des lames de scie à métaux préalablement volées, et cachent leur travail grâce à un mélange de graisse et de cirage.
Le jour de l’évasion, le temps est particulièrement brumeux, ce qui constituera leur plus grand avantage.
En effet, en ce matin du 16 décembre 1937, une épaisse couche de brouillard recouvre l’île.
La visibilité des gardiens, postés sur les tours de contrôle, est donc très mauvaise, ce qui représente le moment idéal pour une évasion. Ted et Ralph sautent aussitôt sur l’occasion.
Tout débute lors du comptage de routine de 13 h.
Ted et Ralph sont présents avec les autres détenus dans l’atelier, quand arrive le comptage suivant, celui de 13 h 30. Le gardien vérifie une nouvelle fois que tout le monde est présent et là, surprise : plus de Ted ni de Ralph à l’appel.
Alvin Karpis, un autre célèbre braqueur de banques incarcéré sur l’île, était présent ce jour-là. Il se souvient :
« Ralph et Ted sont sortis par la fenêtre de l’étage du dessous… en vêtements de travail et pieds nus… Ralph Roe essaie d’arracher le cadenas de la clôture, mais il est à bout de nerfs. Ted Cole lui prend la clé et ouvre calmement le cadenas.
Les deux hommes se dirigent ensuite vers le bord de l’eau. L’accès est difficile car des pneus en caoutchouc entourent les rives du rocher. Ralph et Ted avancent prudemment au-delà des barbelés, mais alors qu’ils atteignent l’eau, ils sont pris par le courant et emportés rapidement en direction du Golden Gate Bridge… C’est à ce moment-là que j’ai murmuré à l’attention des autres détenus : « Ils sont partis… »
– Ils sont vraiment partis ? Enfin, j’veux dire : ils ont vraiment réussi leur coup ?
– Eh bien, quelques minutes après le comptage de 13 h 30, l’alerte sera lancée.
Les autorités pénitentiaires partent immédiatement à leur recherche, mais rien. Aucune trace de Ted Cole et de Ralph Roe.
Le directeur adjoint de la prison écrira dans un rapport :
« Nous avons procédé à une fouille complète de la zone sans trouver d’autres indices ou signes des fugitifs, pas d’empreintes de pas ni de vêtements. Nous avons passé l’île au peigne fin, pénétré dans toutes les résidences et inspecté tous les coins et recoins. Les bateaux des garde-côtes américains ont également été informés de l’évasion, et toutes les eaux environnantes de l’île ont été minutieusement patrouillées.
Il y avait un courant exceptionnellement fort à proximité de l’île à ce moment-là, causé par une marée extrêmement haute. »
– Morts noyés alors…
– C’est ce que penseront les autorités.
Un avis partagé par l’ingénieur municipal adjoint de San Francisco, qui dira dans le journal local :
« Le jour où Roe et Cole ont pris la fuite a été l’un des jours où les marées ont été exceptionnellement fortes… […] Un bon nageur partant d’Alcatraz se serait retrouvé à traverser le Golden Gate dans le brouillard avant d’avoir dépensé suffisamment d’énergie pour atteindre le rivage en eau calme. Les petites embarcations n’auraient pas pu résister au courant. ».
Comme l’affaire de 62, les enquêteurs perdent leurs traces à leur entrée dans l’eau.
Malgré les recherches approfondies sur l’île et le long des côtes, rien de concluant.
C’est à se demander si le duo a finalement réussi à survivre.
La théorie de la réussite commence alors à émerger. Certains journaux publient des articles disant que les deux hommes auraient apparemment été vus dans des bars, ou encore qu’ils auraient commis des vols après leur évasion.
Un ancien détenu d’Alcatraz dira de plus à un enquêteur qu’il était certain qu’ils avaient réussi leur coup.
L’espoir d’un possible succès a ainsi commencé à gagner la population carcérale de l’île.
Alvin Karpis n’était lui pas aussi optimiste… Il se souvient :
« Alors que nous restions à la fenêtre à regarder, Ralph et Ted ont pris de la vitesse. Ils venaient juste de passer la bouée qui se tordait sur le côté à cause du fort courant quand, à moins de 500 mètres du rivage, Ralph a disparu comme si quelqu’un l’avait attrapé sous l’eau. »
– Une affaire bien étrange.
– Tu l’as dit. L’affaire est d’ailleurs toujours non élucidée à ce jour.
Les responsables de la prison ont conclu l’affaire en s’appuyant sur la thèse de la noyade, mais… certains éléments nous indiquent le contraire.
Eh oui, parce qu’on a aussi deux auto-stoppeurs qui ont affirmé avoir vu les fugitifs, et ce quelque temps après l’évasion. Ils les ont parfaitement identifiés auprès des policiers comme étant Cole et Roe, grâce à des photos.
Quant aux vols commis après l’évasion, la plupart des victimes ont également identifié Ralph Roe et Ted Cole comme étant les responsables.
Mais l’élément le plus intrigant reste sans doute cet article datant d’avril 1941, soit quelques années après leur mystérieuse disparition.
Un journaliste du San Francisco Chronicle affirmera en effet dans un article que Ted et Ralph auraient réussi à gagner l’Amérique du Sud.
Il écrira, sans donner de sources :
« Ils vivent actuellement en Amérique du Sud et ont résidé pendant un certain temps au Pérou et au Chili. Seuls prisonniers à avoir réussi à s’évader du « Rocher », ils ont échappé à toutes les forces de l’ordre engagées dans l’une des plus grandes chasses à l’homme de l’histoire.
Tout ce que Roe et Cole avaient à faire, c’était de s’accrocher aux sangles des bidons, un de chaque côté du radeau ballotté. Dans l’un d’entre eux se trouvaient des vêtements civils avec lesquels les deux fugitifs ont pris la fuite vers le nord par la Redwood Highway. Bien qu’ils aient prévu de retrouver un complice en voiture dans le comté de Marin, ils ont finalement poursuivi leur chemin seuls. Aujourd’hui, ces fugitifs notoires seraient en possession d’une somme d’argent conséquente et mèneraient une vie confortable depuis leurs refuges en Amérique du Sud. »
Finalement, peu importe le dénouement de cette histoire, l’évasion de Ted et Ralph a redonné espoir aux prisonniers d’Alcatraz. S’échapper du Rocher était apparemment possible…
Des détenus d’Alcatraz en train de manger leur repas dans la cafétéria.
Le détenu Joseph Bowers à Alcatraz.
Violences sur le Rocher
– L’évasion de Ted et Ralph a dès lors fait renaître l’espoir dans la population carcérale. C’était le sujet qui revenait le plus dans les conversations des détenus, qui commençaient déjà à élaborer des stratégies de sortie.
Pendant ce temps, les autorités pénitentiaires ont tenté de rassurer le public, suite à l’agitation que l’affaire avait provoquée. L’idée était de mettre en place des améliorations visant à diminuer les risques d’évasion, notamment dans l’ancien bâtiment industriel d’où Ted et Ralph s’étaient échappés. C’était un bâtiment vétuste qui n’était pas complètement sécurisé, et le fait qu’il soit situé à l’extrémité de l’île, proche de la mer, constituait toujours un sérieux risque d’évasion.
Les améliorations en termes de sécurité ayant tardé, d’autres détenus ont eu le temps de tenter leur chance, eux aussi.
C’est le cas de James Lucas, Rufus Franklin et Thomas Limerick, tous les trois condamnés à de lourdes peines pour braquages de banques.
Ça se passe le 23 mai 1938, dans ce qui sera l’une des tentatives d’évasion les plus violentes.
Ce jour-là, Lucas, Franklin et Limerick travaillent dans l’atelier de menuiserie du bâtiment et se disent qu’ils vont jouer sur l’effet de surprise pour retrouver leur liberté.
Ils étudient parfaitement la ronde des gardiens qui les surveillent et remarquent qu’il y en a un posté au dernier étage du bâtiment où ils travaillent, ainsi que deux autres sur le toit. Celui qui est à leur niveau n’est pas armé, ils avaient intérêt à faire gaffe à ceux qui étaient sur le toit.
Peu importe, ils sont déterminés à tenter le coup, quitte à utiliser la violence…
La tentative d’évasion commence lorsque Franklin tue le gardien situé à leur étage à coups de marteau.
L’agent mort, la voie est désormais libre pour accéder au toit.
Les trois prisonniers s’y rendent, espérant pouvoir éliminer les deux gardiens restants.
Mais en arrivant sur place, ils ne font pas long feu.
Limerick est immédiatement abattu. Franklin lui est blessé par balle, quant à Lucas il réussit à se cacher.
Leur tentative échouera donc lamentablement. Lucas et Franklin seront plus tard appréhendés par les officiers et seront tous les deux condamnés à la réclusion à perpétuité suite au meurtre du gardien.
– Il fallait vraiment être désespéré pour tenter un coup pareil.
– Tous l’étaient à Alcatraz… C’est précisément ce désespoir qui amenait certains à tenter le tout pour le tout, même si, à l’arrivée, la mort les attendait…
13 janvier 1939, c’est la date de la 4e tentative d’évasion d’Alcatraz.
– Quels sont les protagonistes, cette fois-ci ?
– Arthur « Doc » Barker, Dale Stamphill, William Martin, Henry Young et Rufus McCain. Des braqueurs de banques, pour ne pas changer.
– Décidément, Alcatraz était rempli de ce type de malfrats.
– Ces gars-là représentaient près de la moitié de la population carcérale de l’île.
Les braqueurs de banques étaient en effet ceux qui avaient le plus tendance à s’évader. C’étaient des professionnels de l’évasion, et leur venue à Alcatraz était lié à cela.
Ces types étaient à l’origine des casses les plus spectaculaires et complexes de leur époque ; ils étaient intelligents, méticuleux, déterminés et avaient l’habitude de préparer des plans élaborés pour arriver à leurs fins.
À Alcatraz, ils ont donc continué à faire ce qu’ils faisaient de mieux, et ont commencé à étudier chaque recoin de la prison, recherchant la moindre faille pour l’utiliser à leur avantage.
– Hm, je comprends mieux.
– Pour revenir donc à cette 4e tentative d’évasion.
Il semble que Doc Barker était le leader de ce groupe d’évadés.
Il avait été associé avec Alvin Karpis dans le gang Barker-Karpis dans les années 30. Les deux compères avaient été envoyés à Alcatraz pour purger une peine de prison à vie.
Doc Barker aurait apparemment songé à s’évader dès son arrivée sur le Rocher.
Henry Young, l’un des participants à l’évasion, le décrivait comme quelqu’un de déterminé :
« Barker était l’un des hommes les plus dangereux d’Amérique. Je savais qu’il était déterminé et impitoyable, et qu’une fois qu’il avait commencé quelque chose, rien ne pouvait l’arrêter, sauf la mort. Si je devais m’évader d’Alcatraz, ce serait sans aucun doute avec lui ».
Barker travaillait dans le même atelier de réparation que Ted Cole et Ralph Roe. Il les aurait même aidés lors de leur tentative d’évasion, en leur procurant notamment des outils essentiels pour scier les barreaux des fenêtres.
Il savait qu’un jour, ce serait son tour, il a donc réfléchi et s’est dit que le meilleur moyen de sortir de son trou serait d’exploiter une des failles de la prison, comme l’avait fait Ted et Ralph à l’époque.
Ça tombait bien, il y en avait une dans la section de la prison où il était incarcéré : le bloc D, une structure qui datait encore de l’époque militaire.
Le bloc D abritait les détenus les plus dangereux, ceux qui refusaient de se conformer aux règles et qui étaient considérés comme « problématiques ».
Confiné là-bas, Doc Barker a alors vu une faiblesse à exploiter : les barreaux des cellules n’avaient pas été mis à niveau depuis la création de la structure originale de la prison en 1912. Les barreaux étant faits de fer doux, il a été facile de les scier avec de simples outils.
Barker s’est donc dit que c’était la faille à exploiter.
Évidemment, il ne pouvait pas réaliser le coup à lui seul. C’est pourquoi, il recrute Dale Stamphill, un détenu qui purgeait une peine de prison à vie pour vol à main armée et enlèvement (c’est lui qui permettra à la bande d’obtenir les outils de contrebande pour scier les barreaux). Henry Young, Rufus McCain et William Martin sont ensuite venus compléter le groupe.
Et c’est dans la nuit du 13 janvier 1939 que les détenus décident de mettre leur plan à exécution.
Grâce au travail de sciage effectué auparavant et à la dissimulation de ce dernier avec du mastic de fortune, ils réussissent à sortir de leur cellule en se faufilant à travers les barreaux.
Ensuite, le groupe réussit à atteindre l’extérieur. Ils escaladent les hauts murs de la prison, puis se dirigent vers la plage. La nuit étant brumeuse, il est difficile pour les gardiens de les apercevoir. Barker et ses complices tentent alors de trouver ce qu’ils peuvent sur la plage pour construire un radeau de fortune, quand tout à coup, l’alarme de la prison se déclenche ! Un gardien du bloc D venait en effet de remarquer les barreaux de cellule sciés.
Le groupe d’évadés s’empresse de terminer la fabrication du radeau, mais il est déjà trop tard. Les gardiens ont déjà commencé à ratisser l’île à leur recherche.
C’est là qu’un gardien, posté dans une tour de contrôle, les repère. Il leur ordonne de se rendre, mais les prisonniers l’ignorent. Le gardien ouvre alors le feu.
Ils seront tous capturés.
Le bilan est de un mort : celle de Doc Barker en l’occurrence.
Il mourra quelque temps après sur son lit d’hôpital à cause de ses blessures trop importantes.
Ses derniers mots ont alors été :
« Je suis complètement fou, je n’aurais jamais dû tenter le coup… »
– Ça en fait tout de même, des failles, pour une prison qui se veut la plus sécurisée du pays.
– Les responsables de la prison étaient pourtant conscients du problème. Ils savaient qu’il fallait améliorer la sécurité de certains bâtiments.
Précisément l’ancien bâtiment des industries, là où la plupart des tentatives d’évasion s’étaient produites jusqu’à présent.
Il fallait agir et ils l’ont fait, en abandonnant d’ailleurs l’ancien bâtiment pour un nouveau, construit en 1941. Un bâtiment plus sûr et plus sécurisé, notamment pour les gardiens.
Puis il y a eu le réaménagement du bloc D, avec un changement opéré sur les barreaux des cellules, faits cette fois-ci dans un matériau plus solide.
– Mais j’imagine que ça n’a pas suffi, étant donné que les tentatives d’évasion ne se sont pas arrêtées là.
– Effectivement. La suivante survient le 14 avril 1943.
James Boarman, Harold Brest, Floyd Hamilton et Fred Hunter, tous les quatre incarcérés à Alcatraz pour braquages de banques et kidnapping, tentent l’impossible à leur tour.
Et tu ne vas pas le croire, mais la tentative d’évasion viendra une nouvelle fois de l’ancien bâtiment des industries.
– Encore ?! Mais je croyais qu’il avait été abandonné ?
– Eh bien… Pas entièrement. Le niveau inférieur du bâtiment servait encore d’ateliers pour les détenus. Boarman, Brest, Hamilton et Hunter travaillaient là-bas, et en ont alors profité pour se faire la malle…
Ça a commencé par la prise d’otage de deux gardiens.
Le premier est rapidement maîtrisé par les prisonniers : ils le plaquent au sol et le menacent avec une espèce de couteau de fortune pour le dissuader de donner l’alerte.
D’après le gardien, les individus semblaient particulièrement déterminés, prêts à tout pour s’échapper de l’île, quitte à tuer.
« Taisez-vous ! » grogne Hunter, qui tient la lame du couteau sur le cou du gardien.
« Écoutez, vous ne pouvez pas gagner. Vous n’avez aucune chance de vous en sortir. Servez-vous de vos têtes, messieurs »
Une fois le premier gardien maîtrisé et ligoté, les quatre détenus s’occupent du deuxième.
Ce dernier remarque alors que quelque chose de louche se trame. L’atelier est plus calme que d’habitude. Il pénètre donc à l’intérieur pour une inspection, puis veut sortir pour donner l’alerte ! Et c’est là que les prisonniers attaquent ! Ancien officier de la Marine, le gardien se débat violemment et ne se laisse pas faire, mais il finit lui aussi par être ligoté.
Le groupe de fugitifs ne perd plus de temps. Ils s’enfuient tous par une des fenêtres du bâtiment, escaladent la clôture de la prison et, une fois sur la plage, se mettent à l’eau. Boarman, Brest et Hamilton s’éloignent petit à petit de l’île à la nage en direction de San Francisco. Hunter, blessé en tombant de la clôture, se retire lui dans une petite grotte pour se mettre à l’abri. Quand tout à coup, l’alarme retentit !
Un gardien posté dans une tour de contrôle aperçoit alors plusieurs silhouettes dans l’eau qui tentent de quitter l’île à la nage. Il tire avec son Springfield et réussit à en toucher un ! C’est Boarman. Touché à la tête, son corps s’enfoncera dans les profondeurs et ne sera plus jamais retrouvé…
Brest, qui était à ses côtés, est appréhendé par les autorités. Même chose pour Hunter, qui est récupéré par un bateau du pénitencier. Quant à Hamilton, il est présumé noyé ; les autorités le cherchent longtemps, mais ne réussissent pas à le trouver. En fait, Hamilton a fait demi-tour lorsqu’il a entendu les balles siffler au-dessus de sa tête. Il s’est alors dirigé vers la grotte où Hunter s’est caché.
Hamilton restera là-bas deux jours avant d’abandonner et de retourner dans un atelier de l’ancien bâtiment des industries. Comble de l’ironie : c’est un des gardiens qu’il avait pris en otage quelques jours plus tôt qui le retrouve recroquevillé, affaibli par la faim…
– Pauvre Hamilton, si proche du but.
– Encore une autre tentative.
Celle-ci est l’œuvre de John Giles, matricule AZ-250, condamné à perpétuité pour meurtre.
Giles occupait un emploi au quai de chargement, un endroit où était déchargé le linge de l’armée pour y être nettoyé. Profitant de sa situation, il vole un uniforme entier de l’armée, pièce par pièce, qu’il utilisera pour tenter de quitter l’île incognito.
La tentative se déroule le 31 juillet 1945.
Giles, vêtu de son uniforme, monte tranquillement à bord d’une vedette dans laquelle se trouvent plusieurs militaires. À ce moment-là, Giles pense rejoindre San Francisco, mais il n’en est rien, le bateau part en fait en direction d’Angel Island, une île située non loin d’Alcatraz. L’alerte de sa disparition ayant déjà été donnée, un bateau réussit à rattraper la vedette dans laquelle se trouve le prisonnier. Il est appréhendé et renvoyé dans sa cellule.
– Pour le coup, celle-ci était très… ingénieuse. Ce Giles a dû s’en mordre les doigts.
– Tiens, encore une autre, et là… c’est du sérieux.
La tentative se passe au début du mois de mai 1946.
Son nom : la « bataille d’Alcatraz ».
– « Bataille d’Alcatraz » ? Ça commence à être sérieux cette histoire. Qu’est-ce qu’on a dessus ?
– Eh bien, il s’agit là de la tentative d’évasion la plus violente et la plus sanglante jamais vue sur le Rocher.
Le plan de l’évasion est échafaudé par Bernard Coy, un braqueur de banques du Kentucky, connu pour ses multiples tentatives d’évasion.
Sur l’île, Coy occupe un poste dans le bloc cellulaire principal de la prison, ce qui lui permet d’avoir une certaine liberté de mouvement. Un jour, il décèle alors une faille dans la salle des armes qui surplombe le bâtiment cellulaire. Il s’aperçoit en effet que les barreaux qui la protègent peuvent être élargis à l’aide d’un outil d’écartement. Pour Coy, l’idée est donc de s’introduire dans l’armurerie, de voler des armes, de prendre les gardiens en otage et enfin… de se tirer de la prison…
Pour réaliser ce coup, Coy n’est alors pas seul. Il est accompagné par cinq autres individus : Joseph Cretzer, Marvin Hubbard, Sam Shockley, Miran Thompson et Clarence Carnes. Tous condamnés pour avoir volé quelque chose au cours de leur vie. Mention spéciale à ce Clarence Carnes, le plus jeune détenu de la prison à ce moment-là. Ce condamné à vie était figure-toi âgé de 18 ans seulement lorsqu’il a participé à cette évasion.
Tout commence le 2 mai 1946, lorsque Bernard Coy et Marvin Hubbard attaquent un gardien dans le bloc principal. Ils réussissent à le maîtriser, puis font sortir Joseph Cretzer et Clarence Carnes de leur cellule. Coy va alors à la salle des armes. Il écarte les barreaux grâce à un outil fourni par ses complices et se faufile à l’intérieur (dis toi que Coy s’est privé de nourriture pendant une période assez longue pour pouvoir passer entre ces barreaux).
–Ces types étaient vraiment déterminés…
Le voilà maintenant dans l’armurerie. Il attend que le gardien revienne, puis le maîtrise. Une fois que c’est fait, il distribue des armes à ses acolytes : fusils, pistolets, grenades… Bref tout un arsenal.
Le groupe se dirige ensuite vers le bloc D, où ils libèrent une douzaine de détenus, dont Sam Shockley et Miran Thompson, qui complètent l’équipe.
À ce moment-là, leur but est de trouver une clé qui leur permettrait de pénétrer dans la cour de la prison et accéder au quai de l’île, pour pouvoir ensuite s’enfuir à bord d’un bateau de la prison.
Ils cherchent la clé, mais ne la trouvent pas. En fait, c’est l’un des gardiens pris en otage qui l’a sur lui. Les détenus cherchent partout, sauf au bon endroit. Après de longues minutes de fouille, ils arrivent enfin à mettre la main dessus. Ils essaient d’ouvrir la porte, sauf que… pas de chance, la serrure se grippe ! Il faut dire qu’avant de trouver la bonne clé, les prisonniers en avaient essayé plusieurs autres, ce qui a eu pour effet de bloquer le mécanisme par mesure de sécurité.
– Hm, piégés donc.
– Ouais, piégés, mais pas encore décidés à lâcher les armes. Ils étaient trop déterminés pour arrêter de sitôt. Coy et ses complices se sont dit qu’ils allaient se battre, jusqu’à la fin.
S’ensuit donc une fusillade entre les détenus et les gardiens du bloc cellulaire principal. Une bataille qui durera deux jours et qui nécessitera l’aide de la Marine pour neutraliser les récalcitrants, notamment pour sauver les gardiens, toujours retenus en otage. Obus, grenades, c’était la guerre à Alcatraz.
Dans les dernières heures, n’ayant plus aucun endroit où se protéger des tirs incessants, Cretzer, Coy et Hubbard se réfugient alors dans le couloir de service du bloc C. Ils sont les derniers à continuer à se battre, Shockley, Thompson et Carnes ayant décidé de retourner dans leur cellule. Ce jour-là, seule la mort aurait pu les arrêter. Carnes se rappelle :
« Quand ils ont décidé de mourir, j’étais là… C’était sur les dernières marches du bloc C, et ils en parlaient comme d’une conversation ordinaire. Je ne savais pas à quoi m’attendre, mais l’idée qu’ils abordent la mort avec une telle désinvolture était pour moi inimaginable. Coy a alors dit : « Ils ne m’attraperont pas ». Hubbard a ensuite renchéri : « Ils ne m’attraperont pas non plus ». Quand Cretzer a finalement conclu : « Dans ce cas, il vaudrait mieux qu’on garde quelques balles de côté pour nous… » »
Au total, deux gardiens pris en otages périront dans la « bataille d’Alcatraz ». Quatorze autres seront blessés.
Shockley et Thompson seront eux condamnés à la peine de mort et exécutés dans la chambre à gaz de San Quentin.
Quant à Clarence Carnes, il sera condamné une seconde fois à la prison à vie…
Carnes jouera d’ailleurs un rôle important dans l’évasion de 62.
Une évasion dont je crois qu’il est temps de parler…
Theodore Cole et Ralph pris en photo au pénitencier d’Alcatraz.
Fenêtre par où Ted Cole et Ralph Roe se sont évadés en 1937.
James Lucas, Rufus Franklin et Thomas Limerick à Alcatraz.
Arthur « Doc » Barker dans la prison d’Alcatraz.
Photo d’identité judiciaire de Floyd Hamilton prise avant son arrivée à sur le Rocher.
John Giles dans son uniforme de militaire après sa tentative d’évasion d’Alcatraz.
Clarence Carnes à Alcatraz.
Image prise durant la bataille d’Alcatraz en 1946.
Les Évadés
– On a donc trois détenus qui disparaissent dans la nuit du 11 juin 1962 : John et Clarence Anglin, et Frank Morris.
Commençons par les frères Anglin.
Ces deux frères issus d’une famille de 14 enfants, John étant plus âgé que Clarence d’un an.
Ils ont aussi un grand frère : Alfred. Avec lui, ils forment un trio uni et partagent tous un certain côté aventureux.
Originaires de l’État de Géorgie, les Anglin s’installeront plus tard en Floride.
John et Clarence Anglin font partie d’une famille agricole modeste. Ce n’est donc pas facile tous les jours, mais les Anglin restent soudés, même dans la difficulté.
Les frères aident leurs parents en travaillant dans les champs et, une fois leur journée de travail terminée, ils aiment aller se baigner dans le lac, à proximité. C’est l’un de leurs endroits favoris. Ils adorent nager et sont particulièrement agiles dans l’eau. John aurait même remporté un concours de natation durant sa jeunesse, en traversant un lac de 650 m à la nage en un temps record.
Ils leur arrivent aussi parfois de se mettre à l’eau par des températures inférieures à zéro, pour se défier les uns les autres et savoir qui résisterait le plus longtemps à l’eau glaciale.
– Attends. Ces types étaient entraînés avant l’heure ou c’est moi ?
– Ce qui est sûr, c’est qu’ils étaient à l’aise dans l’eau.
Autrement, l’école devient de plus en plus difficile pour les deux frères, et ce, malgré leurs bonnes notes. Étant nouveaux dans la région, ils sont constamment harcelés par leurs camarades. Une de leurs sœurs nous en dit plus à ce sujet :
« Ils détestaient l’école parce qu’on se moquait toujours d’eux à cause de leurs vêtements. Aucun d’entre nous n’avait de beaux vêtements et les garçons avaient particulièrement honte. Ma mère devait souvent raccommoder leurs pantalons usés et ils en étaient arrivés à un point où ils étaient trop gênés pour être vus avec. Ce n’étaient que des adolescents et en avaient assez de se faire railler tous les jours. Je pense qu’ils ont décidé que c’en était assez… Ils ont alors commencé à sécher l’école et à nager toute la journée pour ne rentrer que le soir.
C’est à cette époque qu’ils ont commencé à voler et à s’attirer des ennuis. C’était vraiment difficile pour eux d’être constamment tourmentés par les autres enfants à cet âge. Mes parents ont fait de leur mieux, mais les temps étaient durs à l’époque… Ils les aimaient vraiment et leur ont donné le meilleur de ce qu’ils pouvaient, mais cela n’a pas suffi. »
John et Clarence ont effectivement commencé à faire l’école buissonnière et, petit à petit, ils empruntent la voie de la délinquance, en s’initiant notamment à l’art du vol et du cambriolage.
Dès lors, les frères Anglin s’enfoncent dans une vie de criminalité, jusqu’à commettre ce vol qui changera définitivement le cours de leur destin.
C’est un braquage de banque qui se passe en 1958, dans la ville de Columbia en Alabama.
John, Clarence et Alfred décident de réaliser un casse important pour se faire un maximum d’argent dans le but de prendre un nouveau départ.
Ils attaquent alors la banque et repartent avec un joli pactole pour l’époque : plus de 18 000 $.
Ils s’enfuient, et à partir de là, c’est la cavale pour les trois frères. Ils essaient tant bien que mal de passer sous les radars des autorités, mais finissent par se faire prendre quelque temps plus tard en Ohio.
Alfred, John et Clarence sont jugés, assumant l’entière responsabilité de leurs crimes et plaidant coupables pour tous les chefs d’accusation. Résultat : ils sont tous condamnés à une peine de 35 ans de prison et sont envoyés au pénitencier d’Atlanta.
Là-bas, ils seront séparés à cause de leur propension à l’évasion.
Alfred Anglin, qui restera lui à Atlanta, notifiera cette séparation à sa mère dans une lettre :
« Chère Maman,
Je t’envoie ces quelques mots pour te saluer. J’espère que cette lettre te trouvera, ainsi que toute la famille.
De notre côté, tout va bien. Je tenais à t’informer que John et Clarence vont être transférés dans des établissements différents. Clarence va à Leavenworth, au Kansas, tandis que John prend la direction de Lewisburg, en Pennsylvanie. Leur départ est prévu pour aujourd’hui. »
À Lewisburg, John ne perd alors pas de temps pour élaborer un plan d’évasion, plan qui capotera après que des agents pénitentiaires découvrent le projet.
Il est donc transféré dans un établissement plus sûr, à Leavenworth, là où son frère Clarence est incarcéré.
Les deux frères se retrouvent par conséquent après deux ans de séparation.
On rapporte qu’ils tentent là-bas de s’évader à plusieurs reprises. Compte tenu de leur longue peine et du risque important d’évasion, John et Clarence Anglin sont alors envoyés à Alcatraz, John dans un premier temps, en octobre 1960, puis son petit frère, trois mois plus tard.
Sur le Rocher, John peut alors compter sur les précieux conseils d’un ancien détenu avec qui il sympathise, James « Whitey » Bulger, un ancien braqueur de banques qui purgeait une peine de 20 ans pour une série de vols à main armée. Il a gagné son billet pour Alcatraz suite à une évasion ratée au pénitencier d’Atlanta.
Grâce à Whitey donc, John prend connaissance des règles essentielles pour survivre sur l’île avant que son frère n’arrive.
Et lorsque Clarence débarque, ce dernier écrit cette lettre à sa mère :
« J’ai pensé que je devais t’écrire pour te dire que j’ai été transféré ici, à Alcatraz. J’ai vu John et il va bien. Quant à moi, je m’adapte assez bien. Je n’ai pas encore été affecté à un travail, mais il n’y a pas lieu de s’inquiéter. Je me débrouillerai bien ici. »
À ce moment-là, la cellule de Clarence est située non loin d’un autre détenu, qui va nous intéresser tout autant que les 2 frères.
– Frank Lee Morris.
– Exactement.
– Qu’est-ce qu’on a sur lui ?
– Né à Washington, le 1er septembre 1926. Frank n’a pas eu une enfance facile. Son passé est assez flou et difficile à retracer.
Frank dit n’avoir jamais connu ses parents. D’après les dossiers, sa mère était une toxicomane, toujours aux prises avec des problèmes. On ne sait pas grand-chose sur le père. Tout ce qu’on sait, c’est que le beau-père la battait fréquemment.
D’après Frank, ses parents seraient morts quand il avait 11 ans. Il déclare alors avoir été élevé dans différents foyers, qu’il fuyait continuellement.
Il passe une bonne partie de sa jeunesse dans des maisons de correction pour mineurs.
Comme pour les frères Anglin, il commence par des petits vols puis, de fil en aiguille, des vols plus importants, comme les braquages de banques.
Frank Morris est décrit comme un homme calme, solitaire, qui a du mal à faire confiance à autrui. Il n’apprécie jamais vraiment l’amitié de qui que ce soit. En somme, un type qui se tient la majorité du temps à l’écart et qui n’engage que très rarement la conversation.
Apparemment il a aussi un QI de 133, soit supérieur à la moyenne. Une intelligence qu’il utilisera pour s’évader un nombre incalculable de fois des prisons dans lesquels il est incarcéré.
Whitey Bulger connaissait très bien Frank :
« J’ai connu Frankie Morris à Atlanta.
Il s’est évadé à plusieurs reprises par le passé. La liberté était si importante qu’il risquait sa vie à chaque fois, et à chaque fois, il s’améliorait.
En parcourant des écrits de sa jeunesse, j’ai été surpris par la maturité de ses réflexions pour un si jeune âge. Frank a eu une vie difficile… »
– Et donc, j’imagine que toutes ces évasions lui ont permis de gagner son ticket pour Alcatraz.
– En effet. Le 18 janvier 1960, c’est la date à laquelle Frank arrive sur le Rocher, quasiment un an avant les frères Anglin.
Whitey Bulger se rappelle alors :
« Je n’ai jamais considéré Morris ou les frères comme des personnes dangereuses.
Frankie et les Anglins étaient tous des types exceptionnels. Ils n’ont jamais fait de mal à personne, mais ont payé un lourd tribut en passant des années en prison.
Avec le recul, je me souviens que Frank jaugeait tout le monde et ne disait ni ne révélait grand-chose. Il était toujours méfiant à l’égard des personnes qui l’entouraient.
En ce qui concerne les frères, ils faisaient honneur à leur famille. Ils menaient une vie rangée avec toujours ce goût de l’aventure. C’est ainsi que je me souviens d’eux. Ils étaient calmes et n’avaient qu’une idée en tête : quitter Alcatraz.
Pour Allen West en revanche, c’est une toute autre histoire ».
– Allen quoi ? Qui c’est celui-là ?
– Allen Clayton West. Moins connu que les trois autres, et pourtant il jouera un rôle important dans le projet d’évasion de 62.
À Alcatraz, West a la réputation du type arrogant, toujours au centre des conflits raciaux au sein du pénitencier. Un des gardiens de l’île, qui témoignera en 1994, se souvient très bien de lui :
« Comment était-il ? Je ne l’aimais pas. Je pensais que c’était une merde… Ce que vous pourriez ne pas croire, c’est que j’aimais la plupart des gars là-bas. Je me souviens du sourire narquois de West chaque fois que je lui disais bonjour… En fait, la plupart des prisonniers étaient plutôt plaisants à fréquenter, mais West était du genre à en vouloir à l’uniforme. Ouais, je me souviens très bien de West… »
Allen West arrivera sur le Rocher en avril 1954, bien avant les autres.
Il plonge également dans la délinquance très jeune. S’ensuit alors une carrière criminelle toute tracée : cambriolages et vols sont les délits les plus récurrents de son dossier.
Dans toutes les prisons où Allen West passe, il constitue une menace pour les autorités pénitentiaires. C’est un détenu considéré comme dangereux, régulièrement impliqué dans des tentatives d’émeutes raciales. En somme, un homme vicieux, capable d’agresser, même sans provocation préalable…
– Une question me turlupine maintenant : comment tout ce beau monde fait-il connaissance ? Parce que j’vois mal comment West a pu bien s’entendre avec Morris et les frères Anglin.
– Eh bien, figure-toi qu’ils se connaissaient déjà. Les quatre hommes s’étaient en effet déjà rencontrés au pénitencier d’Atlanta et à la prison de Raiford, en Floride.
– Hm, je vois. Et le projet d’évasion, quand a-t-il commencé ?
– C’est ce qu’on va voir dès à présent.
Clarence Anglin au pénitencier d’Alcatraz.
John Anglin à Alcatraz.
Photo de Frank Lee Morris prise durant son séjour à Alcatraz.
Allen Clayton West à Alcatraz.
Préparation
– La préparation de l’évasion a commencé quelque temps après l’arrivée de Frank Morris à Alcatraz.
Frank avait été affecté à la bibliothèque de la prison où il aidait à ranger les livres. À ses côtés se trouvait alors un certain Clarence Carnes.
– Clarence Carnes ? Nous y revoilà donc.
– À l’époque où Frank Morris arrive sur le Rocher, Carnes est en effet bibliothécaire en chef.
Whitey Bulger nous en dit alors plus sur cette rencontre :
« Lorsque Frank est arrivé à Alcatraz, il a travaillé à la bibliothèque de la prison. À la bibliothèque, il s’est lié d’amitié avec Joe Carnes, qui était à Alcatraz depuis 1945. Joe connaissait mieux que quiconque la disposition et le fonctionnement de la prison.
Il était toujours prêt à mettre son savoir au service des autres pour déjouer le système carcéral.
Joe connaissait les gardiens par cœur. Il savait qui était le plus vigilant et qui était le plus paresseux. »
C’est grâce à ce Carnes qu’ils vont donc obtenir de précieuses informations sur la prison.
Carnes avait d’ailleurs une bonne raison de le faire d’après lui :
« L’une des raisons qui m’a poussé à les aider était qu’une fois que les condamnés se seraient échappés d’Alcatraz et auraient posé le pied sur le sol de San Francisco, ce serait fini. Ils fermeraient Alcatraz… »
– Intéressant. Et les frères Anglin et Allen West dans tout ça ?
– Les deux frères n’étaient pas encore arrivés à Alcatraz à ce moment-là.
Allen West, en revanche, était bien là.
Thomas Kent, un autre détenu, qui travaillait avec Frank Morris et Carnes à la bibliothèque, se souvient :
« Nous l’avons tous entendu de sa bouche… En février 1960, nous travaillions à la bibliothèque, Frank Morris, Joe Carnes et moi-même.
À l’extérieur de la bibliothèque, Allen West, muni d’un pot de peinture et occupé à peindre les cellules, s’est approché de la grille de la bibliothèque pour nous interpeller :
« J’ai trouvé un moyen de s’évader. J’ai déniché un itinéraire d’évasion au sommet du bloc B. Je crois que c’est faisable. Il y a une grille d’aération là-haut qu’on pourrait forcer. Nous pourrions nous échapper par l’arrière des cellules et laisser des mannequins dans les lits pour une nuit. »
– Le projet d’évasion est donc né à cette période.
– Oui, l’idée de s’échapper a commencé à germer à partir de là.
À l’époque des premières années de la prison fédérale, il y avait en effet des rumeurs qui disaient que les bouches d’aération montées sur le toit offraient un potentiel moyen d’évasion.
– Une autre faille de la prison à exploiter donc.
– Ouais, c’est ça. Et ce n’est que plus tard que les frères Anglin entreront dans la partie…
On dit qu’ils commencent à être impliqués dans le complot à partir de mars 1961.
Lloyd Miller, un agent pénitentiaire, avait en effet alerté le directeur adjoint de la prison sur le fait qu’il y avait quelque chose de suspect entre Clarence Carnes, les frères Anglin et June Stephens.
–Qui c’est celui-là encore.
– Un autre détenu qui travaillaient avec les frères Anglin au service culinaire. C’était un ami de confiance de Clarence Anglin.
Lors du repas du soir du 9 mars 1961, l’agent Lloyd Miller remarque donc quelque chose de louche. M. Miller écrit ceci, dans une note à l’attention du directeur adjoint :
« Pendant la dernière partie du repas de ce soir, j’ai remarqué que Carnes parlait à Stephens dans ce qui semblait être une conversation très sérieuse et confidentielle. Alors que j’essayais de l’entendre, Stephens a interrompu la conversation et s’est déplacé vers l’arrière de la table. Carnes, quant à lui, continuait de manger tandis que Stephens, affecté au service de la salle à manger, feignait de nettoyer une table vide à proximité.
Une fois la salle à manger vidée et le reste du personnel entré, j’ai vu Stephens rejoindre les frères Anglin à leur arrivée pour les emmener à l’écart. Il s’est alors engagé dans une conversation sérieuse et confidentielle avec eux, sans qu’aucun officier ou autre détenu ne puisse l’entendre. Cette conversation a duré plusieurs minutes.
Je n’ai aucune idée de ce dont il s’agissait, mais ce n’était certainement pas une conversation habituelle entre détenus. Ils étaient toujours sur le qui-vive et nous surveillaient de très près. »
– Donc, si je comprends bien, c’est Carnes, via Stephens, qui les aurait mis au fait.
– On ne sait pas vraiment. Ce qui est certain, c’est que le témoignage de Miller a prouvé que les frères Anglin ont été impliqués dans le projet à cette période, intégrant ainsi le groupe de conspirateurs.
Juillet 1961, c’est là que les choses deviennent intéressantes.
Les frères Anglin et Allen West réussissent en effet à s’installer dans des cellules voisines situées dans le Bloc B. John est dans la B-150, West dans la B-152 et Clarence dans la B-154.
Deux mois après, Frank Morris les rejoint en s’installant dans la B-138, soit seulement à cinq cellules de John.
C’est à ce moment-là que la planification de l’évasion se met en route.
Trois fois par jour à l’occasion des repas, Allen West, Frank Morris et les frères Anglin se réunissent dans la cantine de la prison pour discuter du projet. Ces périodes étaient donc cruciales pour élaborer leur plan. Ça leur faisait grosso modo une heure par jour pour débattre de la méthode qui leur permettrait de quitter l’île.
– Et de quoi ça parlait concrètement ?
– Il était question de plusieurs choses. Comme la décision de confectionner un radeau de fortune, et des gilets de sauvetage pour traverser la mer.
Ils discutent aussi probablement des outils qui leur seront utiles pour mener l’opération à bien, comme les têtes factices pour tromper les gardiens une fois sortis de cellule. La direction finale de leur voyage une fois le continent atteint a sûrement été aussi abordée.
À noter qu’entre-temps, Allen West change de cellule pour se placer à côté de celle de Frank.
– Dis donc, ça en fait des choses à faire. J’suis curieux de savoir comment ils se sont procurés tout ce matériel.
– Eh bien, il faut dire que le nouveau poste de Frank Morris a bien aidé. Il est en effet affecté à la fabrique de brosses au début du mois de janvier 62, fabrique située au rez-de-chaussée du nouveau bâtiment des industries. Ce nouveau poste lui aurait alors probablement permis de dissimuler certains outils et objets utiles à la construction du radeau et des gilets de sauvetage.
Avant ça, Clarence Anglin a également changé d’affectation professionnelle, travaillant désormais comme coiffeur pour les détenus. Un poste qui a été primordial pour récolter les cheveux servant à la confection des têtes factices.
John changera aussi de poste, et partira travailler dans la section habillement, aux côtés d’un certain Mickey Cohen.
– Mickey Cohen ?! Le parrain de Los Angeles condamné pour fraude fiscale. J’avais presque oublié son passage à Alcatraz.
– Eh bien, figure-toi que Cohen aurait également joué un rôle dans l’élaboration de cette évasion.
– Comment ça ?!
– Il est dit que grâce à son influence, il aurait utilisé ses contacts à l’extérieur pour aider les futurs évadés.
Une théorie plausible dans la mesure où Cohen a été le seul condamné de l’histoire d’Alcatraz à obtenir une caution pendant son séjour. Libéré en octobre 1961 pour ensuite revenir en mai 1962, soit sept mois plus tard.
Et puis, il y a ces paroles de Mickey Cohen, qui dira après l’évasion :
« On parlait beaucoup… on parlait beaucoup de conneries. Difficile de distinguer le vrai du faux, comme le veut l’adage. Mais ces deux gamins, ces gars, c’étaient des solides fils de pute. J’ai envie de croire qu’ils ont réussi ».
D’autres rumeurs ont également circulé, selon lesquelles Cohen aurait négocié au nom des conspirateurs avec un autre célèbre détenu d’Alcatraz, j’ai nommé Bumpy Johnson.
– Après le parrain de Los Angeles, voilà le parrain de Harlem. Décidément, ça fait du beau monde impliqué dans cette affaire.
– Mickey Cohen et Bumpy Johnson se seraient en effet promenés à diverses reprises dans la cour de la prison, ce qui aurait soulevé la méfiance et l’intérêt chez les gardiens.
Bumpy était en quelque sorte le leader de la population carcérale afro-américaine à Alcatraz. Une figure respectée du crime organisé, qui lui conférait une sorte de statut sur le Rocher, comme l’indique ce rapport :
« Il semble avoir été un leader de la population de couleur. Il a usé de son influence à une ou deux fois pour limiter les troubles.
Il a été signalé comme ayant une influence stabilisatrice pendant une période de tensions raciales. Une personne très respectée et considérée comme un conseiller par notre population de couleur.
Il est en bons termes avec tous les détenus et fait preuve de courtoisie et de respect envers le personnel à tout moment. »
Sa relation avec le personnel pénitentiaire serait même allée plus loin, puisqu’il est dit que Bumpy, par l’intermédiaire d’un officier corrompu, aurait profité de ses contacts à l’extérieur pour aider le groupe d’évadés en leur fournissant un bateau pour fuir.
Toujours grâce à ses contacts, Bumpy leur aurait aussi permis d’obtenir une certaine somme d’argent.
Et ce n’est pas fini, puisqu’il est encore dit que Bumpy aurait acheté le silence de détenus afro-américains incarcérés dans les cellules derrière le groupe d’évadés.
Un ancien gardien de la prison se rappelle alors :
« Le fait qu’ils n’aient rien dit reste pour moi un mystère. Les cellules étaient dos à dos avec le couloir entre les deux. Les détenus noirs étaient en face des blancs. Ils savaient ce qui se passait. Lorsque ces détenus rampaient là-haut, nuit après nuit, pour apporter du matériel, les détenus noirs pouvaient l’entendre. Et pourtant, ils n’ont jamais dit un mot… »
– Je ne comprends pas. Ils auraient eu beaucoup à gagner en informant les responsables de la prison du projet d’évasion. Pourquoi ne l’ont-ils pas fait ?
– Faut croire qu’ils obéissaient à Bumpy.
D’ailleurs, pour en revenir au parrain de Harlem, figure-toi qu’il a travaillé avec Frank à la fabrique de brosses. Et qu’il a aussi travaillé avec Clarence Anglin au salon de coiffure. Dans les deux cas, cela lui aurait donné l’occasion de parler avec eux.
– Je vois. D’ailleurs, en parlant de Clarence, il y en a un autre que l’on a oublié. Carnes, il devait bien participer à l’évasion, non ?
– C’était ce qui était prévu oui, mais Carnes était apparemment surveillé, ce qui l’a obligé à renoncer pour le bien de tous. Il continuera tout de même à les aider, aide qui sera précieuse pour les futurs évadés…
Pour pouvoir s’évader donc, il leur a fallu creuser un trou dans leur cellule. Pour cela ils avaient quelques outils de contrebande à leur disposition, comme des lames de scie en métal et des cuillères qu’ils avaient aiguisées. L’idée était de creuser autour de la grille de ventilation de la cellule pour avoir un espace suffisant et accéder au couloir de service non gardé, situé juste derrière. Une fois cela fait, ils pourraient alors accéder au toit grâce à une bouche d’aération.
Les murs en ciment des cellules s’étant détériorés au fil du temps, ils ont donc joué sur ce point faible.
Pendant des mois, ils vont alors creuser en cachette. Quand l’un creusait, l’autre montait la garde et ainsi de suite. Et pour dissimuler leur travail, ils utilisaient du simple carton peint pour tromper la vigilance des gardiens, qui ne se sont doutés évidemment de rien.
L’accordéon de Frank Morris sera même utilisé pour couvrir les bruits.
– Plutôt malin comme plan. Et qu’ont-ils fait des débris ?
– Mis dans les poches de leur pantalon, puis disséminés au fur et à mesure dans la cour de la prison.
Après ça, il a été question de confectionner les fausses têtes qui feraient office de leurre la nuit de l’évasion. Les cheveux récoltés par Clarence et un mélange de papier toilette, de savon et de béton permettront de les créer après un travail de longue haleine.
Le radeau de fortune est ensuite construit grâce à des imperméables de détenus volés ; puis ce sera les gilets sauvetage et les pagaies en bois.
Ils réussissent même à voler un moteur d’aspirateur pour le transformer en perceuse pour desserrer les vis du trou d’aération sur le toit.
Ils fabriquent aussi un périscope, une lampe de poche…
– Attends, attends j’te coupe. Où ont-ils caché tout ce bazar ?
– Derrière le mur de leur cellule et en dessous du toit. Comme ça, ni vu ni connu.
Autre élément notable : Frank Morris commande deux livres, susceptibles de nous révéler la destination finale du groupe d’évadés : deux bouquins pour apprendre l’espagnol.
Dis-toi qu’après un braquage de banque en 1955, Frank avait dit aux autorités avoir l’intention de s’enfuir au Mexique ou en Amérique du Sud pour repartir à zéro.
– Hm, une piste intéressante.
– Ces gars-là n’ont rien laissé au hasard. Dans un autre témoignage, Whitey Bulger nous dit alors ça :
« Ils étaient disciplinés… Ils faisaient de l’exercice, ils étaient jeunes, forts et en excellente forme physique. Petit à petit, ils ont réussi à s’acclimater au choc de l’eau froide. Ils s’entraînaient dur en sachant parfaitement les défis qui les attendaient.
Ils faisaient de l’exercice pour renforcer leur force dans leurs cellules en courant sur place sans chaussettes sur le sol en ciment froid. Ils ont même drapé des serviettes mouillées et froides autour de leur cou et de leurs épaules, ainsi qu’à l’intérieur de leurs vêtements pour s’adapter.
Ces gars-là étaient pleins de ressources et voulaient profiter de tous les avantages ».
Et d’après un autre détenu, ils avaient un plan A, un plan B, un plan C et même un plan D, et ce pour chaque scénario.
– C’est ce que j’appelle de la préparation.
– Il ne leur restait plus qu’à choisir la date finalement.
La nuit du 11 juin 1962, c’est là qu’ils décideront de mettre leur plan à exécution…
Le trou d’aération par où le trio de prisonniers est passé pour s’échapper de la prison d’Alcatraz.
Les fausses têtes utilisées durant l’évasion de 1962.
Matériel utilisé par les frères Anglin et Frank Morris pour s’évader de la prison.
Évasion
– La nuit de la grande évasion, Whitey Bulger s’en souvient très bien :
« La nuit de l’évasion a été passionnante, mais elle était, par moments, aussi inhabituellement calme. Beaucoup d’entre nous savaient ce qui se préparait.
Le silence régnait, puis nous avons entendu un bruit sourd sur le toit, suivi du cri strident des mouettes qui vivaient sur le toit de la cellule.
Nous avons tous joué le jeu en hurlant et en créant un bruit assourdissant qui devait secouer les gardiens et qui, heureusement, a réussi à les distraire.
Après avoir fait beaucoup de bruit pour détourner leur attention, les sons se sont éteints et tout est redevenu calme. Nous avons ensuite passé une longue nuit à visualiser ce que les gars avaient vécu. Toujours pas d’alarme, le calme était synonyme d’espoir. J’étais tellement excité que je n’ai pas pu dormir de la nuit. Chaque minute sans alarme signifiait une minute de plus d’avance sur les autorités. »
Le groupe de fugitifs met donc son plan à exécution après l’extinction des feux de 21 h 30.
Frank Morris et les frères Anglin, après avoir placé leur fausse tête en guise de leurre, sortent de leur cellule grâce au trou qu’ils ont creusé. À présent dans le couloir de service où se trouvent les conduits, ils attendent Allen West qui, de son côté, semble avoir du mal à sortir de sa cellule. Le trou qu’il avait creusé n’était pas suffisamment large pour passer.
Allen West raconte :
« À 21 h 22 ce jour-là, Clarence Anglin a tapé sur mon ventilateur et a dit qu’il pouvait voir la lune. J’ai essayé de retirer le reste du ciment du trou situé à l’arrière de ma cellule. Je n’y suis pas parvenu. Il a essayé de m’aider pendant une minute environ mais n’a rien pu faire. »
Allen West reste donc bloqué dans sa cellule. Il ne partira pas avec le reste du groupe.
Peu importe, Frank Morris et les frères Anglin continuent sans lui.
Le trio emprunte alors le couloir de service avec leur matériel. Ils grimpent le long d’un tuyau, puis accèdent au toit en passant par une bouche d’aération.
Frank Morris et les frères Anglin traversent le toit sur une trentaine de mètres. Grâce à un tuyau d’aération, ils peuvent ensuite redescendre jusqu’au sol.
Ils escaladent deux clôtures de barbelés et atteignent finalement la rive nord de l’île.
C’est à ce moment-là qu’ils déploient leur radeau de fortune, prennent la mer et disparaissent…
– Mais alors où est-ce qu’ils ont pu aller ?
– S’il faut en croire le témoignage d’Allen West :
« Nous avions parlé d’aller à Angel Island. On pensait qu’il y aurait moins de chances d’être repéré si nous allions dans cette direction.
En arrivant sur le continent, nous avions décidé de commettre un cambriolage pour nous procurer des armes et des vêtements, puis de voler une voiture. Nous voulions nous éloigner le plus possible de cette région, mais nous n’avions aucun plan quant à l’endroit où nous irions.
Si nous réussissions à nous échapper, Morris et moi avions prévu que tôt ou tard nous irions dans une direction et laisserions les frères Anglin aller dans une autre. »
Ce n’est finalement que le lendemain matin que l’alarme est donnée. Whitey Bulger s’en souvient encore :
« La nuit semblait s’éterniser… J’avais l’impression qu’il restait un an avant le lever du soleil et l’heure du décompte. C’était le grand moment et mon cœur battait la chamade. Un gardien s’est rendu alors dans la cellule de Morris et, comme il ne se levait pas pour le décompte, il a crié : « Morris… Debout ! » Le sergent a tendu la main dans sa cellule et lui a donné un coup de poing dans la tête. Imaginez le choc qu’il a subi lorsqu’elle a roulé sur le sol. Il a fait un bond en arrière, horrifié, et est resté sans voix, pointant du doigt dans la cellule alors qu’il essayait de sortir des mots de sa bouche.
L’un après l’autre, ils découvrent les autres disparus. L’allégresse, la joie, les rires et les plaisanteries fusent tandis que les gardiens se démènent frénétiquement.
Lorsqu’ils ont réalisé que Morris et les frères s’étaient évadés, les acclamations ont été si fortes qu’elles ont pu être entendues à des kilomètres à la ronde ! Je pense pouvoir parler au nom de tous ceux qui se trouvaient dans la prison ce matin-là, cela reste l’un des plus grands moments de ma vie… C’était un moment de liberté pour nous tous… »
Dès lors, un important dispositif est mis en place pour rechercher les évadés, mais Frank et les frères Anglin demeurent introuvables.
L’une des plus grandes chasses à l’homme de l’histoire des États-Unis était donc lancée.
Plusieurs théories émergeront alors, certains penseront qu’ils se sont noyés, tandis que d’autres croiront en la réussite de l’évasion.
Ce qui est sûr, c’est que les dossiers du FBI ne feront état d’aucune conclusion ferme, les théories se fondant sur des preuves limitées qui ne permettent pas de résoudre l’affaire.
Une affaire qui deviendra de plus en plus complexe, au point de déjouer les enquêteurs pendant plusieurs décennies.
– Que s’est-il donc passé après leur entrée dans l’eau ? Il doit forcément y avoir quelque chose qui pourrait nous aiguiller. Allen West a dit qu’il était prévu qu’ils se dirigent à Angel Island, tu penses que c’est dans cette direction qu’ils sont allés ?
– Possible, mais le témoignage aux enquêteurs de Woodrow Gainey, un autre détenu qui prétend avoir participé à la préparation de l’évasion avec Junes Stephens, nous dit autre chose.
Gainey était proche des frères Anglin et a pu côtoyer le groupe d’évadés. Il dira ceci aux enquêteurs :
« Au cours de leurs conversations, John Anglin avait indiqué qu’il était plus court d’aller de l’île à San Francisco plutôt que de se diriger vers Angel Island.
Par la suite, les frères Anglin ont évoqué la possibilité de s’emparer d’un hélicoptère, Morris avait en effet approfondi ses connaissances en pilotage à travers de nombreuses lectures à la bibliothèque de la prison. Il était convaincu de sa capacité à piloter un tel engin.
Dans l’éventualité où ils parviendraient à obtenir un hélicoptère, leur plan était de s’envoler loin, et de partir chercher un refuge quelque part dans le désert de Californie où ils resteraient cachés plusieurs mois, le temps que les recherches s’apaisent.
Une fois dans le désert, ils projetaient de dérober un grand camion-remorque, d’excaver une cachette pour y dissimuler le véhicule afin qu’il reste invisible. Ils envisageaient de quitter puis de réintégrer ce refuge discrètement. Ultérieurement, ils envisageaient de se regrouper pour commettre des braquages de banques.
Ils exprimaient également le souhait de libérer leur frère Al, détenu à la prison d’Atlanta. Ils n’ont fait mention d’aucun contact extérieur pouvant les assister dans leur entreprise. »
La théorie la plus populaire est que le trio s’est noyé en voulant rejoindre le continent. Mais aucun corps n’a jamais été retrouvé. Seul une pagaie en bois et des effets personnels sont retrouvés, mais il est possible qu’ils les aient laissés pour faire croire aux enquêteurs qu’ils se sont noyés.
D’autres informations, à l’inverse, nous laissent penser que les frères Anglin et Frank Morris ont bel et bien survécu.
Le FBI a en effet suivi plus d’une centaine de pistes à travers le pays. Les observations présumées ont été nombreuses et les agents ont suivi des pistes allant d’observations dans des hôtels, des bars et des banques, à des observations plus aléatoires de « trois hommes à l’allure suspecte » dans diverses voitures.
Par ailleurs, le directeur d’Alcatraz aurait reçu une carte postale mentionnant : « Ha Ha ! Nous l’avons fait… » signée Frank, John et Clarence.
Le FBI n’a cependant pas pu établir de correspondance entre l’écriture et l’un des évadés.
Clarence Carnes affirmera de plus avoir reçu une carte postale, plus de dix ans plus tard. Une carte postale contenant les mots de code Gone Fishing, ce qui voudrait dire qu’ils auraient réussi.
Autre fait surprenant : cet appel reçu par une avocate renommée de San Francisco, qui affirme avoir reçu un coup de téléphone de la part de John Anglin à son cabinet :
« La personne a appelé, la réceptionniste me l’a passé puis j’ai entendu : « Je suis John Anglin, et je veux que vous contactiez le bureau des U.S. Marshals pour organiser une réunion ». J’ai demandé dans quel but. Il m’a répondu quelque chose du genre : « Ne posez pas de questions, faites ce que je vous dis… ». Appelez alors le bureau de l’U.S. Marshal pour fixer un rendez-vous… » ai-je dit. « Je ne vais pas faire ça si je ne sais pas pourquoi ».
Il m’a alors répondu : « Savez-vous qui je suis ? »
J’ai dit non…
« Lisez le journal » et il a raccroché. »
Le FBI a installé une écoute téléphonique dans son bureau, mais… il n’a plus jamais rappelé.
– De vrais fantômes. Tout ça me paraît bien étrange.
– Tout comme les derniers mots de Robert Anglin, l’aîné des frères qui, dans son dernier souffle, avouera à voix basse sur son lit de mort : « J’ai été avec les garçons […]. Je sais qu’ils ont réussi… »
Plus tôt dans sa vie, Robert avait quitté la Floride pour s’installer au Texas sans aucune explication logique.
Ses derniers mots ont donc été très étonnants.
De plus, certains frères et sœurs Anglin ont déclaré que leur mère recevait chaque année des roses rouges pour son anniversaire, et qu’elles étaient toujours accompagnées de deux cartes non signées, et ce, jusqu’à sa mort, en 1973.
Il y avait aussi des cartes de Noël signées par les frères, sans cachet postal ni indication d’origine. Ou encore le téléphone qui sonnait où l’on n’entendait qu’une respiration à l’autre bout du fil…
Le meilleur pour la fin : cette preuve quasi irréfutable, selon laquelle les frères Anglin auraient
réussi à gagner l’Amérique du Sud et vécu dans une ferme rurale, au Brésil.
Une information venue de Fred Brizzi, un ami d’enfance des frères Anglin et ancien trafiquant travaillant pour les cartels sud-américains.
Ce Brizzi organisera en effet une réunion avec les membres de la famille Anglin en 1992, et ce pour prétendument tenir une promesse qu’il avait faite aux deux frères.Tout le monde se réunit autour de la table, impatient d’entendre ce que Brizzi a à leur révéler. On a d’ailleurs un audio de cette réunion.
Il dit être entré en contact avec John et Clarence dans les années 70 lors d’une opération de contrebande en Amérique du Sud. Il montrera alors une photo datant de 1975 dans laquelle on voit deux hommes dans la campagne brésilienne. Deux hommes qui seraient – possiblement – les frères Anglin.
– Quoi ?! C’étaient bien eux ?
– Eh bien, pour le savoir il a fallu attendre 25 ans jusqu’à ce que la photo soit analysée par des experts en imagerie faciale.
Et le résultat a été le suivant : selon toute probabilité, la photo serait authentique, ce qui veut dire qu’il est très probable que les deux personnes figurant sur la photo fournie par Fred Brizzi soient John et Clarence Anglin.
– Incroyable. Et qu’en est-il de Frank ? Était-il avec eux ?
– Le sort de Frank Morris n’a malheureusement pas été mentionné. Brizzi a déclaré qu’il y avait un autre homme avec les deux frères, mais son identité ne lui a jamais été révélée.
Cependant, en 1967, a un homme a appelé les autorités en leur disant qu’il avait été le camarade de classe de Frank Morris, et qu’il le connaissait depuis 30 ans. Il a alors affirmé l’avoir croisé dans le Maryland et l’a décrit comme ayant « une petite barbe et une moustache ». Malheureusement, il a refusé de donner plus de détails…
Autre déclaration, celle de Bud Morris, un homme qui prétendait être le cousin de Frank, et qui dira l’avoir rencontré en personne dans un parc de San Diego, et ce peu après la date de l’évasion.
Et c’est à peu près tout ce qu’on a sur Frank Morris…
– Hm, je vois. Ça en fait des choses toute de même. Je pense que nous avons maintenant de quoi faire pour mener à bien l’enquêter.
– Ouais et il y a du boulot. Mettons-nous au travail sans plus tarder.
Attends, je vois qu’il y a un dernier témoignage de Whitey Bulger. J’crois qu’il nous fait part de ses conclusions par rapport à toute cette affaire :
« Le directeur espérait qu’ils s’étaient noyés, tandis que les détenus croyaient « Ils l’ont fait !
Je pense qu’ils auraient pu s’en sortir assez facilement. Ils ont probablement volé une voiture et parcouru une grande distance avant même de penser à se procurer de l’argent.
Ces gars étaient intelligents, disposant de multiples plans de secours. Rapidement, ils ont créé un écart considérable entre eux et Alcatraz, sachant parfaitement comment échapper aux soupçons.
Je crois qu’ils sont tous parvenus à la liberté et qu’ils ont suivi leur plan de couper tous les liens. C’était une question de discipline stricte de leur part de couper totalement les liens avec leur passé. C’est pourquoi personne n’a jamais eu de leurs nouvelles. Non pas uniquement pour disparaître, mais pour protéger leurs familles.
Avant l’évasion, nous avons discuté en détail des tactiques que les fédéraux emploieraient pour essayer de capturer les fugitifs. L’une d’entre elles consistait à utiliser une pression extrême sur les familles. Je sais cela de première main et je sais qu’il est possible de disparaître efficacement. Le trio n’a pas réalisé la plus grande évasion de l’histoire des États-Unis sans avoir un plan solide sur la méthodologie de survie une fois libres.
C’est un dilemme douloureux, mais pour le bien de tous, ils n’avaient pas le choix.
C’était plus facile pour Mortis car il n’avait pas de famille proche, mais il devait en être ainsi pour la sécurité de tous.
C’est ainsi que le trio a survécu.
C’est ce dont nous avons discuté et débattu avant l’évasion.
Chaque fois que je repense à mes années passées à Alcatraz et à ce matin du 12 juin 1962, cela me remonte le moral et j’applaudis silencieusement Frankie, John et Clarence. Que Dieu bénisse ce trio. Ils ont contribué à la fermeture d’Alcatraz et sont entrés dans l’histoire… J’espère qu’ils ont vécu une vie longue et heureuse après Alcatraz. »
L’île d’Angel Island au premier plan et celle d’Alcatraz au fond.
Un gardien observe un des trous creusés par les détenus après l’évasion d’Alcatraz.
Avis de recherche de Clarence Anglin après l’évasion.
Photo très probablement authentique des frères Anglin dans la campagne brésilienne après l’évasion de 62. Clarence serait à gauche et son grand frère John à droite.
Épilogue
*Voir l’épilogue de cette histoire dans la vidéo ci-dessous* 👇
Vidéos sur l’histoire des évasions d’Alcatraz
Sources
https://www.goodreads.com/book/show/35794061-escaping-alcatraz
https://alcatrazhistory.com/
https://en.wikipedia.org/wiki/June_1962_Alcatraz_escape_attempt
https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89vasion_d%27Alcatraz
https://en.wikipedia.org/wiki/Battle_of_Alcatraz